vendredi 30 octobre 2015

Le black-out a mis à nu l’absence de stratégie des TIC en Algérie

Rencontré en marge du salon Med It, qui s’est tenu du 26 au 29 octobre à Alger, le journaliste et expert en TIC, Abderrafik Khenifsa, nous dévoile les non-dits autour de la rupture du câble sous-marin reliant Marseille à Annaba et les raisons pour lesquelles elle n’a pu être évitée. - Affaire de la rupture du câble Marseille-Annaba ? D’abord je pense que c’est un malheureux concours de circonstances qui a engendré les conséquences que l’on sait. Certaines personnes ont voulu lier cette histoire à une éventuelle volonté de contrôler internet ; je n’y crois pas, car il y a toujours moyen de le faire discrètement, sans que le grand public ne s’en rende compte. Par contre, on a peu parlé du câble sous-marin Medcable, qui appartenait à Orascom, les questions que je me pose sont : pourquoi il est éteint  ? Pourquoi il n’a pas été activé pour pallier aux conséquences de l’incident ? Est-il mis à jour  Qui faut-il payer pour le faire fonctionner ? Ce que je trouve intéressant par contre, c’est l’impact qu’a eu cette histoire sur la population. Aujourd’hui, les Algériens de six ans à quatre-vingt-dix ans savent qu’il faut un câble sous-marin pour avoir internet, que c’est de la fibre optique, qu’il n’y a que deux câbles qui alimentent le pays, qu’il en faut plus, que mettre 80% de la capacité sur un seule câble n’est pas très intelligent, qu’il faut un navire câblier et des sous-marins de poche pour réparer un câble pareil. Donc, pendant près d’une semaine, on n’a pas parlé du prêcheur télévisuel du moment que dans la dernière fatwa en vogue, on n’a parlé que de ça. Ça a permis à l’Algérien moyen d’acquérir des éléments de langage et j’ai senti une véritable appartenance au XXIe siècle. - Cet événement est-il un 11 septembre numérique pour l’Algérie ? Il a en tout cas révélé plusieurs défaillances, d’abord, je trouve inconcevable qu’on place 80% de sa capacité sur un seul câble, ensuite je ne comprends pas qu’un pays de deux millions et demi de kilomètres carrés et de 1600 km de côtes ne soit alimenté que par deux sorties. Pis encore, pourquoi avoir choisi encore une fois l’Espagne pour relier l’Algérie, alors que de l’aveu même des responsables d’Algérie Télécom, le mega-octet envoyé coûte six à dix fois le prix de l’équivalent sur le câble SWM4 Marseille- Annaba, alors qu’on a d’autres ouvertures, comme l’Italie, la Tunisie ou le Maroc ? Pourquoi choisir toujours un consortium qui nous relie à la France ? Alors qu’il y a des consortiums plus Sud-Sud, comme celui reliant l’Inde à la Grande-Bretagne, ou le câble africain ? Il faudrait être à l’affût et faire de la veille et de la prospective pour rejoindre les consortiums qui ont des projets dans notre région, les rejoindre et en faire bénéficier le pays. L’autre défaillance révélée a été l’absence du privé du jeu, j’ai rencontré deux fournisseurs d’accès alternatifs, qui disaient, en se basant sur le coût de référence de 30 millions d’euros, payé par Orascom à l’épique, qu’ils étaient prêts à investir dans un câble sous-marin si nécessaire. En dehors du monde des télécoms, cette histoire a peut-être montré la faiblesse de la capitainerie du port Annaba, qui n’a pas prévenu le navire en faute qu’il se trouvait au-dessus d’une zone où il ne fallait pas mouiller. - Cet incident n’est pas une première, en 2001, 2003 et 2009, ce même câble avait été rompu, pourquoi rien n’a été fait pour prévenir ces répétitions ? En 2009 il y a eu un plan Orsec Algérie, dans lequel il a été décidé le lancement d’un troisième câble Oran-Valence avec un budget qui lui a été alloué, cependant et malgré le fait que ce genre de chantiers soient compliqués sur le terrain, rien n’a été fait en six ans, ce qui est incompréhensible. - Quel état des lieux peut-on faire du secteur du Net en Algérie, surtout en comparaison avec les pays voisins ? Pour ce qui est de la démocratisation de l’accès, on a fait de grands pas. Les chiffres officiels parlent d’un million et demi d’abonnés à l’Adsl et de 8 millions d’abonnés à la 3G, c’est à la fois important et faible, la seule chose qui est certaine, c’est que ce nombre, le mobile aidant, évolue très vite et fera appel à plus de bande passante. Pour ce qui est des voisins du Nord, la Tunisie et le Maroc, leur façon de travailler, d’attaquer le marché international montre qu’ils ont une stratégie au moins pour internet, ils en ont fait un outil de production, de richesse et de valeur ajoutée à part entière et ont mis les moyens pour y parvenir. La Tunisie a aussi connu une coupure de câble au même moment, mais du fait de la redondance, et qu’ils sont mieux organisés, ils ont été peu affectés. De plus, une entreprise tunisienne est fière d’avoir un site web en TN par exemple, en plus de mise en place de data centers. Tout cela fait que le trafic internet reste captif à l’intérieur du pays et ne génère pas des coûts de location de bande passante à l’international, aujourd’hui le ratio interne/externe approche les 40/60, nous a-t-on dit, et il est prévu de l’inverser prochainement, alors qu’en Algérie, il est de 1/99. D’ailleurs, la coïncidence de l’affichage des listes AADL, sur leur site web, hébergé à l’étranger, a poussé Algérie Télécom, en pleine panne, à allouer plus de bande passante et donc payer pour que les utilisateurs soient acheminés sur le site et financé par la même, un petit hébergeur étranger et les transporteurs, alors que s’il avait été dans un data center algérien, il n’y aurait eu aucun surcoût, qu’il serait demeuré accessible avec à la clé de l’emploi et de la richesse en Algérie. Tout repose sur l’existence d’une stratégie et d’une vision ou la réponse à la question «que va-t-on faire des IT pour l’Algérie». - En parlant de stratégie, quel est l’impact de l’absence de paiement électronique sur l’économie ? Enorme, car sans paiement, on a arrêté ou plutôt suspendu les start-ups et on a donc gelé le passage à la nouvelle économie. - Quelles sont pour vous les mesures urgentes à prendre pour rattraper le retard accumulé ? Je ne pense pas que l’Algérie souffre d’un quelconque retard, nous manquons de vision et de stratégie, personne dans le secteur ne semble savoir où se diriger. Nous avons avant tout besoin de faire un point ou faire des assises du secteur, faire un état des lieux précis, connaître nos forces et nos faiblesses. Il est bien beau de dire que nous avons de bons ingénieurs. Qui peut connaître en détail leurs capacités ou les domaines où ils excellent ? Il faudrait absolument que nous sortions de nos évaluations subjectives, certifier les hommes, normaliser les process et les entreprises et renouer avec l’engineering. L’entité de bureau d’études informatique n’existe pas en Algérie, alors que les institutions font appel à des cabinets étrangers pour établir leurs stratégies. Il faudrait aussi qu’il y ait des appels d’offres nationaux et qu’ils ne se résument pas aux équipements. A partir de cela, il sera possible d’unir un écosystème derrière une stratégie avec des objectifs bien définis.  

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