- Vous avez dit, précédemment, que si vous êtes resté en Algérie, c’est essentiellement pour pouvoir dire aux Algériens la vérité. Je vous prends au mot, dites la vérité aux Algériens : qui décide pour eux ? La réponse à votre question varie selon que vous vous fondiez sur la Constitution et les lois qui en découlent ou que vous regardiez la réalité. La réalité est que le Président ne préside pas et le gouvernement ne gouverne pas. Cela est dans les gènes du régime et c’est d’ailleurs pour cela qu’il est condamné à échouer. Ceux qui sont aux manettes, ceux qui en sont la colonne vertébrale et les rouages principaux, sont invisibles, en ce sens qu’ils ne s’exposent jamais dans les débats ni sur la scène publics, où ils se font représenter par des acteurs qui n’en sont que les seconds couteaux. Et ceux qui vous disent qu'untel est le pilier du régime, sachez qu’il vous ment ou qu’il se ment à lui-même. Il fut un seul temps où ce régime avait un chef politique et militaire qui s’appelait Boumediène. Celui-ci étant disparu, on s’est tenu à la règle inviolable : jamais de successeur. Plus jamais de chef, et ce, pour que la responsabilité soit toujours diluée, diffuse. - L’Algérie disposerait donc d’un conseil d’administration assez étoffé et dont les membres sont pour la plupart inconnus ? Un conseil d’administration est responsable devant l’assemblée générale, laquelle à son tour est comptable devant les actionnaires. Chez nous, ce n’est pas un conseil d’administration normal. Il ne répond jamais de ses décisions. Il n’y a que Dieu qui demande des comptes sans jamais devoir en rendre. Au pouvoir, on se comporte en dieu. Je rappelle que le Président avait reconnu dans un de ses discours il y a six ou sept ans : «Nous nous sommes cassé le nez et je n’accuse personne.» L’aveu d’échec sans responsable ! C’est une grave anomalie et il y en a d’autres : ce n’est pas faire un procès d’intention que de déplorer l’absence totale de la culture de l’Etat de droit. La loi n’est pas respectée. Le Front démocratique en est une des illustrations courantes. Sans le respect des lois, aucune vie, ni au sein de la société, ni à l’international, n’est possible. Que répondre au monde qui nous regarde ? Aux investisseurs qui observent que le gouvernement est le premier à passer outre les lois qu’il a lui-même édictées. Pis, les plus sincères d’entre les «princes» qui nous gouvernent sont intimement convaincus que la société se mène en donnant des ordres, à la baguette. C’est une erreur monumentale. Ils ne reconnaissent pas le moindre rôle à la société. Ni dans le processus de décision ni dans son application. Un homme politique normal anxieux de réussir cherchera l’adhésion des gouvernés. C’est le minimum qu’on puisse attendre d’un responsable sensé. Nous avons tous entendu naguère le président de la République clamer : «Je n’ai confiance en personne.» Posé ainsi, ce postulat est en soi l’aveu d’une incapacité manifeste à exercer la responsabilité à ce niveau. Un chef est obligé de faire confiance à ses collaborateurs, quitte ensuite à demander des comptes. Congénitalement, notre régime se condamne à prendre de mauvaises décisions parce qu’il n’a de compte à rendre à personne. Et en l’état actuel des choses, le régime est irréformable. Il est allé trop loin dans la dérive de nos problèmes vers le pourrissement. - Vous dites «irréformable», faudrait-il envisager donc quelque chose qui doit ressembler à une révolution ? Toute œuvre humaine est perfectible. La réforme est une succession ininterrompue de haltes, d’audits réguliers, d’évaluations du chemin parcouru, aux fins d’identifier les failles, les responsabilités et trouver les corrections nécessaires. Or, chez nous, on s’entête à ne pas respecter les lois, à refuser le changement, à dénier tout rôle à la société, à ne rendre compte à personne. Un Premier ministre clame devant un auditoire international : «Nous n’avons pas besoin