De nombreux députés, pas forcément ceux issus de «l’opposition», ont vivement critiqué les options lourdes de la LF 2016, allant jusqu’à accuser les «milieux d’affaires» d’avoir fait pression sur le gouvernement et d’avoir inspiré les grandes lignes du document. Il est vrai que l’introduction de certaines dispositions du texte préparé par le département de Abdessalem Bouchouareb, parmi les mesures de la loi de finances 2016, n’a pas été du goût des parlementaires qui y voient une manière de biaiser le débat. Les députés siégeant à l’hémicycle Zighoud Youcef mettent à l’index et pratiquement systématiquement l’article 66 du PLF 2016 ayant trait à l’ouverture du capital des entreprises publiques, mais pas seulement. L’article 70 de la même loi qui se penche sur le réaménagement de la règle des 51/49% est aussi mis en cause de même que l’article 59 ouvrant la possibilité de recourir à des financements extérieurs pour des investissements réalisés dans le cadre de partenariats avec des étrangers. Il est vrai que les éléments en question constituent l’essentiel des modifications que le nouveau code de l’investissement devrait apporter. L’exposé des motifs du texte est d’ailleurs clair à ce propos, estimant nécessaire l’extraction des dispositions relatives à la règle des 51/49% de l’ouverture du capital des EPE et de l’obligation de financement local des investissements et leur repositionnement dans la loi de finances. Des dispositions qui alimentent la défiance au sein de l’hémicycle, ceci d’autant que ce n’est pas la première fois que le département des Finances et celui de l’Industrie opèrent de la sorte, vu que des dispositions relatives au droit de péremption ont déjà été prises dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2015. La crainte de voir se concrétiser les visées de transfert du patrimoine public aux mains d’une minorité d’opérateurs privés grâce aux nouvelles dispositions se renforce. Les parlementaires n’hésitent même plus à évoquer la possibilité de basculer dans un capitalisme sauvage. C’est dans ce sens que la députée du Parti des travailleurs (PT), Nadia Chouitem, estime que les mesures prises dans cette loi de finances sont destinées à vider de leur substance toutes les dispositions prises en 2009, sur instruction du président de la République, Abdelaziz Bouteflika. La députée du PT estime que certaines dispositions de la loi de finances 2016 vont à l’encontre des principes fondateurs de la République algérienne, notamment le maintien et la préservation du patrimoine et des biens publics. Elle pose aussi une question d’ordre politique en s’interrogeant sur l’origine de certaines dispositions de la loi. Elle prend ainsi pour exemple l’article 53 qui a été proposé à l’abrogation par la commission des finances et du budget de l’APN, qui permet de convertir les concessions des terrains, relevant du domaine privé de l’Etat, en cession dans le cadre d’investissements touristiques. Elle précise, dans ce sens, que ni le ministre du Tourisme ni celui des Finances, encore moins le directeur des Domaines n’ont proposé cette mesure. et de se demander qui est derrière. Elle estime que cela prouve encore qu’il y a des forces politiques parallèles et extérieures au gouvernement, susceptibles de proposer des mesures aussi lourdes de conséquences. Rapprochement entre la majorité et l’opposition Il en est de même pour l’article 66, qu’elle assimile à l’ouverture d’un nouveau processus de privatisation, ainsi que l’article 70 destiné à vider la règle des 51/49% de sa substance. Mme Chouitem estime aussi que cette loi de finances ouvre la voie à une dérive dangereuse, dans la mesure où elle marque une rupture des équilibres existant auparavant. Elle explique que si les cadeaux aux hommes d’affaires ont toujours émaillé les lois de finances mais par le truchement de contre-pouvoirs et le maintien d’un certain équilibre avec la souveraineté de l’Etat, des correctifs permettaient de ne pas dépasser les lignes rouges. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La parlementaire évoque ainsi l’existence non pas d’un capitalisme qui exerce un lobbying, mais d’une oligarchie compradore qui n’hésite pas à imposer des dispositions législatives pour servir des intérêts étroits et écraser le peu d’entreprises qui peuvent constituer la base d’un véritable capitalisme. Elle en veut pour exemple une disposition destinée à préserver les intérêts d’un seul opérateur coopté par le pouvoir parallèle. Mme Chouitem estime aussi que l’article 2 de la loi de finances 2016, qui lève l’obligation d’investissement des bénéfices réalisés par les opérateurs étrangers ayant bénéficié d’avantages, est la preuve que cette oligarchie nationale est au service de ses pendants internationaux. Cet article a d’ailleurs fait l’objet de critiques soutenues de la part des députés lors des débats hier. C’est ainsi que Mohamed Seghir Hamani, député du FJD, et Mohamed El Hadi Athamnia, ont largement mis en cause la disposition de levée de l’obligation d’investissement. Pour sa part, Ahmed Bettatache, président du groupe parlementaire FFS, n’hésite pas à dire que le gouvernement algérien perpétue une politique économique colonialiste qui vise à faire de notre pays une simple source de matières premières pour les économies occidentales. M. Bettatache précise ainsi que sans indépendance économique, l’Algérie ne peut prétendre à l’indépendance politique. Il met aussi la situation actuelle sur le compte de l’échec des gouvernements successifs à construire une véritable économie et un Etat de droit. Il estime que les dispositions de la loi de finances constituent un renoncement à la nature socialiste de l’Etat algérien et un précédent qui induira de livrer la société algérienne à un libéralisme sauvage. Il est vrai aussi que le PLF 2016 est loin de susciter la colère de la seule opposition, une partie des députés de la majorité s’étant ralliés à la fronde, même si les interventions de ceux de la majorité se sont centrées sur l’indignation que suscite l’augmentation des prix de l’énergie et des taxes imposées aux ménages. Il n’en demeure pas moins que 84 propositions d’amendement ont été déposées hier au niveau du bureau de l’APN, et ceci est un fait inédit. Cela cristallise la levée de boucliers que suscite la loi, reste à savoir si cette opposition aboutira au rejet des dispositions contestées. Les partis de l’opposition semblent avoir trouvé, pour une fois, un terrain d’entente et entendent rejeter les mesures qu’ils considèrent comme dangereuses. Mais la position des députés du FLN reste mitigée. Les opinions divergent. Le groupe parlementaire du FLN semble traversé par plusieurs courants : ceux qui défendent des intérêts financiers et ceux qui veulent avoir leur baroud d’honneur avant que leur mandat parlementaire ne prenne fin, la posture finale risque de basculer d’un côté ou de l’autre, le jour du vote prévu lundi.
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