mardi 27 octobre 2015

La Banque mondiale plaide pour un nouveau contrat social

A l’heure où les perspectives de l’économie mondiale s’assombrissent, la question demeure entière quant à l’impact de cette conjoncture morose sur les perspectives de croissance dans la région MENA, ainsi que sur le contexte politique général dans la région. Et c’est dans ce sens justement que la Banque mondiale vient de publier un rapport sous le thème des inégalités, soulèvements et conflits dans le Monde arabe. Un rapport qui sonne à la fois comme un avertissement et comme un mea-culpa de l’institution de Bretton Woods, qui reconnaît que les indicateurs macroéconomiques n’ont pas permis de percevoir l’indice de satisfaction des classes moyennes dans les pays du Printemps arabe. Le cas de la Tunisie n’est certainement pas étranger à cette remise en question. Longtemps considéré comme le bon élève du Maghreb en matière d’ouverture économique par Doing Business, la Tunisie, qui affichait des indicateurs macroéconomiques au vert, cachait un système basé sur un «capitalisme des copains» qui alimentait une insatisfaction grandissante au sein des populations. C’est dans ce sens justement que le rapport de la Banque mondiale estime que «les événements du Printemps arabe ont pris le monde par surprise. Les indicateurs de développement standard n’ont pas réussi à prendre en compte ou à prévoir l’explosion de colère populaire au printemps 2011». Pourtant, «la région MENA a non seulement atteint les Objectifs du Millénaire pour le développement en matière de réduction de la pauvreté et d’accès aux services d’infrastructure (en particulier les réseaux d’eau potable et d’assainissement et la connexion à internet), mais elle a également fait d’importants progrès vers la réduction de la famine, de la mortalité infantile et maternelle, et en direction de la scolarisation», note encore le document. D’où la nécessité de rechercher les causes des inégalités, de l’insatisfaction et des conflits. Si les rédacteurs du rapport ont d’abord recherché les causes de la frustration de la population dans les inégalités de dépenses et de revenus, il s’est au final avéré qu’elles sont bien moins importantes dans la région MENA que dans les pays développés. Le fait est que les régimes de la région MENA, basés sur un système de redistribution des revenus, ont largement contribué à réduire ces inégalités. Cependant, les populations, estime encore l’institution de Bretton Woods, se sentaient exclues de la richesse créée par les grandes entreprises arabes, qui sont rarement cotées en Bourse et lesquelles sont «détenues par de riches familles ou sont des entreprises d’Etat». Selon le rapport de la Banque mondiale qui s’appuie sur des sondages d’opinion, «les citoyens ordinaires, notamment ceux appartenant à la classe moyenne, étaient mécontents de la détérioration de leur niveau de vie due au manque de perspectives d’emploi dans le secteur formel, à la piètre qualité des services publics et à l’absence d’éthique de responsabilité de la part des pouvoirs publics», qui ne se sentaient pas comptables de leurs actions. Les chercheurs se sont également penchés sur les richesses dissimulées dans les paradis fiscaux. Si celles-ci ont augmenté de manière graduelle entre 1980 et 2012, les données de la Banque mondiale démontrent une réduction importante de l’écart entre la part de ces richesses dissimulées dans le PIB de la région MENA et le reste du monde. C’est d’ailleurs dans ce contexte que l’institution de Bretton Woods estime que l’indicateur des fortunes dissimulées ne peut pas être révélateur des inégalités, mais qu’il a plus trait à «la corruption, l’évasion fiscale, le contrôle des mouvements de capitaux et le stade de développement du secteur financier national». Au final, la Banque mondiale estime que les pays en développement de la région MENA sont «à faibles inégalités des dépenses et à forte redistribution». Cependant, elle estime que «les disparités entre les revenus, qui sont plus difficiles à mesurer, étaient probablement plus importantes (…). Les gens ordinaires étaient frustrés de ne pas pouvoir recevoir leur part de la prospérité créée par les grandes entreprises arabes, privées ou étatiques pour la plupart». Et de conclure que «les inégalités de revenu ne faisaient pas partie des premières revendications exprimées avant le Printemps arabe. La classe moyenne évoquait davantage la baisse de son niveau de vie liée à la pénurie d’emplois décents, à des prestations publiques de qualité insatisfaisante et à l’absence d’obligation de rendre des comptes». D’ailleurs, les trois principales raisons avancées par les personnes interrogées à propos des causes du Printemps arabe concernent d’abord la lutte contre la corruption et l’amélioration de la situation économique, puis la réclamation de plus de justice économique et sociale. Dans un contexte où le système de redistribution des revenus par les transferts sociaux et les subventions est mis à mal par la détérioration des équilibres budgétaires des pays de la région MENA, dans ce contexte de crise, les conclusions de l’étude confortent la Banque mondiale dans sa démarche appelant les pays de la région à rechercher un nouveau contrat social, dans la mesure où «l’ancien contrat social, qui assurait la redistribution des richesses mais privait la population de sa voix au chapitre, s’était enrayé. Dans le Monde arabe, la classe moyenne voulait désormais se faire entendre et avoir plus d’opportunités».  

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