Les habitants d’In Salah et les militants contre l’exploitation du gaz de schiste en Algérie ignorent toujours le devenir du projet, six mois après son gel par le président de la République. Des experts et d’anciens cadres ont accepté de parler des dessous de ce dossier sensible de l’Etat. «Du projet d’exploitation du gaz de schiste à In Salah, il ne reste que deux torches (pratique qui consiste à brûler dans des torchères le gaz issu de l’extraction) perchées sur un site quadrillé par les militaires et la Gendarmerie nationale.» Un ingénieur pétrolier originaire de cette petite ville du sud de Tamanrasset, qui a connu pendant plus de trois mois une mobilisation sans précédent contre l’exploitation du gaz de schiste en Algérie, affirme : «Les compagnies de services (des sous-traitants aux sociétés pétrolières qui s’occupent entre autres du forage et du coffrage des puits) ont réalisé ce que nous appelons dans le domaine pétrolier le Drill Stem Test (DST) ou le test par tiges de forage. Mais l’appareil de forage, lui, est démobilisé depuis avril dernier.» Mohamed Saïd Beghoul, ancien directeur de la Division exploitation Oil&Gaz de Sonatrach, explique : «Il n’y a pas eu d’exploration de gaz de schiste à In Salah, car nous connaissons déjà l’état des réserves. Ce n’était qu’une appréciation pour essayer de savoir ce que ces schistes ont dans le ventre. C’est-à-dire l’évaluation du potentiel de production du gaz non conventionnel dans cette région.» Sur les 11 puits prévus, deux seulement ont été forés par les deux compagnies de services, Schlumberger et Haliburton. «Ces compagnies ne sont pas des investisseurs», précise Rabah Reghis, consultant et économiste spécialiste des hydrocarbures et membre du Collectif national pour un Moratoire sur les gaz de schiste (CNMGS). Coûteux L’ingénieur pétrolier soulève l’existence d’un troisième puits pour lequel les travaux n’ont jamais été entamés. «Le troisième forage devait être réalisé par Baker Petroleum. Il a été abandonné à cause des contestations, révèle-t-il. Quant au forage vertical, il a été confié à l’Entreprise nationale des travaux aux puits (ENTP)». Selon des proches du dossier, les 31 blocs (terrains contenant du gaz de schiste) mis en vente par Sonatrach n’ont attiré personne. Quatre appels d’offres ont été lancés, en vain. «Un projet qui n’est pas rentable ne peut attirer les investisseurs. De plus, qui va prendre le risque de nous suivre dans cette affaire ? Personne», explique Rabah Reghis. Total, entreprise pétrolière française annoncée comme exploiteur du projet, a fini pas «se retirer». Une information évoquée par la firme sur son site internet en janvier 2015, sans explication : «Le permis d’exploitation d’Ahnet étant arrivé à échéance le 6 juin 2014, Total n’y est plus présent depuis cette date». «L’Algérie n’a pas non plus les moyens, à l’heure actuelle, de l’exploiter, assure Rabah Reghis. Avec quoi voulez-vous que l’Etat finance un investissement très coûteux comme celui du gaz de schiste dans une période où plusieurs projets d’utilité publique ont été abandonnés à cause de la chute du prix du baril ?» Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach (voir interview) n’est pas de cet avis. Pour lui, le gaz de schiste représente l’avenir énergétique de l’Algérie. Réserves «Le secteur de l’énergie a décidé de promouvoir la recherche dans l’immédiat et l’exploitation future de ce gaz si les premiers résultats sont positifs et non contraignants, parce qu’il a dû prendre conscience de l’épuisement rapide de nos ressources dans les décennies à venir, et par conséquent de la nécessité de préparer dès maintenant les moyens et les ressources pouvant assurer la sécurité énergétique du pays dans 15 à 20 ans au plus tard», défend-il. Rabah Reghis réplique : «L’Etat a fait croire qu’en exploitant le gaz de schiste, il allait couvrir le déficit causé par la baisse du prix du baril. C’est faux. Car il y a 1,6 million de kilomètres carrés non exploités encore de gaz conventionnel. Et puis, nous n’avons même pas écoulé les quantités du gaz produit.» L’Algérie dispose encore de 4500 milliards de mètres cubes de réserves en gaz conventionnel. Le prix à la vente des deux gaz, conventionnel et non conventionnel, est le même. La seule différence réside dans leur coût de production. Le gaz de schiste revient plus cher. Quant aux réserves algériennes des deux gaz, elles sont, selon les experts, presque les mêmes. Mohamed Saïd Beghoul explique que l’Algérie a été prise à contre-pied par les estimations surévaluées données par les Etats-Unis : «C’est l’Agence américaine de l’énergie, spécialiste dans l’évaluation des réserves, qui a fait croire à l’Etat que l’Algérie possédait d’énormes quantités de gaz de schiste. Elle les a estimées à 20 000 milliards de mètres cubes. Ce qui nous met à la 3e place mondiale. Et puis, l’Etat a découvert que ces chiffres étaient surestimés. Nos réserves en gaz de schiste sont évaluées à seulement 5000 milliards de mètres cubes.» Timimoun Rabah Reghis ajoute : «Ce projet n’a pas d’avenir et n’existera que sur papier, car il n’est pas rentable. Le gouvernement va s’arrêter le jour où il payera plus qu’il en encaissera. D’ailleurs, aucune personne du gouvernement n’en parle depuis longtemps.» Si des tests ont été réalisés, ces experts avouent ne pas connaître les résultats. «Nous sommes au courant de tout ce qui se passe aux Etats-Unis, mais rien à In Salah. Personne n’a communiqué le débit journalier. Si le débit était bon, l’Etat l’aurait directement communiqué et la nouvelle serait à la une des journaux. Ce qui nous fait croire que les résultats ont été décevants», prédit l’ancien directeur de Sonatrach. Les habitants d’In Salah ne comprennent pas pourquoi les torches sont encore allumées, six mois après le gel du projet par le chef d’Etat. Mohamed Saïd Beghoul explique : «Le but consiste à connaître la durée de vie des puits car ils n’intéresseront pas l’investisseur s’ils ne débitent que pour quelques mois.» Le seul gaz en dehors du conventionnel qui sera exploité en Algérie, c’est le tight gaz situé par les experts entre le conventionnel et le non-conventionnel. C’est un projet en développement implanté à Timimoun dans la wilaya d’Adrar. 37 puits de production prévus pour un plateau de production de 5 millions de m2/jour. Total détient 37,5% du projet, Cepsa, 11,25% et Sonatrach, 51%. La production débutera à partir de 2017.
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