mercredi 30 septembre 2015

«Il faut sortir des poursuites anarchiques et revenir aux preuves»

Les procureurs n’ont plus le droit de mettre sous mandat de dépôt les suspects. Seul le juge est habilité à mettre en détention le justiciable et à lui interdire de quitter le territoire national. Les suspects ont désormais le droit de recevoir, durant leur garde à vue, un avocat pour une durée de 30 minutes. Ce sont les quelques mesures que le ministre de la Justice, Tayeb Louh, a mises en exergue lors de la cérémonie d’installation de Hachemi Brahmi, le nouveau procureur général d’Alger. Le ministre de la Justice a surpris, hier, la nombreuse assistance venue prendre part à l’installation officielle du nouveau procureur général de la cour d’Alger, Hachemi Brahmi, qui a succédé à Belkacem Zeghmati, dont le sort n’est toujours pas connu. Après la cérémonie protocolaire, première du genre à laquelle il assiste, le ministre donne le ton en précisant au parterre de journalistes, magistrats, avocats et représentants de la police et de la Gendarmerie nationale qu’il a «des messages à faire passer en dehors» du discours officiel, consacré essentiellement à l’application de la loi relative à la réconciliation nationale. Tayeb Louh se lance dans une véritable plaidoirie en faveur des nouvelles dispositions du code de procédure pénale, promulguées au mois d’août dernier par ordonnance, et qui doivent entrer en vigueur dès la fin de janvier 2016. Il cite quelques changements. D’abord le recours aux médiateurs de la République qui, selon lui, devraient permettre le traitement de 60% des dossiers des affaires pénales. Puis l’amendement de la procédure du flagrant délit. «Les nouvelles dispositions consacrent la protection des libertés individuelles. Le parquet, connu pour être sous l’autorité du ministre de la Justice, donc du pouvoir exécutif, n’a plus le droit de décider du mandat de dépôt. Cette prérogative relève désormais du juge, le seul garant des libertés», dit-il. A ceux qui ont critiqué le nouveau code de procédure pénale, le ministre répond : «Je ne pense pas qu’avec une telle disposition allant dans le sens de la construction d’un Etat de droit, les gens viennent dire qu’il s’agit d’une réforme superficielle. Un ministre de l’opposition aurait-il pris de telles mesures ? Je ne le pense pas. La vraie réforme repose sur des mesures courageuses…» Pour M. Louh, le pays «est passé d’une étape à celle de la préservation des libertés et des droits de l’homme. Les magistrats et la famille de la défense ont une grande responsabilité. Ils sont appelés à inculquer cette culture juridique des libertés». «L’autre nouveauté, relève Tayeb Louh, consiste à donner le droit au suspect de recevoir, lors de l’enquête préliminaire, son avocat durant 30 minutes. Une autre garantie qui permet d’éviter toute violation de la procédure par la police judiciaire.» La grande réforme, ajoute-t-il, «est cette interdiction formelle à toute autorité de porter atteinte au droit du citoyen de quitter le territoire national ou de détenir un passeport, sauf sur ordre du juge». Tayeb Louh explique que ces dispositions entrent dans le cadre «d’une meilleure protection de la présomption d’innocence et de la réduction au maximum de la détention provisoire» dont il est «profondément convaincu» et promet qu’il fera «tout pour que ces principes soient rigoureusement respectés et à tous les niveaux». Le ministre met en garde contre les fuites d’information A ce titre, le ministre met en garde «contre toute fuite d’information ou divulgation de document sur des affaires en instruction sans ordre du parquet, et ce, afin de préserver la présomption d’innocence. Nous n’accepterons pas que des gens soient jugés alors que leur dossier est toujours sous enquête préliminaire. Il y a une procédure à respecter. Le parquet peut éclairer l’opinion publique sur des enquêtes préliminaires ou donner l’ordre à la police judiciaire de le faire, mais il ne peut divulguer des informations qui risquent de nuire à l’enquête préliminaire et à la présomption d’innocence. Il faut changer les mentalités des poursuites anarchiques et revenir à des enquêtes de la police judiciaire, menées sur la base de preuves matérielles et scientifiques, pour consolider toute poursuite judiciaire. La réforme doit reposer sur le changement de mentalité. Nous n’inventons rien. Ce sont les bases sur lesquelles repose la justice à travers le monde. Ce sont des mesures courageuses parce qu’elles enlèvent aux procureurs de lourdes prérogatives. C’est humain. Je le comprends». Tayeb Louh souligne, par ailleurs, que dans le cadre de cette réforme, il est clairement fait obligation d’indiquer tous les lieux de garde à vue et de les mettre sous le contrôle des procureurs. Le ministre révèle d’autres mesures prévues par le nouveau code de procédure pénale, comme la protection des témoins et des dénonciateurs, mais aussi le recours par les procureurs à des auxiliaires, en général des experts techniques, pour les assister et les aider à prendre des décisions dans les enquêtes liées à la grande criminalité. Ce sont là les principaux messages que le ministre a lancés, avant de revenir à son discours axé sur la réconciliation nationale. Il a fait un long round-up sur les conséquences des années 1990, décrivant le chaos dans lequel le pays avait sombré «avant que la paix ne soit restaurée». Pour lui, «la charte pour la paix et la réconciliation nationale a marqué une étape-phare, permis la consolidation de la cohésion de la nation et son unité, contribué à la prémunir contre les crises qui secouent actuellement certains pays».

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