Un véritable abus de pouvoir et une violation flagrante de la Constitution et des lois du pays. Des dizaines, voire des centaines (nous n’avons pas encore les chiffres exacts, ndlr) de citoyens sont privés de leurs passeports. Certains d’entre eux nous ont contacté pour exprimer leur désarroi et dénoncer, au passage, l’arbitraire dont ils sont victimes. Le blocage dure depuis des mois. Et aucune réponse n’est notifiée aux concernés. «Traitement en cours», c’est la seule explication à laquelle ils ont droit au niveau des services chargés de l’établissement des passeports biométriques dans les APC. Cette pratique a pris de l’ampleur depuis 2016, dans les wilayas de Tizi Ouzou, Bouira, Béjaïa et même à Ghardaïa. «J’ai déposé le dossier de renouvellement de mon passeport depuis décembre 2016. Près d’une année après, je n’arrive pas à récupérer mon document. Pis encore, personne au niveau de l’APC et de la wilaya n’arrive à me donner une explication. Mon casier judiciaire (B1) est vierge et ceux qui ont décidé de bloquer mon passeport peuvent aussi vérifier le B2. Je n’ai aucun problème avec la justice», affirme, Hocine Mezouari, professeur à la retraite, résidant à Aghbalou, dans la wilaya de Bouira. Selon lui, les services chargés de l’établissement des passeports biométriques au niveau de l’APC ont adressé des écrits au centre de confection de ces documents à Alger, mais en vain. Silence total. «Ce n’est qu’après avoir tenté de faire intervenir des connaissances que j’ai appris que mon passeport est bloqué sur la base de rapports de je ne sais quel service de sécurité. C’est grave ! L’administration s’octroie les pouvoirs de la police et cette dernière ceux de la justice. Certes, je n’ai pas fait d’études de droit, mais je sais que seule la justice est habilitée à me déchoir de ma nationalité, et encore…», lance-t-il. En l’absence de réponse, il ne reste que des suppositions. Ce blocage, selon lui, pourrait avoir un lien direct avec la signature de communiqués appelant à l’autonomie de la Kabylie, publiés dans la presse nationale. Riche Mourad, un autre citoyen de Sidi Aiche, dans la wilaya de Béjaïa, vit la même situation depuis huit mois. «J’ai déposé mon dossier en mai 2017. Mais mon passeport reste bloqué à ce jour. Je me suis adressé à l’APC, au chef de daïra, à la wilaya, mais sans résultat. Ces trois administrations m’ont orienté vers le ministère de l’Intérieur, qui ne reçoit malheureusement pas les citoyens», raconte-t-il. «Je suis un producteur et je n’ai même pas de lien avec le MAK. Je n’ai aucun problème, ni avec la justice ni avec les impôts, qu’ils me donnent une réponse. J’ai dû reporter plusieurs rendez-vous médicaux en France en raison de ce blocage. C’est trop !» ajoute-t-il. Au niveau des trois wilayas de la Kabylie, selon des échos sur place, toutes les personnes «fichées MAK» ont subi le même sort. Piétinement d’un droit légal Qui a pris cette décision ? Pourquoi recourir à ce procédé digne des régimes autoritaires ? Selon une source proche de l’administration, le centre de confection des passeports biométriques d’Alger répond à des instructions des services de sécurité. «Ce blocage s’est fait sur la base de rapport des services de sécurité», explique notre source. Une autre preuve de la violation des droits des citoyens. Nous avons contacté la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) pour avoir son avis sur le sujet, sans suite. Mais l’illégalité du procédé se confirme. Selon l’avocat Mokrane Aït Larbi, «chaque citoyen a le droit à un passeport. La décision de rejet doit être notifiée par l’administration et par écrit à la personne concernée, pour lui permettre d’utiliser d’autres voies de recours. Je considère cela comme un abus». Et de préciser que «seule la justice peut prendre la décision d’interdire à un citoyen de quitter le territoire pour une période de trois mois renouvelable». L’avocat et président de la LADDH, Me Noureddine Benissad, abonde dans le même sens. «Du point de vue de la loi, il n’y a aucun texte qui prévoie l’interdiction de passeport. Seule la justice peut décider d’interdire la circulation des personnes, mais pas leur droit d’obtenir un document de voyage. Même les personnes condamnées, leurs peines ne sont jamais assorties d’interdiction de passeport», fait-il remarquer. Devant cette situation, Me Mokrane Aït Larbi interpelle les politiques : «Les députés et les sénateurs doivent faire leur travail et saisir le ministère de l’Intérieur sur cette question.»
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