dimanche 5 mars 2017

L’Etat va-t-il enfin consacrer le droit d’accès à l’information ?

Dans un élan inespéré, le ministère de la Justice vient d’annoncer l’élaboration en cours d’un projet de loi consacrant le droit d’accès à l’information, garanti par la Constitution. L’annonce, rapportée par l’APS, a été faite mardi par le directeur général des affaires judiciaires et juridiques au ministère de la Justice, Mokhtar Lakhdari. Ce dernier, s’exprimant devant un parterre de journalistes, à l’occasion d’une visio-conférence animée par la directrice du bureau de la politique d’information au département de la Justice des Etats-Unis, Mme Mélanie Ann Pustay, a précisé qu’outre «les conditions d’accès à l’information, documents et statistiques», le texte fixera «les moyens de recours mis à la disposition du citoyen et les cas de recours à la justice». Voilà une grande nouvelle pour les militants de la démocratie en Algérie, qui, chacun à son niveau, revendiquent la couverture juridique pour exercer leur droit d’informer l’opinion publique et participer à la lutte contre la corruption. «Je ne peux que me réjouir d’une telle annonce. On attendait depuis longtemps cette loi, et c’est très positif parce que la liberté de la presse, par exemple, n’a pas de sens sans le droit du journaliste investigateur d’accéder à l’information», estime, dans une déclaration faite à El Watan, l’avocat et ancien président de la Ligue algérienne des droits de l’homme, Boudjemaâ Ghechir. De son côté, Brahim Brahimi se félicite de l’aboutissement des efforts, notamment des siens, dans le sens de la consécration de ce droit. Pour lui, «ce texte ne peut être qu’en faveur de la démocratie et du citoyen». Le professeur d’université et spécialiste des médias rappelle qu’en mai 1988, bien avant les événements d’octobre, un texte sur le droit du citoyen à l’information avait été adopté, stipulant qu’«une commission pour l’élaboration de ce texte serait instituée», «mais jusqu’à présent il n’y en a pas eu», se désole-t-il. Liberté d’expression et information La société civile, la classe politique, les journalistes et les chercheurs universitaires, jusqu’au citoyen lambda ont besoin d’accéder librement aux informations détenues par les institutions. Toute rétention de l’information, exception faite de celle touchant à la vie privée et à la sécurité de l’Etat, relève de la politique autoritaire et antidémocratique. Il ne peut y avoir de démocratie participative sans la garantie, en effet, de la participation des citoyens à la prise de décision et de transparence dans la gestion des affaires publiques. L’Unesco définit le «droit d’accès à l’information» (DAI) comme un droit fondamental de l’individu et de la collectivité de chercher à savoir et de faire savoir ce qui se passe dans la vie publique. L’institution onusienne soutient encore que «la liberté de l’information et la liberté d’expression sont les principes fondateurs d’un débat ouvert et informé. L’association de l’accès à l’information et de la participation des citoyens aux médias ne peut que contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance et d’autonomisation». Le premier pays à avoir mis en place une telle législation fut la Suède en 1776, voilà près de 250 ans ! Il y a 25 ans (en 1990, seulement 13 pays étaient dotés de législation sur le sujet), la liberté d’information était encore embryonnaire, et depuis, elle a été consacrée dans une grande partie de la planète. L’Unesco se félicite qu’au Maghreb «le décret-loi 41 relatif au droit d’accès à l’information est en vigueur depuis 2011 en Tunisie, tandis que la nouvelle Constitution marocaine reconnaît le ‘‘droit d’accès aux informations publiques’’ dans son article 27». L’Algérie ne fait aujourd’hui que s’aligner sur les lois internationales qu’elle a ratifiées. L’article 19 de la Convention internationale des droits civils et politiques stipule en effet que «toute personne a le droit à la liberté d’opinion et d’expression ; ce droit doit inclure la liberté d’obtenir, de recevoir et de transmettre des informations et des idées quelles qu’elles soient, sans qu’il n’existe de frontières». Et pour mettre en place les mécanismes nécessaires, l’Etat algérien a choisi de s’inspirer de l’expérience américaine, ce pays étant à l’avant-garde de ceux garantissant l’accès à l’information à ses citoyens. La loi relative au droit d’accès à l’information aux Etats-Unis  est en vigueur depuis plus de 50 ans et a fait l’objet de plusieurs amendements, a encore souligné Mme Pustay lors de la rencontre de mardi dernier, ajoutant, à titre d’illustration, que son pays enregistre annuellement 700 000 demandes d’accès à l’information. Quelles conséquences ? L’application des lois sur le droit d’accès aux informations confère aux intervenants la force d’exercer leurs droits avec une couverture légale. Elle devient surtout obligeante et contraignante pour les responsables et les institutions. Par conséquent, la rétention d’information devient illégale, ce qui implique en amont la modification de nombreuses dispositions. «A titre d’exemple de ce qui nous attend : il faudra modifier nombre de lois algériennes dont le code pénal, le statut général de la Fonction publique, notamment sur la notion du secret professionnel. Effectivement, si nous obtenons une bonne loi, la rétention de l’information par les agents publics sera interdite. Ces derniers ne sont pas propriétaires des documents ni de l’information qu’ils détiennent en raison de leur fonction, et les citoyens ont le droit d’y accéder et de leur en demander communication», explique Djilali Hadjadj, président de l’association algérienne contre la corruption (AACC). Les journalistes et les militants anticorruption, en premier lieu, ont raison de se réjouir de ce grand pas que le gouvernement veut franchir dans le sens de la mise en conformité des lois avec la Constitution. Les premiers sont fortement dépendants de ce droit pour accomplir convenablement le travail d’investigation. Quant aux seconds, leur rôle de lanceurs d’alerte contre le fléau de la corruption est nettement plus efficace quand les conditions leur permettent d’obtenir les documents administratifs sur les marchés publics. Reste à savoir jusqu’à quel point le texte en élaboration saura refléter l’esprit «droit-de-l’hommiste» et consacrer le respect des libertés. «Nous savons que les responsables algériens ne respectent ni la Constitution ni les lois», s’inquiète encore Brahim Brahimi. Pour Djilali Hadjadj, «seules de nouvelles avancées démocratiques, issues de fortes luttes citoyennes, seront à même d’obtenir des acquis pour que la loi sur l’accès à l’information devienne rapidement une réalité en Algérie. C’est un énorme chantier, législatif et réglementaire notamment, qui pourrait s’ouvrir dès cette année».  

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