de transition démocratique ! Nous sommes en démocratie ! » - Je reviens à la charge : est-ce que toute réforme est vouée à l’échec, quel que soit le personnel qui la mène où les bonnes les volontés qui l'animent ? Mais, il n’y a pas de réforme. A force de rejeter en bloc la réforme, le régime s’est rendu non réformable. Les problèmes du pays sont parvenus à un degré de pourrissement tel, qu’il est quasi impossible de changer quoi que ce soit par la réforme. - Comment le transcender ce régime ? Comment le dépasser ? C’est la grande question. Comment le transcender ? - Vous dites être porteur d’un projet de redressement national. Un projet «à portée de main», je vous cite. Vous êtes vous-même dans la «réforme» et non pas dans la rupture ? Je crois en la réforme. C’est le pouvoir qui la refuse. Ou bien, il fait semblant de réformer. Comme il a fait en 1989, en promettent le pluralisme. On peut dire que la Constitution de 1989 était la mère des réformes : je n’en suis pas l’auteur, donc je suis plus à l’aise pour en parler. Mais, a posteriori, on s’est aperçu que cette Constitution a juste servi à apaiser la population après les événements d’Octobre, faire oublier le bilan d’une décennie et à régénérer le système. c’était le but de ses initiateurs, qui ont vite fait de la remiser au placard. 25 ans après, rebelote, on veut nous refaire le coup de la nouvelle Constitution. - Mais comment transcender le régime actuel ? Nous sommes arrivés à un niveau de perversion tel, que nous ne sommes plus choqués par les outrances quotidiennes, qui seraient inimaginables sous d’autres cieux. Comment peut-on changer, en deux minutes, un article de la Constitution qui limite à deux les mandats présidentiels ? En deux minutes ! Le régime n’a-t-il pas justifié cela par ce fameux credo : «Il est antidémocratique d’empêcher les Algériens d’élire celui qu’ils veulent ?» (sic). C’est ce même régime qui nous promet aujourd’hui de revenir à la limitation des deux mandats successifs… Quelle crédibilité pourrait avoir un tel discours ? Quand on a été pris plusieurs fois en train de mentir, il ne faudrait pas s’attendre à être cru. Le pouvoir se montre tel ce berger qui ne trouvant rien d’autre à faire, se met à déchirer ses habits pour les recoudre après. Il y a une situation de fait. J’ai toujours pensé et dit : «Il ne peut pas y avoir de changement sans l’armée, encore moins, contre l’armée.» On peut ne pas aimer mais il y a une situation de fait. Quand je dis l’Armée, je parle de ce régime qui a tout en main. N’oublions pas que nous avons d’un côté un régime, un pouvoir politique qui dispose, use et abuse de tous les moyens humains et financiers de l’Etat, des moyens de coercition de l’Etat, et en face une société civile aux mains nues, qui ne possède rien d’autre que des droits constitutionnels qui ne sont pas respectés. Que peut-on faire, dites-moi ? Servir en s’opposant ? Mais l’opposition est interdite de facto. Quand je dis que l’opposition n’existe pas, ce n’est pas pour faire injure aux opposants, à Dieu ne plaise, mais juste pour souligner que l’opposition ne peut exister sans des droits, sans un statut intouchable ; personne ne doit pouvoir s’autoriser à y porter atteinte. Le FD est interdit depuis 16 ans ; malgré le fait que son dossier d’agrément fût qualifié par le responsable de l’époque (Sellal), de «meilleur dossier du genre, jamais reçu au ministère de l’Intérieur». La nouvelle loi Ould Kablia sur les partis est illégale. N’importe quelle juridiction internationale la condamnerait. Car une loi qui touche aux libertés fondamentales n’est jamais rétroactive, sauf quand elle se traduit par une avancée en la matière. C’est là un principe fondamental du droit universel. L’article 22 disait que si aucune réponse n’est donnée après deux mois du dépôt du dossier d’agrément, «le parti est accepté». Cet article a été supprimé par le pouvoir pour se permettre d’interdire