Un mercredi printanier, précisément le 26 mai 1993. Cité des 600 Logements à Bainem, dans la banlieue ouest d’Alger. A peine réveillé, Tahar Djaout se met au volant de sa 309 pour rejoindre son lieu de travail. Il est 9h. Ne se doutant de rien, l’enfant d’Oulkhou met en marche le moteur et laisse tourner. C’est alors que des tapotements sur la vitre de sa portière se font entendre. Tahar aurait sûrement pensé à un voisin venu le saluer. En se retournant pour comprendre ce que voulait le jeune homme planté devant sa voiture, il reçoit une balle en pleine tête tirée à bout portant. Le forfait accompli, il sera jeté à terre par ses assassins qui démarrèrent sur les chapeaux de roue laissant la victime gisant dans une mare de sang. Transporté en urgence vers l’hôpital de Bainem, l’écrivain-journaliste est déclaré dans un état critique. Après huit jours de coma, il succombe à ses blessures le 2 juin. La nouvelle tombe tel un couperet. L’intellectuel universel, l’écrivain-journaliste et directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Ruptures n’est plus. Après Senhadri, Liabès, Flici et tant d’autres, Djaout rejoint le panthéon des martyrs de la décennie rouge. A travers lui, les terroristes ont ciblé un républicain, épris de démocratie, de rupture avec l’ancien mode de pensée, le système et ses hommes. Le seul «tort» de Tahar Djaout, selon les aveux de ceux qui ont commandité son assassinat, «c’est parce qu’il est communiste. En plus avec ses idées et sa manière d’écrire (il écrit bien), il pourrait influer les musulmans». Passant aux aveux, le chauffeur du commando affirme que l’ordre d’abattre Tahar Djaout venait de Abdelhak Layada, «émir» du GIA, et qu’une fatwa avait été lancée contre le journaliste car il était «communiste». Tahar Dajout fut l’un des premiers intellectuels victimes de la nébuleuse terroriste qui a secoué l’Algérie durant les années 1990. Né à Oulkhou, dans la région d’Azeffoun le 11 janvier 1954, Tahar Dajout écrit à partir de 1975 une série de recueils de poèmes dont Solstice barbelé, L’arche à vau-l’eau. Passionné de journalisme, il exerce à partir de 1975 à l’hebdomadaire Algérie- actualité tout en collaborant à Actualité de l’émigration sous un pseudonyme. Janvier 1993, il dirige l’hebdomadaire Ruptures. Tahar Dajout, c’est également la production littéraire, il a signé plusieurs œuvres, L’exproprié, Les chercheurs d’os, L’invention du désert, Les vigiles. Il est par ailleurs l’auteur d’un bon nombre de nouvelles, dont Les rets de l’oiseleur, Les mots migrateurs, ainsi qu’un livre sous forme d’entretien avec l’écrivain Mouloud Mammeri. Son exécution par un commando du GIA a été suivie de la constitution d’un comité vérité sur l’assassinat de Tahar Djaout, dont l’un des co-fondateurs, le psychiatre Mahfoud Boucebsi, est assassiné à son tour, à l’arme blanche, le mardi 15 juin. Et depuis, les meurtres d’artistes et d’intellectuels se sont poursuivis jusqu’en 1998, parfois au rythme de plusieurs par mois. Tahar Djaout était un militant engagé et le symbole d’un intellectuel autonome qui renvoie dos à dos les islamistes et le pouvoir. Paraphrasant le poète palestinien Samih El Kacem, il clame face à l’intimidation islamiste au début des années 1990 : «Le silence c’est la mort, Et toi, si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs, Alors, parles et meurs !» Son verbe militant et engagé est perceptible dans ses œuvres. Nadjib Stambouli, journaliste-écrivain qui l’avait côtoyé à Ruptures témoigne des qualités humaines et intellectuelles du défunt romancier, dans un portrait intitulé : Djaout, la poésie incarnée, paru dans son ouvrage Ma piste aux étoiles : «Toujours disponible pour un conseil, un partage d’information, Djaout ne devient grand écrivain et journaliste que pour avoir été un grand homme.» Et de citer Arezki Metref qui affirmait : «Il faut un siècle à l’Algérie pour produire un Djaout, mais il a suffi de dix ans d’école algérienne pour produire son assassin.»
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