Au terme d’un long conflit latent qui a parfois débordé violemment le sérail, les rapports de forces entre deux blocs du système au pouvoir ont atteint un point critique, rendant ainsi la rupture inéluctable. Laborieusement élaboré, l’arrangement clanique qui a conduit à la reconduction de Abdelaziz Bouteflika au poste de président de la République en avril 2014 et au «sacrifice» du DRS et de son emblématique patron, le général Mohamed Mediene dit Toufik, n’aura pas tenu longtemps. La poussée vers la porte de sortie du secrétaire général du FLN, Amar Saadani, est l’expression spectaculaire d’une «entente» devenue intenable. L’alliance ne pouvait plus tenir dès lors qu’en son sein des ambitions contradictoires commençaient à s’exprimer distinctement à mesure que le chef de l’Etat se «retire» du devant de la scène. Deux camps s’affrontent par partis politiques, ministres, institutions et autres groupes d’influence interposés. Le premier, la présidence de la République, ou ce qui est communément appelé le clan présidentiel, a redouté une perte d’influence et de contrôle sur une étape politique qui s’annonce décisive. Le camp adverse, structuré essentiellement autour du chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, a pris forme au lendemain de sa «victoire» contre le chef du Département du renseignement et de la sécurité, le général Toufik. D’aucuns doutent du rôle décisif du chef d’état- major dans la mise à l’écart de celui qui a longtemps pesé sur les grands choix stratégiques du pays. Renforcé dans ses pouvoirs de chef d’état-major et de vice-ministre de la Défense nationale, Gaïd Salah apparaît au-devant du paysage politique et militaire comme un acteur-clé. Pendant que l’image du président de la République «s’effaçait», la sienne brillait et était diffusée partout. Son poids commence alors à s’affirmer même au-delà de l’institution militaire. Son message de félicitations et de soutien au chef du FLN Amar Saadani lors de son dixième congrès, en juin 2015, marque une nouvelle étape dans son «ascension» cette fois-ci politique et qui scelle le ralliement du FLN de Saadani. «Au frère Amar Saadani, secrétaire général du parti du Front de libération nationale. Il m’est particulièrement agréable de présenter, à votre honorable personne, mes plus sincères félicitations à l’occasion de votre plébiscite, à l’unanimité, comme secrétaire général du parti», avait-il écrit. Un message qui a soulevé un tollé général au sein de l’opinion, mais qui a surtout éveillé de sérieux soupçons chez le président de la République, contraint d’adresser lui-même un message au secrétaire général Ahmed Ouyahia, le parti rival. S’installe alors une totale méfiance entre la Présidence et le chef de l’état-major, suivie d’une bataille de tranchées latente. Amar Saadani, émancipé de la tutelle de la Présidence, se charge des potentiels adversaires. Il attaque tous azimuts. Ses principales cibles : le général Toufik et Ahmed Ouyahia, ce dernier devenu entre-temps chef de cabinet du Président. Son ralliement lui confère un poids au point de «décider» de la nomination des ministres et de leur limogeage. A l’intérieur du FLN, des «affairistes de type mafieux» prennent de l’ampleur. A tel point qu’en haut lieu l’on parle ouvertement de «l’axe El Oued-Annaba» qui mine les institutions de l’Etat. Mais les attaques qui ont fait le plus de dégâts au plan politique avec des implications redoutables à l’échelle des relations de l’Algérie à l’international sont celles visant le général Toufik, l’accusant de «fomenter» des troubles et de provoquer des attentats, et des pays partenaires commencent alors à se poser de sérieuses questions. Les services de renseignement sont gravement exposés. Face à la montée en puissance du camp représenté politiquement par Amar Saadani, des inquiétudes gagnent de larges segments du pouvoir et même au-delà. De nombreux acteurs politiques ne cachent plus leurs craintes. D’anciens hauts gradés de l’armée ont tiré la sonnette d’alarme. L’ancien ministre de la Défense, le général Khaled Nezzar, qui fait office d’«autorité morale» au sein de l’armée, multiplie les mises en garde. Réaction épidermique du camp d’en face en faisant voter une loi forçant les militaires à la retraite au silence. L’urgence est de mettre en échec une stratégie de conquête du pouvoir sur les décombres du règne de Bouteflika. Pour ce faire, une nouvelle alliance se met en marche depuis quelques mois déjà pour inverser les rapports de forces dans la perspective d’une recomposition politique mieux contrôlée. Une alliance qui se fera forcément au détriment de celle forgée à la veille de l’élection présidentielle d’avril 2014. La dernière salve de Saadani contre Toufik, le 5 octobre, a fini par mettre à terre le pacte entre les parties au pouvoir qui ont prévalu à la reconduction de Bouteflika pour un quatrième mandat. La violente charge contre Toufik atteste de la panique de Saadani et du camp qu’il représente. Elle signe incontestablement le retour en grâce de l’ancien patron du DRS. «Le clan présidentiel a joué avec le feu en ayant utilisé Gaïd contre Toufik. Une fois Toufik parti, ils se sont rendus à l’évidence de la complexité de l’équation», résume un observateur averti. Son départ est une façon à lui aussi de leur démontrer la nécessité de son action. De toute évidence, l’éviction de Amar Saadani marque le début d’une nouvelle étape de la recomposition politique. Fin et suite.
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