II y a 25 ans, Farèze, premier bébé né par fécondation in vitro dans le pays, est venu au monde à l’hôpital Parnet d’Alger (1991). Cette année-là est né, avec lui, pour les nombreux couples algériens vivant en situation d’infertilité, l’espoir de voir leur désir d’enfanter se réaliser grâce aux progrès de la science. Depuis, l’assistance médicale à la procréation (AMP) a accompli bien des miracles. Des centaines de personnes ont été arrachées aux affres de la stérilité et aux drames sociaux qu’elle engendre. En 2012, 8644 couples en situation d’infertilité ont bénéficié d’une assistance médicale à la procréation. Leur nombre a triplé en trois années : 25 418 couples ont été traités en 2014. L’augmentation est spectaculaire. Pourtant, les couples traités ne représentent que 6,35% des concernés. Ils sont actuellement plus de 400 000 à souffrir de stérilité dans le pays, selon les dernières données du ministère de la Santé. Ce sont là, les chiffres dévoilés hier par la Société algérienne de médecine de la reproduction (Samere) qui organisait une journée d’étude sur la question à l’hôtel El Aurassi d’Alger. «La stérilité est un véritable problème de santé publique», note d’emblée le Dr Amina Oumeziane, spécialiste en médecine de la reproduction, dans une allocution visant à établir un état des lieux de l’AMP en Algérie. Plusieurs spécialistes ont été invités à s’exprimer à l’occasion de cette journée d’étude consacrée aux problèmes éthique, juridique et religieux que peut poser la pratique. Parmi eux, l’éminent professeur en obstétrique et gynécologie, Hassan N. Sallam, venu d’Egypte pour discourir sur les différentes techniques de l’AMP pratiquées dans le monde depuis la naissance de Louise Brown, premier bébé-éprouvette, né en 1978 en Grande-Bretagne. Pour les praticiens et les parlementaires venus assister à la rencontre, le sujet suscite des controverses. Pour le Dr Djender, président de la Samere, le sujet est d’autant plus crucial qu’un projet de loi sanitaire réglementant la pratique de l’APM a récemment été adopté en Conseil des ministres. 15 centres spécialisés dans tout le pays La nouvelle loi sanitaire prévoit des dispositions relatives à l’AMP réglementant (des articles 387 à l’article 394) les limites de cette pratique, les droits des patients et les devoirs des spécialistes agréés et autorisés à l’accomplir. Elle prévoit, par exemple, que le couple légalement marié soit en situation d’infertilité avéré et qu’il en formule la demande par voie écrite avant d’être pris en charge. La loi interdit le recours aux dons et à la vente d’ovocytes et de spermatozoïdes et la sélection de sexe, entre autres dispositions. Ce projet de loi adopté en Conseil des ministres le 16 septembre 2016 sera très prochainement débattu au Parlement. Amar Ouali, représentant du ministère de la Santé, présent à l’occasion, n’a pas manqué d’assurer que «les recommandations issues de cette rencontre seront prises en compte dans l’élaboration des textes d’application de la nouvelle loi sanitaire». Actuellement, le taux de réussite de ces techniques atteindrait les 40%, selon le Dr Oumeziane, qui révèle que «15 centres privés répartis à travers le territoire national ont progressivement ouvert leurs portes depuis 1999». La pratique des techniques d’AMP est largement prise en charge par des centres privés. On compte à ce jour trois centres publics (à Alger, à Oran et à Constantine), mais le seul à être effectivement opérationnel est celui du CHU Nafissa Hammoud Laliam (ex-Parnet), rouvert en 2013. «Une dizaine de centres privés sont actuellement en voie de réalisation et/ou d’agrément», précise encore le Dr Oumeziane. La capacité d’accueil est bien en deçà des besoins de la population algérienne. «L’AMP reste inaccessible à un grand nombre de couples infertiles. Cela s’explique par le coût des actes qui reste élevé par rapport à notre pouvoir d’achat, bien qu’il reste parmi les plus bas au monde», explique-t-elle encore, en précisant que «seuls les traitements inducteurs d’ovulation sont remboursés par la Sécurité sociale». Près de 7500 fécondations in vitro en 2015 En 2015, 7436 fécondations in vitro, 2434 inséminations intra-utérines et 855 transferts d’embryons congelés ont été réalisés. Derrière les chiffres avancés, des milliers de drames se nouent chaque jour. Le sujet est tabou et sa pratique soulève plusieurs questions d’ordre éthique, juridique et religieux qu’il est difficile d’aborder sans controverses. Invité à s’exprimer sur l’aspect religieux, Kamel Chekkat, théologien, nuance tout d’abord en commentant les frontières délimitant le hallal et le haram : «La notion de hallal et de haram est aléatoire.» Il lui semble évident que par le principe de la sacralité de la vie dans le domaine du culte, la pratique ne peut être qu’approuvée. Pour l’homme, dont le propos est mesuré et les mots choisis avec rigueur, «le religieux doit intervenir avec parcimonie sur ces questions». Il suggère de laisser un espace à des juges pour faire valoir leur pouvoir discrétionnaire afin d’être plus proche des enjeux propres à chaque cas. Dans l’assistance, on s’interroge sur le niveau intellectuel de ces juges à qui l’on donnerait ce pouvoir, mais aussi sur le silence des autorités face aux condamnations de la pratique portées par des muftis autoproclamés sur certaines chaînes de télévision. La controverse s’invite très vite au débat, qui a de longs jours devant lui.
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