désormais «légalement» ce qu’il interdisait hier illégalement. - Lorsque vous dites qu’aucun changement ne peut se faire sans l’Armée, surtout pas contre l’armée, n’est-ce pas une façon de retomber dans le même piège : l’armée demeurant le cœur du réacteur ? Il y a une situation de fait. Ce que je veux ce n’est pas que l’armée soit le cœur du réacteur comme vous dites si bien. Dans toute période de transition, je vois par contre à l’Armée un rôle salutaire pour assurer la sécurité du processus. Mais ce rôle doit être gravé dans le marbre. Quand les choses sont écrites franchement et ouvertement, on est dans une logique de clarté, d’ordre. Quand au contraire, les choses sont informelles sous-entendues, on est dans une logique d’ambiguïtés, d’arbitraire sans limite et finalement de désordre. Quelle que soit l’importance du rôle de l’armée, il faut donc absolument le sortir de l’informel. - Le marbre ne peut être que la Constitution. Cette même Constitution qui est violée à répétition… Oui, évidemment, par opposition à l’informel, au non-dit, comme je viens de le souligner. Je parle du rôle de ceux qui au sein de l’armée… pas de l’armée entière… où il y a de tout. La plupart des militaires sont comme vous et moi : ils n’ont rien à voir avec la décision politique et même quand on parle du DRS, une multitude de gens du DRS sont des serviteurs de l’Etat qui n’ont rien à voir avec la décision politique, en particulier ceux qui exposent leur vie pour protéger celle du citoyen. Alors, quand on parle du pouvoir des militaires, il faut se garder d’utiliser des termes inappropriés. Il n’est pas exact de dire que l’armée est le pouvoir. C’est plus nuancé que cela. Il y a par exemple les forces de l’argent qui n’existaient pas naguère, ou étaient peu puissantes : elles étaient donc soumises. Maintenant, elles ne sont plus tout à fait soumises, du fait qu’elles ont grossi considérablement. C’est important. Le pouvoir est donc un mix. On ne peut pas en un mot définir le régime algérien. Ce qui est certain, c’est que ceux qui exercent le pouvoir ne sont pas ceux que la loi et la Constitution désignent comme en étant les dépositaires légitimes. - Techniquement, quels seraient, d’après vous, les mécanismes qui devraient être mis en œuvre pour que l’armée puisse garantir un processus de transition démocratique ? Il y a un système en place, impossible à changer d’un jour à l’autre. Et il n’est pas raisonnable de penser à cela. Le seul moyen de passer cette difficulté, c’est de commencer par un Président jouissant de la légitimité populaire, un Président accepté par le peuple. Seul un Président jouissant de la force que procure la légitimité populaire est capable de conduire dans l’ordre, la sérénité et la sécurité, les changements vers un système institutionnel qui soit à la mesure des intérêts vitaux de la nation. En dehors de cette voie, je n’ai pas de solution à proposer, en face d’un pouvoir qui refuse catégoriquement de s’amender. Dans tous les pays du monde, la politique consiste en un dialogue permanent entre la société et le pouvoir politique. Ceci n’est possible que dans le cadre d’une reconnaissance mutuelle. Alors qu’en Algérie, le pouvoir ne reconnaît aucun rôle ni à la société civile ni à la société militaire. Dit crûment, il s’assoit dessus ! - Selon vous, l’armée a-t-elle perdu toute possibilité d’influer sur le cours des événements, de l’histoire ? Nous sommes dans un processus étrange où tout fonctionne en boucle. Le pouvoir fait dans la fuite en avant. Ce qu’on appelle la classe politique fait de même. La société, y compris ceux qui sont dans le dessous du panier, fait dans la fuite en avant, ferme les yeux sur la réalité. Il s’agit de formes de désespoir, de résignation. Chacun s’échine à avoir ce qu’il appelle «sa part du pétrole», essaie d’engranger le maximum suivant le pouvoir qu’il détient. Or la raison d’être d’un pouvoir est de s’occuper des problèmes