mercredi 11 novembre 2015

«On peut tromper la vigilance du Président à cause de son état de santé»

Abdelkader Guerroudj, combattant de la première heure lors de la guerre de Libération nationale, deux fois condamné à mort par la justice coloniale, reprend le chemin de la lutte, 53 ans après l’indépendance. A 86 ans, il fait partie des signataires de la lettre du «groupe des 19» demandant audience au président de la République pour lui faire part de leurs inquiétudes concernant le pays. - Vous faite parti du «groupe des 19» ayant demandé audience au président  de la République. Pourquoi vous voulez voir le Président ? Je suis inquiet, très inquiet de la situation qui prévaut dans le pays. Il y a des problèmes internes et des dangers qui peuvent nous venir de l’environnement international. Les problèmes internes ne sont pas particuliers à l’Algérie, mais les dangers existent et personne n’a le droit de les nier. Je ne suis pas là pour faire de la politique, je ne suis pas économiste, ni  écrivain, je suis un citoyen de ce pays qui a essayé d’aider ce pays à se libérer. Nous avons libéré le pays, mais beaucoup reste à faire. La libération n’est pas une fin en soi. Il faut construire l’Algérie. Vous m’avez interrogé sur ma participation à l’initiative de ce qu’on appelle «le groupe des 19». Nous commençons à devenir célèbres, ce n’était pas notre but. Notre objectif est d’aider les autorités à prendre conscience de ce que pense le peuple, parce que les institutions qu’elles soient l’Assemblée populaire nationale ou le gouvernement ne disent parfois que ce qui les arrange. - Quelles sont les raisons qui vous ont  poussé à dire que le Président n’est pas au courant de tout ce qui se passe dans le pays ? Concernant par exemple le droit de préemption, il faut être fou pour envisager son annulation. Cela prouve ou bien les gens ne savent pas ce qu’est le droit de préemption ou bien ils le savent et ils sont partie prenante et veulent brader l’Algérie. Si ces gens veulent tromper la vigilance de notre Président à cause de son état de santé… Nous sommes alors les gardiens de la vigilance de notre Président dont nous connaissons les idées. J’ai vu le Président et je peux vous dire que dans certaines occasions il réagit de manière violente sur des questions que d’autres ont laissé passer. Notre Président est jusqu’à présent le gardien des intérêts supérieurs de l’Algérie - C’est donc son entourage qui est mauvais ? Je n’ai pas parlé de son entourage. - Mais alors qui cache la vérité au Président. ? Qui sont les menteurs ? J’ai dit on cache la vérité et on est indéfini. J’ai dit on peut tromper la vigilance du Président à cause de son état de santé. Si l’Algérie n’a pas encore été attaquée ou sollicitée par les puissances étrangères, on le doit au rempart que constitue Bouteflika. - Quelle est votre relation avec le Président ? Vous êtes son ami ? Je ne parlerai pas de mes relations avec le Président, c’est lui qui pourrait en parler. Avant l’indépendance, je ne le connaissais pas, mais depuis l’indépendance il est devenu un de mes amis. Il m’a prouvé, à plusieurs reprises son amitié, mais l’amitié du président de la République c’est une chose et la situation du pays est une autre chose. Je ne peux pas rester muet face à certaines critiques. Cela me fait mal au cœur. Parfois j’entends des choses graves et je me dis notre Président mérite mieux que ça. - Et vous voulez transmettre au Président ces critiques ? Oui. - Mais est-ce que vous trouvez normale cette façon de faire ? Un Président quasiment effacé et auquel on demande audience pour lui faire part des préoccupations du peuple ? C’est justement ça. Ce n’est pas normal. Le Président, bien entendu, personne ne peut le contraindre. Nous lui avons fait une demande, maintenant il nous reçoit, il ne nous reçoit pas, en ce qui nous concerne