Les manifestations du 11 décembre 1960, parties du quartier Mohamed Belouizdad (ex Belcourt) avant d'atteindre plusieurs autres parties d'Alger, ont été le fait d'Algériens, de tous âges, ayant défié courageusement, à mains nues, l'armée coloniale pour réclamer haut et fort, et au prix de leur vie, l'indépendance de l'Algérie, selon des témoins qui ont vécu ces évènements. "En réalité, c'est la veille, le 10 décembre, que les événements ont débuté. Je me trouvais à proximité du centre commercial (ex-Monoprix) lorsque nous aperçûmes des partisans de l'Algérie française qui venaient d'initier une marche, sur fond de la visite entamée, la veille en Algérie, par le Général de Gaulle", se souvient, El Hadj Noureddine Benmeradi, plus connu dans le quartier Mohamed Belouizdad par le prénom de son défunt père, Bennacer, dirigeant à l'époque du club de football le "Widad de Belcourt", devenu le Chabab Riadhi de Belcourt dés 1962. "Tout en scandant des slogans hostiles à la solution d'une Algérie algérienne, ces ultras ne manquaient pas de nous insulter. Je me souviens que l'un des voisins du quartier, Ammi Said Adim, réputé pour être un inconditionnel nationaliste, les a défiés en répliquant à leurs propos", poursuit le témoin. Pour éviter un affrontement entre les deux communautés, "les pieds noirs ont été conduits par la police au commissariat, dirigé alors par un certain capitaine Bernard. Cela ne nous a pas empêchés de poursuivre notre marche et de lancer des slogans... jusqu'au moment où l'on entendit une voix clamer Algérie musulmane et Algérie algérienne", se souvient-il encore. Ces slogans clamés, pour la première fois, ont eu l'effet de motiver davantage la foule qui, tout en avançant grossissait, pour atteindre l'un des magasins du quartier, celui d'"André" pour chaussures et dont la vitre a volé en éclats, sous la colère populaire, poursuit-il, narrant, par ailleurs, la mise à feu du dépôt en plastique de l'ex-Monoprix. "La vue de la fumée nous a impressionnés tous et c'est à ce moment que les militants du Front de libération nationale (FLN) sont intervenus pour nous remettre des rouleaux entiers de tissus pour en confectionner des emblèmes nationaux, en prévision d'une manifestation de plus grande ampleur le lendemain", poursuit M. Benmeradi. Ce dernier s'interroge à ce jour "d'où sont sortis ces rouleaux de tissus sur lesquels se sont penchées, toute la nuit, les couturières pour que les drapeaux soient prêts le jour J?". Le fait est que le lendemain, les manifestants de la veille ont reconduit leur action pour être rejoints par des centaines d'autres jusqu'à ce qu'elle fasse tache d'huile dans d'autres quartiers de la capitale, se remémore-t-il encore, s'arrêtant, avec une forte charge émotionnelle, sur l'image de la petite Saliha Ouatiki, 12 ans, tombée sous les balles meurtrières des forces de répression françaises, car figurant dans le premier rang des contestataires. "Le jeune homme qui a pris sur ses épaules la petite Saliha pensait que le sang qui giclait de la poitrine de celle-ci était le sien. Il n'avait pas encore réalisé que la fillette avait été touchée", raconte-t-il, avant de soutenir que les manifestations se sont poursuivies les jours d'après. "Depuis, les Français ont fini par comprendre, une fois pour toutes, que le peuple algérien était du côté du FLN", assène-t-il avec conviction. Des scènes encore vivaces... Dans la mémoire de Mahmoud Boussoussa, également présent lors des ces manifestations, demeurent aussi vivaces qu'il y a 58 ans, deux images: l'une d'elles, détaille-t-il, est celle d'une fillette, portée sur les épaules d'un jeune homme et brandissant le drapeau national, en ce dimanche, jour de repos, choisi par les Algériens pour manifester dans la rue. "A un certain moment, les bérets rouges ont visé d'une balle son thorax et bien qu'une ambulance soit vite arrivée, la fillette ne tarda pas