des gens. En chaque pouvoir, doivent cohabiter en complémentarité et en harmonie, des ambitions personnelles et des ambitions collectives. L’ambition personnelle a pris le pas chez nous sur l’ambition collective ; en d’autres termes, la problématique du pouvoir a pris trop de place, toute la place, au détriment des questions qui concernent la vie des Algériens. Paradoxalement, les Algériens se montrent dans leurs discussions entre eux moins intéressés par leurs problèmes quotidiens que par la problématique du pouvoir. Nous-mêmes, en ce moment, ne sommes-nous pas en train de faire de même ? Avons-nous évoqué l’éducation ? Ou la santé ? Ou le logement ? Ou l’eau ? Ou l’énergie ? Ou le chômage et la pauvreté ?, etc . Pourquoi ? Parce que nous sommes comme dans une nasse, conditionnés dans le choix de l’ordre du jour de nos préoccupations. Exemple : la santé d’un homme a été politiquement exploitée de manière consternante. Est-ce un hasard, si les projecteurs sont braqués sur la maladie d’un homme ? Non. C’est pour cacher une maladie beaucoup plus grave, celle du régime politique. Pour pousser les Algériens à regarder ailleurs. Parce qu’un homme, quel qu’il soit, est remplaçable. Les cimetières sont pleins de gens qui se croyaient indispensables. Si aucun homme n’est indispensable, un bon système est indispensable. - Vous aviez évoqué tout à l’heure les puissances de l’argent. Vous n’êtes pas le premier à mettre en garde les Algériens, Louisa Hanoune, la pasionaria de l’extrême gauche, en parle souvent. Quel est, selon vous, leur degré de nuisance. Est-ce une réalité d’abord ou un fantasme ? Pasionaria ? Pour vos lecteurs je rappellerai que c’était le nom de guerre donné à une républicaine Dolores Ibarruri lors de la guerre civile en Espagne. Il y a des postulats en politique. Quand on s’en écarte, on va vers le danger. Ainsi en est-il par exemple de l’instrumentalisation politicienne de la religion, nous l’avons vécue d’une manière tragique. Ce n’était bon ni pour la politique ni pour la religion. Autre principe fondamental : le mélange de la politique et de l’argent est une grande nuisance du même genre. Bill Gates bâtisseur de Microsoft, dont la fortune, fruit de décennies de créativité et de sueur, s’élève à plusieurs dizaines de milliards de dollars, ne peut se permettre le mélange des genres. S’il se hasarde à se mêler de politique, des lois strictes s’appliqueront. Ça c’est dans une démocratie qui s’appelle les Etats-Unis d’Amérique et néanmoins pays où l’argent est roi. C’est des USA que nous vient le vocable «de complexe militaro-industriel», qui désigne l’ensemble du business de l’armement et des hydrocarbures. Qui a mis en garde les Américains contre l’influence de ce complexe ? Ce n’était ni un marxiste, ni un communiste, mais un général américain du nom d’Eisenhower, devenu président des USA, donc peu suspect d’antimilitarisme ou d’antiaméricanisme primaires. Eisenhower, dans son court message d’adieu à l’expiration de son deuxième mandat, met en garde le peuple américain contre «le complexe militaro-industriel qui, dit-il, représente la plus grande menace envers la démocratie américaine». Le pouvoir de l’argent ne doit surtout pas se confondre avec le pouvoir politique. Si avec l’argent légitime (halal), il y a déjà un gros problème, quand c’est de l’argent illégitime (haram), c’est dix fois pire. Quand nous parlons en Algérie de la configuration des forces de l’argent, nous sommes moins dans la légitimité que dans l’illégitimité. - Jusqu’où ces puissances ont-elles accaparé des leviers du pouvoir ? Observez autour de vous. Que voulez-vous que je vous dise ? Que j’ouvre des dossiers ? Je ne les ai pas et d’ailleurs ce n’est pas mon rôle. Quand vous avez l’argent et que vous avez accès à tous les rouages politiques, ne me dites pas que vous allez vous priver d’exercer le pouvoir ? - Les dernières lois de finances portent-elles la griffe de ces