Après l’abrogation de huit articles dans le rapport de la commission parlementaire des finances, le projet de loi proposé au débat à l’Assemblée populaire nationale (APN) ne convainc pas la majorité des députés, y compris parmi les plus proches du pouvoir Deux articles importants ont été abrogés dans le rapport préliminaire de la commission des finances parlementaire dont vous faites partie. Quel est votre sentiment ? Je considère que l’article 53 relatif à la possibilité de cession de terrains aux investisseurs ayant achevé la réalisation de projets touristiques est un article dangereux, parce qu’un Etat ne peut être fort qu’avec son patrimoine et ses revenus. Préserver le domaine de l’Etat est une garantie pour les générations futures. Quant aux dispositions contenues dans l’article 71, on comprend qu’il y a une volonté délibérée des représentants du ministère des Finances de s’octroyer un droit de substitution au législateur dans ses prérogatives consacrées par la Constitution, au point de leur gratifier un ancrage juridique pour disposer d’un pouvoir discrétionnaire sans limites, en l’absence de tout contrôle. Il faut reconnaître que durant la crise qu’a connue l’Algérie lors du plan d’ajustement structurel imposé par le FMI, l’Exécutif n’a jamais en recours à de telles dispositions, pourtant le pays ne disposait pas de ressources financière,s que ces oit le Fonds de régulation de recettes ou les réserves de change. A qui profite cette loi de finances 2016 ? A deux catégories d’Algériens : une qui bénéficie des exonérations et des exemptions fiscales sans qu’il y ait de retour positif sur l’économie nationale. Il s’agit notamment des entreprises qui ont bénéficié d’avantages fiscaux dans le cadre du dispositif de soutien à l’investissement prévu par la loi de finances 2009 et l’ordonnance 01/03 modifiée et complétée, relative au développement de l’investissement, qui sont tenues de réinvestir la part correspondant à ces avantages dans un délai de 4 ans, à compter de la date de clôture de l’exercice dont les résultats sont soumis aux régimes préférentiels. Le réinvestissement doit être réalisé au titre de chaque exercice ou au titre de plusieurs exercices consécutifs dans la limite des 4 ans. Maintenant, après avoir épuisé la durée fixée par l’article 142 du code des impôts directs et taxes assimilées, qui consiste soit à réinvestir la part des bénéfices ou à restituer les avantages fiscaux et payer la pénalité de 30% pour n’avoir pas respecté cette obligation, l’article 2 du projet de loi de finances 2016 vient pour abroger l’article 142 dans le but d’éviter aux investisseurs de remplir cette obligation. De plus, certains commerçants ne déclarent pas la totalité de leurs activités bénéficiaires sur le G50 (formulaire fiscal), et une partie des nouveaux contribuables ne vient pas déclarer et renflouer les caisses du Trésor après l’expiration du régime préférentiel auquel ils sont soumis. Sans compter la progression du nombre de fraudeurs et l’évasion fiscale engendrées par le phénomène de l’informel. Car aujourd’hui, on ne dispose d’aucun instrument qui nous permette d’avoir une meilleure connaissance sur la formation des revenus. Quant à la deuxième catégorie, elle concerne les salariés qui disposent de fiches de paie, qui subissent des prélèvements obligatoires à la source (IRG) et qui doivent s’acquitter du prix intégral des taxes imposées par cette loi de finances, au moment où d’autres qui ne sont pas immatriculés à la CNAS et au FISC échappent à tout type de contrôle. Qui va subir le plus douloureusement les mesures d’austérité ? Ces augmentations vont avoir un impact négatif sur la situation économique des salariés. Les salaires ne répondent pas à une politique bien étudiée, ils ne sont pas indexés à la hausse des prix, ce qui fait que les valorisations de salaire sont vite rattrapées par l’inflation et la dépréciation continue du dinar. Faute d’un système de régulation qui devait être assuré par l’Etat qui n’a pas mis en place les outils pour étudier l’impact financier que pourraient avoir ces taxes additionnelles (gasoil, vignette, essence, électricité, internet, matériel informatique, transport, produits alimentaires et agricoles en plus de la taxe d’habitation et foncière, taxes sur les ordures ménagères revues à la hausse lors de la loi de finances complémentaire 2015) sur le pouvoir d’achat des citoyens. Face à ces augmentations, la classe moyenne et les plus démunis vont recourir à des revenus supplémentaires dans l’informel dans le but d’arrondir leur fin de mois, chose qui va encourager davantage le cumul d’emplois. En réalité, cette loi de finances ne fera que garantir l’expansion de l’emploi à l’informel qui permettra aux ménages de préserver leur pouvoir d’achat et avoir des revenus supplémentaires. Les mesures prises par le gouvernement sont-elles suffisantes pour faire face à la crise ? Les mesures d’ordre financier et budgétaire ne suffisent pas à elles seules pour sortir de la crise. Mais il faudrait agir au plus vite sur les mesures économiques structurelles. La réduction des crédits budgétaires de 9% par rapport à 2015 ne peut être un modèle de solution à la crise, car en fait, on ne peut pas résoudre des problèmes multidimensionnels par de simples additions et soustractions. En revanche, il faudrait faire un diagnostic profond sur l’état de santé de notre économie, car les réformes engagées depuis toujours ont suivi des recettes qui n’ont jamais réussi, car les ingrédients choisis sont inappropriés. Que pensez-vous du caractère annuel de la loi de finances ? Le projet de modernisation des systèmes budgétaires permettrait sans aucun doute de mieux définir les politiques publiques et de créer un cadre budgétaire pluriannuel qui aura pour objectif l’amélioration du processus de planification financière et l’évaluation de ces politiques. Aujourd’hui, il faudrait aussi repenser la fiscalité ordinaire en vue d’améliorer les taux de recouvrement et assurer l’élargissement de l’assiette fiscale de façon équitable. Avez-vous des solutions à proposer comme alternative ? Ces mesures dictées par l’urgence ne semblent pas s’insérer dans une vision globale pour une économie mono-exportatrice faute d’une économie de substitution à la rente. Notre pays est classé parmi les pays importateurs par excellence. Il faut reconnaître qu’en pratique, ces mesures conjoncturelles sont insuffisantes, car les politiques d’urgence sont toujours peu crédibles. Il serait nécessaire aujourd’hui de prévoir un rééquilibrage plus profond et durable avec une politique rationnelle de recours aux amortisseurs (les réserves financières). La situation économique du pays vous inquiète-t-elle ? Le constat est récurrent. Les recettes de la fiscalité pétrolière n’ont pas réussi à réformer une économie archaïque alourdie par une dépense publique insupportable dépourvue de toute vision à long terme. La sphère non productive s’est substituée au secteur productif, ce qui a augmenté le risque de la vulnérabilité de notre économie qui n’a pas tiré les leçons du passé et des crises précédentes, notamment celle de 1986. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, notre économie est sclérosée par l’informel, car tout simplement les grandes fortunes ne se trouvent pas dans la sphère réelle.
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