vendredi 30 octobre 2015

Un ancien moudjahid réclame ses droits

Condamné par le tribunal permanent des forces armées de Constantine en juin 1958 aux travaux forcés à perpétuité pour tentative d’assassinat. Hospitalisé suite à des tortures, puis amnistié en 1962. Détenu auparavant à la maison d’arrêt de Constantine, du mois de février 1957 au mois de février 1958, jour de son transfert à la prison centrale de Lambèse. A la veille du 61e anniversaire du déclenchement de la guerre d’Algérie, un moudjahid ancien condamné à mort clame «L’anonymat et la fierté». «Résignation et satisfaction» (essbar wal qanâa) est la devise de Djemaï Kechida, 79 ans. Condamné à mort en 1957, puis, grâce à Gisèle Halimi, il échappe à la guillotine pour être condamné à perpétuité aux travaux forcés. Une année à la sinistre prison de Constantine Coudiat pour être transféré à Lambèse où il restera jusqu’au mois de mai 1962. Les souvenirs de ces années reviennent par bribes. Arrêté au centre-ville, il n’arrive même pas à situer la place exacte tant la mémoire s’étiole. Notre ancien condamné semble plutôt serein lorsqu’il évoque les années de braise, mais bizarrement hors de lui lorsqu’il revient au temps présent. Maigre, édenté, souffrant d’une douleur au bras gauche abîmé «par un voyou qui s’est accaparé de la terre que j’ai héritée de mon père et qui m’a agressé», a-t-il fulminé au point de perdre son souffle. Retour aux années 1950 et retour au calme. Le regard scrutateur comme à la recherche d’indice, il se rappellera de cette nuit où il dut marcher 10 km pour s’enquérir du devenir de ses compagnons partis plus tôt pour placer une bombe sur le passage de blindés. Il se rappelle de l’emplacement de la bombe, du caniveau ayant servi au passage des fils qui la reliaient au détonateur et puis, du coup, la mémoire s’estompe. Est-ce le syndrome de Stockholm ? Ou bien est-ce peut-être le refus de raconter ? Durant deux heures de discussion, il n’arrête pas de faire le va-et-vient entre le passé, qu’il semble vénérer et le présent qu’il abhorre ! Lorsqu’il évoque l’année passée à la prison de Constantine, ses yeux dégagent une lueur de fierté, puisque, nous précise-t-il, « j’étais dans le quartier d’où s’était échappé Mostefa Benboulaïd » ! A un moment, il fit l’effort de se lever, ouvre la porte d’une armoire et tire un sachet où il garde jalousement tous ses papiers. Pour mieux nous convaincre, il arbore un certificat de présence en détention que lui a délivré le ministère de la Justice. Dans le tas, il évoque son frère Aboubakr, tombé au champ d’honneur, ainsi que la maison familiale qui servait de point de chute pour les moudjahidine. Il marque un temps d’arrêt, puis, avec beaucoup d’amertume, revient à la charge : «Nous avions une jument que nous utilisions pour transporter les moudjahidine blessés. Elle a été abattue lors d’une perquisition par les soldats français ! ». Tout d’un coup, le regard grave, les nerfs à fleur de peau, il revient au présent pour se rappeler que le 4 novembre prochain il doit se présenter à la barre pour être confronté à son agresseur. Il est hanté par cette affaire qu’il n’arrive pas à s’expliquer : «Tout ça pour ça ! », semble-t-il s’indigner. A la veille de ce 61e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération, El Djemaï Kechida, en appelle aux autorités à regarder un petit peu du côté de ceux qui sont restés anonymes et qui n’ont besoin que de leurs droits.

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