puissances comme pour les taxes appliquées aux secteurs productifs nettement plus élevées par rapport aux taxes appliquées aux activités de l’importation ? Du temps de Boumediène, toutes les activités d’importation relevaient des monopoles d’Etat. Sous la pression du FMI et de la Banque mondiale, ces monopoles ont été démantelés il y a seize ans, une exigence de l’économie de marché. En fin de compte, ils n’ont été supprimés que pour faire place à des monopoles de fait privés : le résultat en est que l’économie est doublement pénalisée, en ce sens qu’elle subit les inconvénients de toute situation monopolistique en plus des méfaits de l’absence de visibilité et de transparence. - Avec une facture d’importation avoisinant les 60 milliards de dollars/an, quelle est la part captée par ces puissances de l’argent ? Les standards internationaux classent les déprédations de ressources en deux types, celles dues à l’incompétence et la mauvaise gouvernance, celles dues à la corruption, dont la petite qui mine le tissu social, la grande, c’est- à-dire la grosse prédation et la corruption politique. Les deux types sont interactifs. Ce que vous appelez «la part captée», je le comprends comme un pourcentage des revenus extérieurs de l’Algérie. Les revenus cumulés en 17 ans, de 1962 à 1979 ont été de 25 milliards de dollars. De 1999 à 2013 (14 ans), le pays a engrangé 800 milliards de dollars. Quant au taux de prélèvement illégitime, seul un audit national sérieux peut vous l’indiquer. Pour des ONG spécialisées comme Transparency, la moyenne universelle des commissions serait de l’ordre de 3%-5% du montant des marchés. En Algérie, ce serait dans un éventail plus large 5%-50%. Dans les pays avancés aussi, des prélèvements illégitimes existent. Sauf que là-bas, d’une part cet exercice est périlleux pour ses auteurs et d’autre part les prélèvements se font sur des richesses créées. En d’autres termes, si quelqu’un par ses activités halal a créé cent milliards de dollars et en prélève indûment dix, cela n’est pas moral certes, l’économie est lésée certes, mais le pays s’est quand même enrichi de 100 moins 10, soit 90 milliards. Chez nous ces prélèvements s’opèrent par dépeçage, par l’appauvrissement du pays et par son abaissement. Tous les systèmes politiques soucieux de préserver la richesse nationale, se prémunissent du pouvoir de l’argent par des mécanismes de prévention et de sanction. Il s’agit de prélèvements illégitimes. Est-ce que ça correspond à la réalité ? Est-ce un fantasme ? Il y a pourtant des signes extérieurs et/ou des exemples qui ne trompent pas. Regardez le coût des projets. Est-il exact qu’un kilomètre d’autoroute nous revient plusieurs fois plus cher qu’en Europe et même au Maroc et en Tunisie ? Un million de surcoût au km, c’est 1,5 milliard de dollars d’évaporés. Et le surcoût est certainement supérieur à 1 million de dollars le km. D’où la progression continue des coûts prévisionnels affichés sur dix ans, des 2 milliards du début aux 24 milliards de dollars de maintenant. L’autoroute dite Est-Ouest, fleuron du pouvoir, pourtant loin d’être achevée et déjà en réfection sur des centaines de km, aura coûté plus de deux fois qu’un ouvrage aussi considérable que le tunnel sous la Manche ! Chez nous, en matière de lutte contre la corruption, la seule réponse que promet le gouvernement est… de «réviser la Constitution» ! Comme si c’était la Constitution qui était la cause de la corruption ! De qui se joue-t-on ? Aussi, peut-on comprendre qu’à un gouvernement occulte, l’on puisse préférer un autoritarisme déclaré et transparent comme ce fut le cas du temps de Boumediène. Boumediène n’a jamais prétendu amener la démocratie. Durant les mandats présidentiels des années 1980 et des années 2000, l’opacité et la mauvaise gouvernance, source-mère de l’incompétence et des déperditions d’énergies et de richesses, ont saigné l’économe nationale. Un deuxième exemple. Une