Après 12 heures d’une audience à huis clos, le tribunal militaire d’Oran a infligé au général Hassan la peine maximale de 5 ans de prison ferme et l’a privé également du bénéfice des circonstances atténuantes. Sanction très lourde pour cet homme qui a consacré 52 années de sa vie au service de la patrie. Dès 8h, en cette journée du jeudi 26 novembre, le tribunal militaire d’Oran a été assailli par de nombreux journalistes venus couvrir le procès tant attendu du général Hassan, de son vrai nom Abdelkader Aït Ouarabi, ancien chef du Service de coopération opérationnelle et de renseignement antiterroriste (Scorat) dépendant du Département de renseignement et de sécurité (DRS), poursuivi pour deux chefs d’inculpation : «violation des consignes» et «destruction de documents». Mais à leur grand dam, les autorités militaires leur ont interdit l’accès, y compris aux alentours du tribunal avant même l’ouverture du procès. Militaires, gendarmes et policiers, venus en renfort, se sont chargés de faire exécuter les consignes et d’une manière brutale, obligeant les journalistes à guetter de loin tout mouvement des avocats afin d’arracher les nouvelles. Vers 9h, les membres de la famille du prévenu reviennent très déçus. Le procureur, au grade de colonel, a demandé le huis clos en raison «du caractère sensible que peuvent revêtir les informations devant être débattues en audience», explique un proche du prévenu et, après délibération, le tribunal a décidé d’évacuer la salle. Seuls les avocats et les témoins ont pris part aux débats qui ont duré près de 10 heures, entrecoupés par une pause de 30 minutes, durant laquelle les avocats, Mes Mokrane Aït Larbi, Khaled Bourayou et Ahmed Tayeb Touphaly ont fait le point. Si le premier se réserve d’exprimer son avis, les deux autres se déclarent sereins quant aux «conditions» dans lesquelles l’interrogatoire du prévenu par le tribunal, présidé par un magistrat civil et deux assesseurs au grade de général, se déroule. Les déclarations se font sur fond d’un chahut infernal d’un groupe d’élèves sortis subitement de l’école pour faire dans le parasitage. «Le général Hassan s’est bien défendu. Il était à la hauteur de sa compétence, son courage et sa probité. Ses réponses étaient pertinentes. Il a nié tous les faits reprochés et plaidé d’une manière magistrale son innocence. Il a parlé de son métier, le renseignement, mais aussi de ses missions très délicates, et de Mokhtar Belmokhtar. Il était très à l’aise, serein et détendu. Je peux dire qu’il s’est bien défendu en montrant que ce qu’il avait fait entrait dans le cadre d’une stratégie de défense des intérêts de l’Etat et que les renseignements qu’il collectait lui ont permis de sauver de nombreuses vies humaines et de protéger les institutions de l’Etat», déclare d’emblée Me Bourayou, précisant au passage qu’il avait fait état de «nombreux» vices de forme, que le juge a joints au dossier de fond. Me Touphaly, quant à lui, insiste sur les «bonnes conditions» dans lesquelles se déroule le procès, sans pour autant aller dans le détail, alors que Me Aït Larbi s’est refusé à toute déclaration par respect, dit-il, du huis clos imposé par le tribunal, indiquant toutefois que six témoins ont été convoqués pour être interrogés durant l’après-midi. Ce sont d’anciens éléments du prévenu, ainsi que son secrétaire particulier. Certains sont encore en poste, d’autres ne le sont plus, souligne l’avocat. «Nous avons demandé à ce qu’ils ne prêtent pas serment afin que leurs témoignages aient seulement le caractère déclaratif», expliquent Mes Bourayou et Touphaly. L’audience reprend vers de 13h30. Les militaires en faction passent leur temps à faire la chasse aux journalistes, interdits d’emprunter y compris la rue principale qui longe l’entrée du tribunal. L’attente sous un climat glacial prend fin vers 20h30. Les avocats apparaissent abattus, le visage livide. Malgré ses déclarations «magistrales» et les détails qu’il a fournis au tribunal, ce dernier a condamné le général Hassan à une peine maximale de 5 ans de prison ferme, comme le demandait le procureur durant son réquisitoire, révèle, tout déçu, Me Touphaly. «Nous ne discutons pas cette décision, mais nous vous informons de notre intention d’introduire un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême dans les délais impartis par la loi. Le procureur a requis la peine maximale», déclare Me Touphaly. Et de préciser : «La défense a très bien plaidé. Elle a touché aussi bien des points de procédure que ceux de fond. Mais le tribunal est souverain dans sa décision, qui ne peut être commentée. Nous allons utiliser notre droit au recours.» Interrogé sur les déclarations des six témoins à charge, Me Touphaly répond : «Nous avions demandé à ce que les témoins ne prêtent pas serment puisqu’ils étaient les subalternes du général Hassan. Le tribunal a accepté notre demande et c’est ce qui a été fait.» L’avocat semble terriblement affecté, tout comme ses deux autres confrères qui espéraient «une fin heureuse» pour cet homme, le gradé le plus décoré de l’ANP, qui a consacré plus de 52 ans de sa vie à la défense des intérêts de la patrie. Certains témoignages sur sa prestation devant le tribunal donnent froid dans le dos. «Il était d’une pertinence inouïe. Il n’a laissé aucune zone d’ombre lors de son interrogatoire. Il était plus précis que ceux qui l’interrogeaient. Lorsque le président lui a demandé de conclure, sa réponse fut cinglante. Il a dit : ‘‘Durant toute ma carrière j’ai servi mon pays avec honnêteté, j’ai fait mon travail avec honnêteté et j’espère que vous, lorsque vous entrerez en délibération, vous rendrez votre décision en toute honnêteté’’», témoigne un des avocats. «C’est un homme exceptionnel. Il a donné des leçons de courage et surtout d’abnégation et d’engagement au service de la patrie. Je ne m’attendais pas à un tel profil. D’ailleurs, les témoins qui ont défilé à la barre n’osaient même pas le regarder en face, et lui de leur rappeler des événements et des faits très précis liés à des missions qu’il avait menées. Il allait vers le détail du détail en utilisant aussi bien la langue arabe que la langue française. C’est un grand Monsieur. Un héros national. Nous aurions tant aimé que le procès soit public afin que les Algériens puissent savoir qui est le général Hassan», lance Me Bourayou. Les alentours du tribunal sont envahis par des policiers, des gendarmes et des civils. Parmi ces derniers, certains filment discrètement les journalistes avec des téléphones mobiles. Les militaires en faction s’énervent. Ils perdent leur sang-froid. Visiblement, le procès fait peur. «Partez d’ici. Libérer la rue. Al kiyada (les chefs) vont passer», lance un officier, la cigarette à la main à l’adresse d’un groupe de journalistes qui récoltaient les déclarations des avocats. Le militaire devient de plus en plus agressif et menace de «devenir méchant», suscitant la colère de certains confrères. Le procès du général Hassan semble avoir mis toute la ville de Mers El Kebir sous haute surveillance et sa lourde condamnation a été reçue comme une douche froide. Quelles seront ses répercussions sur le moral de ces dizaines d’officiers qui avaient travaillé sous ses ordres au péril de leur vie pour l’intérêt du pays à l’occasion de missions extrêmement dangereuses ?
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