vendredi 13 novembre 2015

Kidnapping d’enfant : Le dilemme des parents

Ils savent qu’ils risquent la prison, mais les parents dont l’enfant a été enlevé sont nombreux à ne pas prévenir la police ou la gendarmerie. Un problème de confiance qui inquiète les autorités et peut mettre la vie de l’enfant en danger. «Mon fils a été enlevé et nous avons préféré nous débrouiller seuls et ne pas nous adresser aux services de sécurité car nous savons pertinemment qu’ils ne feront rien», nous a confié Abdelghani B., 46 ans. Ce père de famille n’a pas vu son fils, 5 ans, depuis plus de deux ans. «Nous avons été choqués et nous nous sommes empressés de payer la rançon réclamée par le ou les ravisseurs de mon fils» se souvient-il. ​«Depuis deux ans, j’ai payé plusieurs rançons. La douleur est là, mais je me dois d’être fort pour ma femme qui depuis, a fait deux dépressions. Elle se sent fautive car elle l’avait laissé chez la voisine. Cette dernière l’a emmené au marché sans nous en parler et, occupée, elle n’a pas remarqué sa disparition», raconte Abdelghani. «Mon premier réflexe a été de téléphoner à un ami proche afin qu’il m’aide. Sans passer par la police ou la gendarmerie. J’avoue que je n’ai aucune confiance dans les autorités.» Cadre dans une grande entreprise de l’Ouest, Abdelghani sait que s’il se tait, il commet un délit et risque la prison. «Mais compte tenu de la corruption dans notre pays et de la mauvaise expérience que j’ai eue avec les services de sécurité, je me suis naturellement abstenu d’aller porter plainte et de signaler la disparition de mon fils. Jusqu’à ce qu’ils viennent un soir nous voir. L’enquête est toujours en cours.» Abdelghani n’est pas le seul père de famille dans ce cas. Plusieurs parents dont les enfants ont été kidnappés préfèrent s’entretenir directement avec les ravisseurs. A l’heure où les cas d’enlèvement, à défaut de savoir s’ils sont plus nombreux, sont largement plus médiatisés qu’avant, la situation semble inquiéter les services de sécurité. Il y a quelques jours, un représentant de la Gendarmerie nationale s’est alarmé sur un plateau de télévision que «certaines familles préfèrent, dans un premier temps, régler le problème seules, ce qui complique le travail des services de sécurité». Selon lui, «les familles ne font pas confiance à la police et à la gendarmerie». Dans le secteur de la justice, on s’inquiète aussi. «Ce n’est pas normal, affirme maître Naït Salah Belkacem, mais ont-ils le choix ?» D’après lui, «ce manque de confiance est dû au fait que la justice ne répond pas et à l’absence d’Etat de droit. Les citoyens ne font pas confiance aux institutions de l’Etat car ce sont les premières qui violent les lois». De son côté, Mohamed Hadibi, chargé de communication du parti Ennahda, accuse : «C’est l’Etat qui tue ces enfants !» Il poursuit : «Si le citoyen constate que même le chef de l’Etat n’est pas correct, comment voulez-vous qu’il croie en les services de sécurité ?». Maître Salah Debouz pointe aussi l’Etat du doigt : «Le phénomène d’enlèvement d’enfants en Algérie est l’une des conséquences désastreuses de la mauvaise gestion du pays par un système politique qui a négligé les valeurs humaines, méprisé les citoyens et qui a tout investi pour mettre en place et maintenir un régime politique totalitaire.» Omnipotente Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, relativise ; selon lui, «cette réaction est constatée partout dans le monde et n’est pas spécifique aux Algériens. Elle résulte de la peur qu’éprouvent les parents à l’égard de leurs enfants». Un avis partagé par Mostefa Khiati, président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem) qui explique : «Je ne pense pas que les parents de la victime se méfient des services de sécurité. Il faut savoir que la totalité des rapts d’enfant avec demande de rançon se caractérisent par une menace des parents par les ravisseurs au cas où ces derniers s’adresseraient aux services de sécurité. Les parents sont dans le désarroi et ont