- La société vit une montée de violence qui s’exprime sous différents aspects (verbale, physique, psychologique, harcèlement, criminalité…). La violence en milieu scolaire peut-elle être considérée comme étant le reflet de ce vécu ? Peut-on évaluer le phénomène de la violence dans nos écoles (énorme, important, insignifiant, pas inquiétant…), si l’on se réfère à des indicateurs de spécialistes ? Effectivement, la société algérienne vit une violence chronique sur tous les plans, vu notre histoire violente de l’antiquité à la période contemporaine, cette dernière qui fait la spécificité de l’Algérie qui a eu son indépendance – contrairement à nos voisins – après une guerre sanglante. Une réalité aggravée par la montée du terrorisme des années 1990, une période difficile qui a donné naissance au sentiment d’insécurité et de menace permanente. Les jeunes d’aujourd’hui qui ont entre 15 et 25 ans sont nés en cette période et les conséquences sont visibles dans notre quotidien et dans tous nos espaces. Parmi ces espaces, on trouve l’école qui malheureusement est devenue un système en pleine crise morale. Une culture scolaire précaire, vulnérable à toutes menaces de l’extérieur, notamment en l’absence d’un projet sociétal clair. C’est cette même école qui a produit la violence et qui subit ses conséquences aujourd’hui, c’est le double reflet qui est plus délicat à traiter. L’évaluation de ce phénomène est exclusivement orientée vers la violence physique, bien que la gravité se situe dans le non-mesurable, la violence verbale et notamment symbolique, l’origine sociale des acteurs de cette violence, les zones les plus touchées par ce fait… Ce sont des paramètres-clés pour la compréhension et la prise en charge de ce phénomène. Si l’on se réfère à ces données, on peut dire que les mêmes causes du terrorisme des années 1990 sont reproduites dans notre société et la violence scolaire n’est pas négligeable par rapport à cette réalité ; les mêmes causes produisent les mêmes effets. - Y a-t-il des études faites par des sociologues qui s’intéressent à la question de la violence en milieu scolaire ? Quels sont les facteurs relevés ? Des études qui naissent toujours dans leurs tombes, sauf celles qui sont à consommation politico-idéologique. Il existe certains travaux de thèse qui malheureusement ne sont pas exploités par les autorités éducatives vu leurs résultats qui dérangent. Les mémoires de nos étudiants ne sont même pas classés dans notre propre bibliothèque ! Il faut reconnaître aujourd’hui que l’école algérienne n’est pas professionnelle !!! Bien que la violence touche beaucoup plus les lycées et les collèges, le mal vient de la base : les enfants de bas âge sont encadrés par des instituteurs et un personnel issus majoritairement des facultés qui n’ont rien à voir avec la profession et la pédagogie. Des licenciés en chimie, génie civil, mathématiques, droit, littérature arabe, sociologie des organisations… Notre école est un appareil de création d’emploi loin de toute innovation culturelle et pédagogique. Cette absence de politique de formation des formateurs mène le système éducatif vers la faillite et la non-maîtrise des élèves. Les établissements scolaires sont dépourvus – comme l’Etat – de son autorité mandarinale, ils ne sont plus des institutions extraordinaires, ils gèrent des effectifs de plus en plus sans repères. En effet, on trouve dans une même classe des dizaines de sous-cultures chacune avec ses orientations, orientalistes et occidentalistes, il y en a de partout sauf de chez nous ! Ce sont des conflits macrosociologiques qui s’expriment par des interactions microsociologiques, notamment par une violence qui est une forme de communication interne et externe de l’école. Ajoutant à cela l’impulsivité des acteurs éducatifs qui ont une prédisposition à la colère, ils viennent d’un environnement social hostile vers un espace compressé en raison d’absence d’activités culturelles et sportives. Notre système éducatif est très critiqué à cause d’un rythme scolaire excessivement rapide avec des horaires inadaptés, mais aussi l’inadéquation entre le temps scolaire et le temps extra-scolaire qui doit être maîtrisée par la famille et les autres institutions éducatives. - Les études du ministère de l’Education indiquent que les cas de violence enregistrés sont plus importants (en nombre) chez les élèves du cycle moyen. Cela indique-t-il des efforts à faire en matière de comportement face à un élève en pleine adolescence ? Quelles sont les mesures urgentes que vous jugez nécessaires à introduire pour faciliter la communication avec les élèves ? La violence scolaire est un phénomène social complet, plusieurs dimensions s’imposent, donc l’approche quantitative du ministère ne suffit pas pour comprendre une école maltraitée dans sa profondeur, les statistiques parlent tous les langages sauf celui de la sociologie, elles montrent tout mais cachent l’essentiel. L’exemple de la région de Béjaïa est très frappant, la wilaya est classée sous la moyenne nationale de la criminalité, mais elle dépasse de loin la moyenne des cas de violence scolaire ! Donc une étude qualitative est inévitable. Entre-temps, des mesures urgentes sont plus que nécessaires pour faire face à la montée de ce phénomène, le cas des sanctions modèles qui doivent se faire dans les établissements sensibles, ainsi que la création de cellules inter-établissements pour la sensibilisation et la prévention. A moyen terme, il va falloir penser à une stratégie de formation des formateurs pour reconstruire la relation enseignant-élève sur des bases pédagogiques bien étudiées, et permettre à l’école de s’autogérer et faire face à son environnement, notamment la famille et l’institution politique. - Y a-t-il une défaillance de la famille dans la montée de la violence ? Pas seulement une défaillance, la famille est souvent complice dans cette violence, les enseignants provoquent les violences que la famille cultive chez les enfants et s’exprime chez les adolescents. C’est la conception de «l’enfant roi» qui domine la relation enseignant salarié-parents subjectifs. Beaucoup de violence marche bien dans nos écoles, notamment dans sa forme symbolique, c’est devenu même une stratégie de réussite chez certaines familles favorisées, car la violence physique vient généralement des enfants de familles aux conditions sociales précaires. Une grande partie des familles ne comprennent pas qu’effectivement l’enfant est l’axe de l’opération éducative mais il reste toujours élève ; certains enseignants de leur part ont du mal à accepter cette même idée. Une transformation majeure s’est produite dans la relation de la famille à l’école et sa relation aussi au savoir ; l’établissement scolaire est considéré comme serviteur dans la première et plus économique dans la deuxième, l’élément régulateur est absent. C’est l’école qui a créé cette situation, c’est elle seule qui doit y remédier.
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