Les deux salles de conférence de la bibliothèque d’El Hamma, à Alger, n’arrivaient pas à contenir, hier, le nombre important de participants au 1er Congrès international consacré au développement des sciences médico-légales en Algérie, dont les travaux se sont ouverts hier en présence du ministre de la Santé et du secrétaire général du ministère de la Justice. Devant un parterre de médecins légistes, de psychiatres, de magistrats, d’avocats, de policiers et de gendarmes, d’experts des laboratoires scientifiques de la Sûreté nationale et de l’Institut de criminologie et de criminalistique de la police, ainsi que des responsables de l’administration pénitentiaire, les conférenciers ont débattu de tous les aspects liés au métier de médecin légiste et aux phénomènes auxquels il est confronté, comme par exemple, la toxicomanie, l’accidentologie, la violence, les crimes, les catastrophes naturelles, les menaces biologiques et les milieux carcérales, etc. Le thème, qui a le plus retenu l’attention des conférenciers et suscité un débat assez long, est indéniablement celui consacré à l’anaphylaxie (réaction violente d’une personne à l’introduction d’une substance dans son organisme). Juge au ministère de la Justice, Mme Samia Kheloufi, évoque l’affaire du décès de deux nourrissons à la suite de leur vaccination en juillet dernier et lève le voile sur «les difficultés» que l’enquête a rencontré «en raison de la multiplicité des intervenants sur la scène des faits, le temps assez long avant l’alerte et la transmission de l’information, le retard dans la collecte des ampoules utilisées et des échantillons que les experts de l’institut criminologique de Bouachaoui ont prélevés et qui sont inutilisables». La juge explique : «L’autopsie a certes révélé un empoisonnement des deux nourrissons, mais nous ne pouvions déterminer la responsabilité. Pas de protocole en matière de vaccination et les seuls experts en la matière sont au niveau de l’Institut Pasteur, l’organisme qui est un organisme commercial chargé d’acheter les vaccins. Est-ce que ce vaccin est conforme aux normes de l’OMS ? Il l’est puisqu’à part ces deux cas, il n’y a pas eu d’autres décès. Il fallait donc chercher si ces deux bébés n’avaient pas un terrain allergique. La réponse est oui. Raison pour laquelle, la chambre d’accusation a prononcé le non-lieu. Cette affaire, quand même unique pour la justice, a levé le voile sur une absence de coordination et aussi d’un protocole en matière de vaccination dans les établissements sanitaires.» Abondant dans le même sens, le Dr Laimouche, médecin légiste du CHU Mustapha, approfondie, sous l’angle médico-légal, le cas du décès de nourrissons à la suite d’une vaccination. «Est-il la conséquence du vaccin ou d’une quelconque contradiction liée à une intolérance vis-à-vis de l’un des composants du vaccin ?» s’interroge-t-il, tout en précisant que la vaccination est une obligation en vertu de l’article 55 de la loi sanitaire 85/05, toujours en cours. Chef du service de pédiatrie du CHU de Hussein Dey, le professeur Mekki tente de relativiser un peu la problématique. «La vaccination a rendu un service énorme à l’humanité. Elle a fait disparaître beaucoup de maladies, comme la tuberculose dans sa forme la plus grave, en Algérie. Même si l’on déplore ces deux cas, il faut continuer à vacciner. Notre calendrier est celui des pays les plus développés. Il faut que les parents en prennent conscience.» COMPLEXITÉ DE LA MÉDECINE LÉGALE Une déclaration qui suscite un long débat dans la salle. Une intervenante lui réplique : «Je suis dans la médecine scolaire. Nous vaccinons les enfants parce que c’est obligatoire, mais nous le faisons parfois sans l’autorisation de leurs parents, et cela nous pose des problèmes. Nous vaccinons en classe, un milieu non indiqué et nous n’avons rien pour savoir si un enfant est allergique ou non. Nous ne savons pas si nous sommes protégés dans l’exercice de notre métier.» Le professeur Mekki répond : «Il faut vérifier le carnet de santé et si l’enfant est en bonne santé. Sachez que chaque année, 7 millions de doses sont utilisées dans le cadre de la vaccination et il n’y a pas eu de problème, à l’exception des deux cas.» Le professeur Belhadj, chef de service de la médecine légale du CHU Mustapha Pacha, tente de recentrer le débat autour de la problématique de l’enquête et de l’intervention des médecins légistes pour comprendre les raisons des décès. Lui emboîtant le pas, un officier de police, plaide pour un protocole d’intervention sur la scène de crime et d’une coordination entre le procureur, la police judiciaire et le médecin-légiste. Le professeur Belhadj, revient sur la complexité de la médecine légale, qui fait face aux maux de la société, notamment à la violence sous toutes ses formes. Abordant la question de la prise en charge sanitaire, à l’unité pénitentiaire du service de médecine légale du CHU de Constantine, le professeur Mostefaoui relate les conditions difficiles dans lesquelles les détenus sont soignés. Entre 2008 et 2017, affirme-t-elle, il y a eu 366 admissions et 177 évacuations pour des soins, qui vont des tumeurs bénignes ou malignes, jusqu’aux maladies chroniques, en passant par les grippes et les maladies cardio-vasculaires. Majoritairement, les patients ont entre 30 et 40 ans, mais il y en a qui ont 20 ou 80 ans. Elle met en avant les frictions entre le personnel médical et les agents pénitentiaires, mais aussi le non-respect du secret médical, puisque les consultations ont lieu sous le regard des surveillants. Pour elle, il y a nécessité d’humaniser les conditions de prise en charge sanitaire en milieu carcéral. Le Dr Dahane du service de psychiatrie de Drid Hocine à Alger, a, quant à elle, abordé les conséquences des rites de la Rokia, de la sorcellerie et de la médecine par les plantes sur la santé. Elle se base sur deux cas de décès, dont les poumons ont été inondés par une quantité importante d’eau, que les victimes ont bu lors d’une séance de Rokia. Pour rappel, les travaux seront clôturés aujourd’hui avec une série de recommandations liées, selon le Pr Rachid Belhadj, président de l’Académie algérienne de développement des sciences médicales et organisateur de ce congrès, au renforcement du corps des médecins légistes, de la formation et surtout de l’obligation de moyens, en précisant à ce titre qu’«aujourd’hui, au Japon par exemple, on n’ouvre plus les cadavres, qu’en cas de nécessité. On utilise les scanners pour déterminer la cause du décès. Les familles sont souvent réfractaires à l’autopsie. Nous pouvons l’éviter en dotant les structures médico-légales de moyens modernes».
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