vendredi 2 octobre 2015

Djedjiga Charguit : Je ne veux pas d’indemnisation pour mon fils disparu

«Il avait 27 ans et était employé à Sonacome. Il a été enlevé quelques mois avant son mariage.» DjedjigaCharguit, 76 ans, pleure toujours son fils Hakim, un des 15 à 20 000 disparus recensés par les ONG — 7000 officiellement — pendant les années 1990. Elle raconte. «C’était un vendredi, le 31 décembre 1993 à 1h du matin. Alors qu’on dormait, j’ai entendu des coups à la porte. J’ai regardé par la fenêtre et un gendarme cagoulé m’a dit : ‘’El hadja, c’est ici la maison des Charguit ? J’ai répondu oui et il m’a de nouveau demandé si Hakim était là, et j’ai dit oui car je n’avais peur de rien», se souvient-elle. «Le temps de réveiller mon mari et de descendre ouvrir la porte, la maison était encerclée et je me suis retrouvée avec une trentaine gendarmes cagoulés chez moi. Ils ont sorti Hakim de sa chambre, l’ont menotté et ont commencé à le frapper. Je n’ai pas supporté et j’ai crié : ‘’Enlevez-lui les menottes et ne frappez pas mon fils devant moi’’», raconte Djedjiga. «Sur ordre de leur chef, ils ont détaché mon fils, ils ont couvert son visage et l’ont mis dans la malle de la voiture.» Djedjiga passe une semaine sans nouvelle de son fils. Elle ramène ses beaux-parents pour persuader son mari de la laisser sortir pour chercher son fils. «J’étais dans la cuisine, mon mari est venu et m’a lancé ‘’la rue est à toi’’. Pour moi, c’était comme si j’avais retrouvé Hakim parce que je pensais que j’allais retrouver sa trace. Malheureusement, ce n’est pas le cas.» Depuis ce jour, Djedjiga ne s’est jamais arrêtée. Des milliers de lettres envoyées, des centaines de sit-in. Elle a frappé à toutes les portes et ne désespère pas de connaître un jour la vérité sur ce qu’a fait Hakim. «On ne sait pas s’il a fait quelque chose ou si on l’a pris par erreur… J’ai enterré deux de mes enfants, mais je ne sais même pas si Hakim est mort ou toujours en vie. Je veux que cette souffrance cesse.» Les deux premières années, Djedjiga et plusieurs parents de disparus se présentaient chaque lundi devant le tribunal de Sidi M’hammed pour voir si leurs enfants allaient être présentés devant la justice. «On a passé des journées entières sous la pluie et sous le soleil, rien ne nous arrêtait», se souvient-elle. Il y a cinq ans, une femme est venue voir Djedjiga chez elle, à Kouba, pour lui dire que Hakim est incarcéré à la prison d’El Harrach. «On a longtemps essayé de trouver des traces, mais sans succès, car les prisonniers comme Hakim sont immatriculés tels des voitures. Même les gardiens ne connaissent pas leur nom», confie-t-elle. Le combat de Djedjiga l’a même conduite en Tunisie. «Je suis partie il y a deux ans en Tunisie où l’on a retrouvé 175 disparus forcés algériens, mais Hakim n’en faisait pas partie. Comment voulez-vous que je pardonne à l’Etat ? Jamais je ne pardonnerai et je ne m’arrêterai pas, sauf si la mort me prend», assure Djedjiga. Il y a deux mois, la wilaya a envoyé deux convocations au nom de Djedjiga pour lui proposer une somme d’argent dans le cadre de l’indemnisation des familles de disparus. «Je ne vendrai pas mon fils avec de l’argent même s’ils m’offrent l’Algérie entière. C’est pour la vérité de mon fils que je lutte. S’il est vivant, dites-moi où il est. S’il est mort, faites des tests ADN et donnez-moi ses os, que je les enterre avec ses deux frères.»  

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