Une victoire à la Pyrrhus. L’armée syrienne, soutenue par l’aviation russe, a repris la ville d’Alep au terme d’une bataille sanglante. Bachar Al Assad en a fait un objectif stratégique pour affermir son pouvoir. L’arrivée des troupes officielles en compagnie des bataillons russes déployés dans l’est de la ville — évacuée — est arborée comme une victoire finale. Vladimir Poutine salue «un pas important vers le règlement du conflit», alors que Hassan Nasrallah, l’autre soutien du régime, claironne : «un régime est présent, fort, actif que personne au monde ne peut ignorer.» Un tournant dans le chaos syrien. Mais la reprise du contrôle de la deuxième ville de Syrie signe-t-elle réellement le début de la fin d’un conflit meurtrier qui a fait jusque-là plus de 300 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés ? Mais surtout, la «victoire» dont parle le bourreau de Damas a-t-elle donné le coup de grâce aux organisations terroristes que sont Daech (Etat islamique en Irak et au Levant) et le Front Al Nosra, la branche syrienne d’Al Qaîda ? Ces deux organisations qui ont confisqué une insurrection populaire pacifique n’ont pas abdiqué à Alep. Car dans la même semaine, Daech s’est emparé une seconde fois du site historique de Palmyre. La ville d’Idlib — une région agricole et rurale — dans le nord-est du pays, demeure sous contrôle des groupes terroristes et une partie de l’Armée syrienne libre. Cette ville pourrait être le théâtre de la prochaine bataille entre l’armée du régime contre les multiples factions armées «rebelles». Ce qui signifie que sur le terrain, la guerre n’est pas finie, mais elle risque de prolonger le conflit d’autant que pour le moment toutes les tentatives diplomatiques pour un règlement politique butent sur des divergences profondes entre les acteurs internationaux. «Dire que la reprise de la ville d’Alep par le régime signifie la fin du conflit, c’est réduire la crise syrienne à un conflit exclusivement militaire», estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen. «Le régime syrien est conscient que sa capacité de consolider sa victoire est limitée. Non seulement il est l’otage de forces étrangères qui n’ont pas les mêmes intentions que le régime, mais aussi en raison de deux facteurs internes : le premier, la rébellion est toujours présente et opterait pour un mode de guérilla déstabilisant. Et le second, Bachar Al Assad n’est pas en mesure de proposer une approche politique de réconciliation nationale et de transition acceptée par tous. Al Assad peut se targuer d’être le vainqueur à une condition : concilier tous les acteurs externes et consolider son autorité sur la Syrie utile», analyse encore M. Abidi. Le conflit s’internationalise et se confessionnalise Echappant aux protagonistes internes, le conflit syrien est devenu le théâtre d’un repositionnement géostratégique des puissances régionales et internationales. Une guerre par procuration. Washington et Paris enrôlant dans leur stratégie l’Arabie Saoudite et le Qatar d’un côté, et en face, Moscou, Téhéran et la Turquie. Il faut dire que les hésitations de Barack Obama à agir notamment à partir de 2014 ont ouvert un boulevard à la Russie de Vladimir Poutine d’investir le conflit et d’en fixer les règles du jeu. Pas à pas, le chef du Kremlin a pu se rendre incontournable. Après avoir réussi à «résoudre» la crise de l’utilisation de l’arme chimique, il envoie son aviation et des troupes au sol, appuyé par une diplomatie active, immobilisant ainsi un Occident désorienté. Les Occidentaux sont ainsi mis devant le fait accompli. Un peu partout en Europe des voix s’élèvent pour convaincre de la nécessité de «suivre» la stratégie de Poutine : «Eliminer Daech et ensuite on verra». C’est la ligne de Donald Trump, qui prendra les clés de la Maison-Blanche dans moins d’un mois. Dans la semaine qui a suivi l’évacuation d’Alep, un sommet à trois — Russie-Iran-Turquie — s’est réuni à Moscou pour mettre en place un plan de règlement du conflit syrien. Les chefs de la diplomatie des trois pays se sont mis d’accord sur l’urgence de parvenir à un arrêt des combats : «Nous avons principalement abordé la question de l’instauration d’un cessez-le-feu en Syrie et de son expansion sur l’ensemble du pays. Seule la solution permanente sera la solution politique en Syrie», ont-ils indiqué. La Russie se pose ainsi en maître du jeu qui détient la solution. Narguant royalement l’ONU et son envoyé spécial sur la Syrie, Staffan De Mistura, enterrant le processus de Genève, le Président russe se pose en parrain de nouvelles négociations intersyriennes devant se dérouler au Kazakhstan. Ainsi et au terme de cinq ans d’un basculement dans l’horreur, l’insurrection syrienne, mue par une aspiration à la démocratie, s’est transformée en un chaos inextricable. Il est nécessaire de rappeler que les sept premiers mois de la révolte étaient pacifiques et ont touché toutes les villes du pays qui réclamaient la fin de la tyrannie. Dans son obstination à se maintenir au pouvoir, Bachar Al Assad a non seulement écrasé la révolte dans le sang, mais il a diaboliquement militarisé la révolte en libérant de prison les islamistes radicaux tentés par le terrorisme. Ce qui a donné au conflit une autre tournure : «Un Etat qui se bat contre le terrorisme.» Aux manifestations revendiquant la démocratie succède une coalition d’organisations terroristes venues de plusieurs pays structurés, notamment au sein de Daech. Le rôle des pays comme l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie dans le soutien logistique et militaires aux factions islamistes a «renforcé» le régime syrien et ses alliés. Il mobilise à son tour aussi des milices venues de Liban, d’Irak, d’Iran et d’Afghanistan. Le conflit se confessionnalise et s’internationalise. Pris en otages pour des luttes de pouvoir et d’influence des forces internationales, les Syriens paient un lourd tribut. «Il n’y a aucun vainqueur dans cette tuerie. Tous les Syriens ont perdu et continueront à perdre s’ils n’arrivent pas à en finir avec la tyrannie dans ses différentes versions, politique et religieuse», enrage le petit-fils du grand intellectuel syrien Abd Al Rahman Al Kawakibi, auteur du célèbre livre Du despotisme.
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