peur, surtout si les ravisseurs leur font croire qu’ils les surveillent, comme cela se passe souvent.» Pour le sociologue Mohamed Kouidri, «même si beaucoup d’Algériens gardent encore le souvenir d’une police ou d’une gendarmerie à l’apparence omnipotente et écrasante d’une certaine période douloureuse, ce n’est pas la cause pour laquelle ils ne préviennent pas les services de sécurité. Ils agissent plutôt par peur des ravisseurs». Le spécialiste poursuit : «Il est vrai que par le passé, les services de sécurité travaillaient en vase clos, sans communiquer avec la société, et ils n’étaient pas assez formés. Cependant, depuis quelques années, ces services ont beaucoup évolué grâce au recrutement massif, à la formation continue et à l’expérience accumulée. Cela à redonné confiance aux citoyens.» «Alerte Enlèvement» Si la mise en place d’un plan «alerte enlèvement» a été proposée en 2013 par les ministères de l’Intérieur et de la Justice, le professeur Abderrahmane Arrar, président du réseau NADA de protection des droits de l’enfant, reconnaît qu’il n’est «pas opérationnel». Il explique : «Il faut un cadre juridique et spécifique. Etant donné qu’il cible tout les acteurs concernés par la protection (police, gendarmerie, justice, famille, associations, médias, citoyen), sa mise en place demande des programmes de formation, d’information, de sensibilisation et d’éducation afin de mieux impliquer la société et protéger les enfants contre toute forme de délinquance et criminalité». Concrètement, comment sont traitées ces affaires d’enlèvement ? «Au cas par cas», affirme Mohamed Hadibi. «Tout dépend de la catégorie à laquelle appartient l’enfant enlevé. S’il est issu d’un milieu aisé, tous les moyens seront mis en place afin de le retrouver. Par contre, s’il est issu d’un milieu défavorisé, on laisse faire», se désole-t-il. Même constat du côté de Mehdi, porte-parole du groupe «alerte enlèvement» sur facebook, qui confie : «Malheureusement, je ne pense pas que les autorités traitent les affaires d’enlèvement de la même manière, comme en témoigne l’enlèvement d’Amine Yarichène. Dans de cette affaire, les autorités ont déployé tous les moyens afin de le retrouver et même le ministre de la Justice a fait des déclarations. Mais qu’en est-il des autres enfants kidnappés, pour lesques nous n’avons rien fait ?» Mourad*, d’Oran, se félicite de ne pas être allé voir la police. Pour récupérer son fils de 12 ans, l’homme d’affaires a payé une rançon de 160 millions de dinars. Au final, comme dans bien des histoires, c’est son beau-frère qui l’avait kidnappé. Salah*, médecin à Alger, a lui aussi retrouvé son fils de 9 ans en négociant directement avec le ravisseur qu’il connaissait bien puisqu’il s’agissait de son chauffeur. «On n’a même pas essayé de recourir aux autorités, confie-t-il. Je ne leur fais pas confiance. C’est comme ça. Les Algériens sont en rupture avec l’autorité. Ça ne date pas d’aujourd’hui, mais de la décennie noire où nous avons vu les militaires agir en toute impunité. En ce qui me concerne, en tout cas, ça vient de là.» Pour le sociologue Mohamed Kouidri, «l’étape post-traumatique que nous sommes en train de vivre, après la violence inouïe que nous subissons depuis la décennie de sang et bien avant, risque de nous pousser à la panique à la moindre rumeur. C’est pour cela que le travail le plus important à mener est au niveau des enfants eux-mêmes et des familles, par l’information, l’explication». Dans le cadre de la lutte contre les enlèvements, tout le monde est en théorie concerné, même les présidents d’APC, censés donner l’alerte. Désormais, ils doivent s’impliquer dans les recherches effectuées par les services de sécurité au cas où la disparition d’un citoyen est signalée. En effet, dès le signalement d’un enlèvement, un plan d’urgence et de secours — un nouveau dispositif — est lancé par le maire dans sa commune. Ce fut le cas le jour de l’enlèvement du petit Amine Yarichène.  

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