- Les pouvoirs publics ont décidé de mesures d’aides directes et indirectes à la presse au début de l’expérience pluraliste. Différentes lois de finances ont institué un fonds de soutien à la presse. Pourriez-vous nous en parler davantage ? Mis à part l’opération «versement de l’allocation des trois années de salaire» (en fait, entre deux et deux années et demie, sorte d’indemnité de «licenciement» ne disant pas son nom ) aux journalistes désireux de quitter le secteur public, ce qui avait permis la création des premiers journaux (et entreprises de production audiovisuelles d’information) privés, et ce, grâce à la mise en application des mesures de la circulaire gouvernementale du 19 mars 1990 du gouvernement de Mouloud Hamrouche, il y a eu, certes, bien des facilités (locaux dans des Maisons de la presse avec des loyers symboliques, prêts bancaires rapides pour l’acquisition de matériels informatiques, accès aux imprimeries publiques, exonérations fiscales, tarifs d’impression bas, loyers de logements sécuritaires...), mais cela se faisait presque toujours en dehors d’une gestion légale (je ne dis pas illégale, mais originale... propre à notre système) du Fonds (doté alors de 400 millions de dinars par la loi de finances 1991) devenu, par la suite, Fonds de soutien à la presse écrite en 1998, 1999, puis en 2011, destiné à la seule «formation de journalistes à l’intérieur du pays et à l’étranger»… puis… Bref, toute une gymnastique politico-administrative qui fait que l’intention de départ s’est assez vite retrouvée quasi-totalement détournée et mise au service des calculs politiciens. L’aide de l’Etat à la presse ? Pas une arme fatale, mais bel et bien une belle carotte ! Des textes super, mais des applications incomplètes, retardées ou détournées. - Le Conseil supérieur de l’information (CSI) dont vous faisiez partie a lui-même adopté une «décision fixant les règles d’octroi des éventuelles subventions, aides et subsides accordés par l’Etat aux organes d’information de la presse écrite». Qu’en est-il ? Il faut rappeler que le texte proposé alors par le CSI (une «décision» adoptée le 5 novembre 1991), avait été transmis au ministère de la Communication de l’époque (gouvernement de Sid-Ahmed Ghozali) mais n’a jamais été mis en application. Il ne fut publié au Journal officiel que le 22 novembre 1992 et passa inaperçu. Soyons clairs et ne tournons pas autour du pot, à l’approche des élections législatives, le gouvernement ne souhaitait, en aucun cas, se dessaisir du «Fonds de promotion de la presse écrite et audiovisuelle», créé par la loi de Finances 1991. Par le biais d’une fantomatique «Commission d’aide financière» mise en place au niveau du ministère de la Communication par un décret exécutif en date du 12 décembre 1992, il a servi, surtout et avant tout, ceux qu’il croyait les plus à même de servir la cause démocratique. L’argent a donc été versé directement, et sans transparence, aux titres «proches et/ou amis». Et ce, malgré la polémique qui s’était installée autour de ce «trésor» (à l’époque dans les 40 milliards de centimes). - Quelle est la situation actuelle de ce fonds ? Il y a un fonds, il y a de l’argent. Une partie est certainement dépensée pour la «formation» (les multiples rencontres où les «points de presse» ministériels prennent bien plus de temps que les conférences elles-mêmes !) et c’est tant mieux. Il me semble que les autorités ne sont pas (comme toujours) satisfaites des expériences précédentes, ne savent pas comment opérer face à un secteur, il est vrai, assez inorganisé, parfois insaisissable (à qui la faute ?) et n’osent pas tomber dans le piège du «semeur d’argent». De toute façon, selon moi, là n’est pas la solution. Ce serait, tout simplement, encourager peut-être des canards déjà boiteux (secteur public y compris) et retarder des fins de parcours annoncées. - Le ministre de la Communication a demandé aux journalistes de s’organiser pour rendre le Fonds d’aide à la presse «opérationnel». Il a affirmé qu’il évoquerait les étapes de la mise en place de ce fonds «au moment opportun». Pourquoi l’Etat hésite, selon vous, à lever le gel ? A mon avis, ce n’est ni au ministère ni aux journalistes et même aux éditeurs de presse de gérer un tel fonds et on en arrive même à se demander si un tel «fonds» doit exister... tant qu’il existe une presse écrite publique, bien souvent, pas toujours et pas tous les titres, favorisée (l’Algérie est un des rares pays démocratiques à en avoir une), et tant qu’il n’y a pas une loi sur la transparence économique et financière dans la presse écrite et audiovisuelle (publique et privée). Par contre, ce qu’il faudrait promouvoir, c’est ce qu’on pourrait appeler des aides «indirectes» que le CSI de l’époque avait initiées. Une première lettre datée du 14 novembre 1990, suivie d’une deuxième en juillet 1991, «en attendant la mise en œuvre du texte définitif», avait alors proposé au chef du gouvernement de l’époque (aucune réponse !) d’inscrire dans la loi de finances 1991 des dispositions concernant des facilitations multiples : exonérations de taxes à l’importation des biens d’équipement, sur les bénéfices (durant cinq années), aide à la diffusion, répartition équitable de la publicité institutionnelle, tarifs réduits (transports et PTT) pour les produits et les journalistes en mission... Reprendre donc l’idée avec, cependant, une exception : instaurer un système d’aide financière directe pour la seule presse partisane (et non commerciale). - Quels sont les critères que devraient éventuellement adopter les pouvoirs publics ? Faut-il un nouveau modèle économique ? Jusqu’ici, les autorités publiques ont été incapables d’«inventer» un nouveau modèle économique de l’information et de la communication, la gestion du secteur se faisant au coup par coup et selon les nécessités politiques du moment et des humeurs politiciennes. Bien sûr, on ne peut pas nier qu’il y a eu des bonnes volontés, mais elles se sont toujours heurtées au mur infranchissable des «pouvoirs» en place et aux murs manœuvriers soit des partis politiques soit, depuis le début des années 2000, des lobbies affairistes. Il ne faut pas croire aussi que les éditeurs et les journalistes ont assez de capacité pour pouvoir «inventer» un nouveau modèle qui s’imposerait aux forces de la politique et de l’argent. Qu’ils s’organisent d’abord en syndicats, en associations et en amicales. Ce jour-là, on en reparlera. En fait, le nouveau modèle économique et financier de la presse (écrite et audiovisuelle), comme pour certains autres secteurs, est en train de se construire petitement, silencieusement mais sûrement, avec ses réussites et ses échecs. Et, la crise financière actuelle a, en fait, des conséquences sur l’organisation générale du secteur (public y compris) et bien des «plumes» vont se perdre en cours de route. Heureusement que le secteur de la communication va retrouver une autre jeunesse (après celle de 1990) avec les bouleversements technologiques en cours dans le monde et, immanquablement, en Algérie. On en voit déjà les premiers effets !
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