à rendre l'âme", ajoute-t-il, avant de préciser, la gorge nouée par l'émotion, qu'il s'agissait de la Chahida Saliha Ouatiki. Il a fait ensuite état de la colère, la douleur et la tristesse qui se sont vite emparées de tous les manifestants présents à la suite de cet "acte criminel", citant en particulier deux femmes qui pleuraient en criant leur rage: "la pauvre, la pauvre !". Ce tragique fait a eu lieu, se souvient-il, au niveau de la ruelle appelée à l'époque "L'allée des mûriers", à quelques mètres dudit "Monoprix". Outre Saliha Ouatiki, M. Boussoussa, qui a été journaliste à El-Moudjahid, tient à évoquer une autre martyre des événements de Belcourt, Hamida Neguale (19 ans), alors que le petit Farid Maghraoui, âgé à peine de 10 ans, tombait au champ d'honneur à Diar El Mahssoul (El-Madania), ce même jour. "Ces enfants venaient de rejoindre la longue liste des martyrs de la Révolution", a-t-il ponctué avant de partager l'autre souvenir qui continue à le marquer: celui auquel il a assisté, également en ce 11 décembre, à la Place Maurétania où siégeait, à l'époque, la compagnie Air France. Bien que la marche était pacifique et les manifestants mains nues, les colons se sont empressés de tirer "à bout portant" au moyen de munitions procurées du Commissariat central, sis à proximité, a-t-il déploré, rappelant que cette confrontation s'est soldée par quelques 380 martyrs et 800 autres blessés parmi les Algériens. Il exprime, à ce propos, son "indignation" quant au bilan avancé, à l'époque, par les médias français qui ont réduit à 55 le nombre d'Algériens morts. Lorsqu'il a été convié, cette semaine, par l'association Machaâl Echahid pour apporter son témoignage sur ces historiques événements, il a préféré le consigner dans un écrit qu'il a intitulé "La détermination d'un peuple", avant de le lire à l'assistance. Ayant également pris part à cette mémorable journée du 11 décembre, Tafath Assia, alors âgée de 15 ans, se remémore cette journée particulière où elle est sortie "spontanément" avec des voisins de son quartier d'El-Mouradia (ex-Le Golfe) pour se joindre aux manifestants de Belcourt. "Ma mère criait après moi pour que je revienne à la maison mais j'étais déterminée à continuer sur ma lancée. Elle a été contrainte de me suivre après avoir, précipitamment, jeter sur elle son haïk (voile)", témoigne cette septuagénaire, photos à l'appui de sa présence sur les lieux des faits, investis par ailleurs par le reste de sa famille. "Comme il nous a été impossible de rejoindre le quartier de Belcourt depuis le Golfe en raison de la forte présence des forces de sécurité coloniales, nous y sommes parvenus via celui d'El-Madania, raconte-t-elle, décrivant les "scènes impressionnantes" ayant opposé manifestants algériens et forces de sécurité coloniales . Elle aussi, ce sera la petite Saliha Ouatiki qui marquera sa conscience, se souvenant l'avoir "vue en sang", avant de nous donner à voir une photo de la petite martyre brandissant le drapeau national, quelques minutes avant qu'elle soit atteinte par les salves nourries ciblant la foule compacte des protestataires. Elle fait, en outre, savoir que le jeune homme se tenant à côté de la jeune chahida n'est autre que son frère Aziouez, âgé aujourd'hui de 77 ans. Ces bribes de témoignages, aussi partielles soient-elles, illustrent la volonté d'un peuple à en découdre définitivement avec les chaînes de la répression coloniale, alors que la violence policière avec laquelle ont été matés les manifestants a fini par retentir sur la scène internationale. Portée ainsi jusqu'à l'enceinte de l'Organisation des Nations unies (ONU), la cause algérienne a, depuis ce 11 décembre 1960, interpellé la communauté internationale et mobilisé toutes les voix, à l'intérieur et à l'extérieur du pays, en faveur du droit des Algériens à l'autodétermination.
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