enquête judiciaire engagée il y a plus de cinq années au sujet des sources de financement illégal du parti de Berlusconi a établi que l’ENI par sa filiale Saipem a payé sur un mega-contrat avec le secteur de l’énergie, deux commissions à des Algériens, dont une personnalité politique, nommément cités, une commission de 197 millions d’euros et une autre de 70 millions d’euros. Un procès en corruption s’en est suivi en Italie depuis quatre années, avec la mise en accusation de hauts dirigeants de l’énergie. A leur tête, M. Sarconi, président de l’ENI, homme lige du célébrissime Berlusconi, fut limogé sur-le-champ et mis en examen ; chez nous cette affaire passe comme inaperçue durant plus de trois ans ; le gouvernement à ma connaissance ne s’est pas porté partie civile pour accéder au dossier et défendre ses intérêts. Car si commission il y a eu, ce ne peut être qu’aux frais des deniers publics algériens. Ce scandale à lui seul donne la mesure de la régression vertigineuse dans notre pays de la morale et de l’éthique politique, entre les années 1970 et maintenant. Un autre exemple : en 1977 le comptable d’une entreprise publique a été accusé de détournement de 1 million de dinars, soit 20 000 dollars, il a été condamné à mort et exécuté. Dieu seul sait s’il était vraiment coupable ou innocent. Lors d’un contentieux commercial sur le chantier de l’usine de liquéfaction de gaz GNL1, un audit effectué par Sonatrach dans les comptes à New York de la société américaine Chemico, a permis de découvrir une commission sans cause de 2,5 millions au profit d’un homme d’affaires, ancien cadre de la Révolution, très proche du pouvoir. La commission avait la forme de paiement de prestations de services. Sonatrach a mis Chemico à la porte, intenté une action en justice auprès des tribunaux de New York et exigé la restitution du paiement indu : c’est Boumediène en personne qui a donné au bénéficiaire de ladite commission le choix entre le remboursement à Sonatrach ou la prison. C’est donc par la force d’une intervention du chef de l’Etat que Sonatrach a pu ainsi récupérer les 2,5 millions de dollars. Aujourd’hui, dans la seule affaire Saipem, ce seraient 350 millions de dollars évaporés sans retour dans. Sans que l’Algérie n’ait tenté de les récupérer ? A moins que la justice italienne n’ait menti de bout en bout ? - Sur ces 800 milliards de dollars, combien ces puissances de l’argent auraient-elles pu en capter ? En 1990, l’ancien chef absolu de l’économie algérienne lançait un chiffre faramineux griffonné sur un coin de table. Je ne vais pas faire comme lui. Balancés à la légère, ces bobards font sensation mais sont souvent l’invention de la grosse corruption qui veut faire accroire au peuple que tout le monde est corrompu, aux fins de noyer dans la masse les vrais corrompus. L’inventeur des fameux 26 milliards de dollars détournés était pourtant à l’époque le responsable politique absolu des faits qu’il dénonçait ! Il est allé à une commission de l’APN pour déblatérer sur le chef de l’Etat et sa famille. Le pouvoir ne lui a demandé aucune explication à ce jour. On est face à un régime qui n’est pas sérieux. - Vous dites que les commissions peuvent atteindre en Algérie les 50%. Peut on déduire que… Non je n’en revendique pas la paternité. Je n’endosse pas forcément ce taux cité par des organismes qui prétendent l’avoir constaté. C’est Transparency International, à la crédibilité établie, qui en parle. Elle est joignable sur internet. Si le pouvoir le veut, il lui est loisible d‘en savoir plus. Apparemment dans l’affaire italo-algérienne, il ne veut pas savoir. Est-ce à dire que les mouvements de personnel récents dans les Services et le ministère public seraient liés à une affaire italo-algérienne, jugée scandaleuse en Italie et escamotée chez nous ? (Retrouvez la suite de cet entretien dans l'éditon de demain)
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