Les différents bilans sur la criminalité affichent une baisse, mais la violence reste bien réelle. Comment pouvez-vous l’expliquer ? Les statistiques criminelles sont un moyen et non pas une fin en soi. L’interprétation de ces chiffres doit être objective. Pour ce faire, il faut un minimum de connaissances. Cependant, une lecture des chiffres liés aux affaires traitées dans le volet des atteintes aux personnes nous laisse déduire que le criminel algérien est violent. Ce constat ne date pas d’aujourd’hui mais des années post-terrorisme, soit en 2002 et 2003. Dès ces années-là, nous avons commencé à constater des agressions violentes gratuites, comme par exemple ces voleurs qui agressent à coups de couteau ou autre arme blanche un citoyen pour lui voler son portable alors qu’il aurait pu le faire sans le recours à la violence physique. Une violence disproportionnée comparée au motif initial qui aurait pu être atteint sans toucher à l’intégrité physique de la victime. Nous avons constaté que le délinquant est devenu plus violent, d’où la création d’unités spécialisées dans la délinquance violente et l’adaptation de nos brigades pour y faire face. Quel est l’impact du terrorisme sur la recrudescence de la violence dans la société ? Durant cette période amère de l’histoire de notre société, tout le peuple été exposé à des formes les plus graves de la criminalité qu’est le terrorisme. Les mutilations, les décapitations et autres formes de tueries individuelles ou collectives étaient une actualité durant plusieurs années. Etre exposé à de telles formes graves de violence a entraîné automatiquement une banalisation du crime. Les jeunes délinquants d’aujourd’hui ont probablement été influencés face à une répercussion de cette banalisation du crime et de la violence au sein du noyau familial. Des études scientifiques appliquées par des sociologues, des psychologues, des psychiatres et des laboratoires de recherche au sein des universités vont certainement apporter une véritable et réelle explication à cette recrudescence de la violence et surtout mesurer à juste titre l’impact de la décennie noire sur ce phénomène. Nous ne pouvons pas mettre en cause la décennie noire à elle seule dans cette situation… En effet, selon notre travail en tant que criminologues, nous pouvons également citer un 2e facteur : le contrôle social. Ce dernier se partage en deux types : formel et informel. Le 1er est exercé par les institutions de l’Etat et le 2e est pratiqué par la famille, les voisins et tout l’environnement sociétal de manière générale. Ce type de contrôle informel, qui a encore plus de pouvoir que le contrôle formel pratiqué par les institutions étatiques, a malheureusement été considérablement bafoué durant la décennie noire. Cela a persisté après cette triste période au point d’avoir aujourd’hui une société trop permissive, voire démissionnaire. Les signes de pré-délinquance, tels la possession des sommes importantes d’argent par un adolescent ou des nouveaux achats coûteux sont totalement négligés par les parents. La démission des parents et du contrôle social dans cette période de socialisation de l’adolescent l’entraîne dans un processus d’apprentissage de la délinquance qui commencera par de petits méfaits tels que la consommation de drogue qui vire automatiquement vers la délinquance, la violence, puis la criminalité. Dépassé ce niveau d’apprentissage, le jeune délinquant atterrit tôt ou tard dans un processus pénal dont il aura du mal à en sortir et s’assurer une réinsertion dans la société sans retomber dans la récidive. En plus de cette démission collective, s’ajoute un nouvel élément, à savoir la fréquentation et l’entourage immédiat du délinquant. Pour les atteintes aux biens, les criminels ont plusieurs motifs et motivations. La situation socioéconomique des Algériens s’est nettement améliorée, au point où ils ont acquis plusieurs objets de valeur présentant des opportunités de crimes faciles à saisir. C’est une délinquance d’appropriation. Quelle est la démarche à suivre pour contrer ce phénomène ? Pour la gendarmerie nationale, la stratégie est claire. Elle consiste à anticiper et à dissuader les délinquants dans leur démarche vers le crime dans tous ses aspects. Nous accentuons nos efforts dans la formation des brigades spécialisées et surtout nous restons attentifs à tous les indicateurs démontrant une progression de la criminalité. Nous prenons en considération ces indicateurs pour adapter notre stratégie et renforcer notre présence, notamment que nous avons, depuis les opérations de relogement, la prise en charge de populations des nouvelles cités. Ceci, sans oublier le développement de notre action proactive et augmenter nos capacités d’investigation et résolution des affaires. La base de notre stratégie est l’immersion dans le tissu social pour renforcer le sentiment de sécurité dans la cité. Ce qui pourrait apporter un plus dans la compréhension de la criminalité, c’est le travail d’appoint des scientifiques et des chercheurs afin de nous aider à mieux cibler nos actions. Il est vrai qu’un travail est déjà fait à notre niveau, mais nous ne pourrons pas remplacer le travail des professionnels de la socio-psychologie des criminels. Une dernière étude faite dans ce sens a démontré que les auteurs d’infanticide, notamment lorsqu’il s’agit des parents comme inculpés, ont tous un antécédent psychiatrique. Une étude qui pourrait être généralisée aux autres types de violence et de criminels et qui pourrait mettre en lumière beaucoup d’autres facteurs qu’éventuellement nous ignorons.
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