lundi 24 octobre 2016

Contribution : Du dernier aux premiers tabous de la violence coloniale

Mon cher Pierre, J’ai lu avec l’intérêt que tu imagines ta réaction à ma contribution en date du 15 octobre dernier dans les colonnes du quotidien El Watan et elle m’offre l’occasion de quelques précisions. 1 – Je pense que tu as bien compris l’objet de cette contribution qui était notamment de rappeler dans l’espace public national une question qui est moins taboue qu’occultée comme d’autres aspects de la guerre d’indépendance algérienne. Je te signale que j’avais signé, il y a bien plus de vingt ans, une contribution, dans les colonnes du quotidien La Tribune portant pour titre : «Harkis, un point aveugle de notre histoire» et que j’avais publié dans ce même journal un entretien avec Mohamed Harbi et Benjamin Stora sur ce que j’avais appelé «La transgression harkie». Tu me concéderas que le chiffre qui fait débat, convoqué de manière récurrente par les politiques français, est moins celui du nombre de harkis – que tu fais bien de rappeler – que celui des présumés massacres de l’été 1962. Et tel était aussi le sens de la réponse adressée au chef de l’Etat français. Laisse-moi te dire amicalement que la remise en cause des thèses populistes sur «un peuple qui se serait soulevé en masse contre l’oppresseur colonial» n’a pas attendu ton excellent ouvrage et pour les chercheurs algériens la question est moins celle d’une histoire officielle que celle de l’adhésion durable de l’opinion algérienne à cette représentation institutionnelle de la guerre d’indépendance. 2 – Le mot «détail» dérange en France. Pourquoi dérangerait-il en Algérie et pourquoi serait-il l’apanage de Jean-Marie Le Pen ? Je l’ai bien sûr utilisé en connaissance de cause et rapporté à l’histoire coloniale française en Algérie. Ai-je alors besoin de revenir sur la litanie des massacres commis par la République française en Algérie et c’est à l’aune de la longue durée qu’il faut interpeller les violences politiques, y compris celles qui avaient pu toucher les harkis. 3 – Je t’invite enfin à relire le texte de ma contribution avec plus d’attention. Il y est notamment précisé que dans la mémoire collective, la notion de harki renvoie aux faits de violence et précise que tous les harkis n’étaient pas forcément des criminels de guerre. En clair, il s’agit d’une question qui appelle la rigueur documentée de la recherche qui fera pièce aux thèses récurrentes de victimisation des harkis. 4 – Je m’interdis enfin de me prononcer sur la solidité de ton raisonnement dès lors que nous ne nous exprimons pas sur le même registre. Tu as un livre – au demeurant de qualité et utile – à promouvoir, alors que j’essaie, pour ma part, sur le terrain de la recherche, de promouvoir le débat, dans mon pays, sur une histoire algérienne si nécessaire à la construction de la citoyenneté. Un dernier mot pour te rappeler, toi qui connais si bien le monde universitaire algérien, que l’organisation de la recherche post-graduée relève de la compétence de l’administration. Voilà mon cher Pierre. J’espère que le succès du Dernier tabou... t’incitera à remonter le temps colonial et à ouvrir les dossiers des premiers tabous de la présence française en Algérie, notamment la politique d’éradication ethnique des populations algériennes et de leur remplacement – thème en vogue dans la France d’aujourd’hui – par des Européens – chrétiens – d’importation. Amicalement.

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