nous lui avons adressé une demande. Nous ne porterons pas de jugement à la réponse qu’il réservera à notre demande. Nous avons fait une demande et nous attendons. C’est tout. - Et s’il n’apporte pas de réponse ? Eh bien attendons et nous verrons, c’est tout. - Sellal a apporté une réponse, lundi, en déclarant que Bouteflika gère au quotidien les affaires du pays… Ce qu’a dit Sellal ne m’intéresse. Je ne suis pas là pour aborder les problèmes actuels, comme le scandale Sonatrach, celui de l’autoroute Est-Ouest, le cas Chakib Khelil qui a été reçu à l’ambassade d’Algérie aux Etats-Unis en grande pompe… Cela ne nous intéresse pas.  Chakib Khelil peut regarder le ministre des Affaires étrangères et notre Président. Pas moi. Je ne suis pas là pour faire de la politique. Nous avons fait une demande au Président pour lui faire part de nos inquiétudes. Le peuple est inquiet. Prenez l’exemple du dinar qui dégringole. Cela ne peut pas nous laisser indifférents. Idem pour ce qui se passe en Syrie, en Irak ou en Libye. La Libye est un pays qui n’existe plus. C’est un pays voisin, nous sommes en danger. Les politiciens savent que l’Algérie est dans la ligne de mire de l’impérialisme américain soutenu par, notamment, l’Arabie Saoudite ou le Qatar. - Vous dites que vous ne faites pas de la politique, mais vous êtes en train de faire de la politique à travers la démarche du «groupe des 19». Ne pensez-vous pas que nous payons aujourd’hui le prix du 4e mandat ? N’est-ce pas la conséquence de l’état de santé du Président ?  Maintenant, notre Président que Dieu lui prête vie, il est libre de ses décisions. Je n’ai pas à juger du 4e ou 5e mandat. Je ne porte pas de jugement sur cet aspect. Certes, sur les dernières élections présidentielles, j’avais un point de vue que j’ai traduit dans une lettre que, malheureusement, je n’ai pas pu remettre au Président. - Quel était le contenu de cette lettre ? Je ne peux pas vous le livrer. La lettre est adressée au Président. Il ne l’a pas lue, elle restera dans mes tiroirs. - Mais vous ne pensez pas que tout est lié à la maladie du Président ? Il est dans l’incapacité de gouverner ? Je juge à partir d’une situation réelle, pas d’une situation hypothétique. Je me base sur la situation actuelle. Les personnes qui véhiculent ce discours ne représentent qu’elles-mêmes ou leurs intérêts. - Qui sont ces personnes ? Ecoutez, je ne suis pas là pour faire de la politique. Si c’est le cas donc je parlerai du FLN. - Eh bien parlons-en du FLN et des dernières déclarations de Saadani ! Je ne parlerai pas de Saadani que je ne connais pas, je parle du FLN que je connais, auquel j’ai appartenu et auquel j’appartiens. Le FLN d’aujourd’hui n’est pas celui dans lequel j’ai combattu. Interprétez cela et comprenez-le comme vous le voulez. Le FLN tel que je le vois ne correspond pas au FLN dans lequel j’ai combattu. - Mais il y a une réalité qu’il ne faut pas occulter, c’est Saadani du FLN, Ouyahia du RND et Ghoul du TAJ qui se sont permis de critiquer votre démarche ! Mais nous ne nous sommes pas adressés à Saadani ni à Ouyahia. Ce dernier a eu l’intelligence, pour ne pas dire la malice, de nous répondre en tant que président du RND et non en tant que chef de cabinet de la Présidence. Mais ça ne trompe personne, quant à nous, nous ne sommes les représentants de personne et nous ne sommes surtout pas des représentants d’un parti quelconque, nous ne sommes que les représentants de nous-mêmes. Nous avons la prétention d’essayer d’être la voix du peuple. Nous sommes sincères. Même si parmi nous, il y en a certains qui peuvent avoir des arrière-pensées, ils sont libres, nous ne sommes pas là pour scruter ce qui se passe dans les cervelles de ceux qui sont avec nous. Nous sommes là pour prendre des décisions ensemble, nous essayons de les appliquer ensemble. En cours de route il y a ceux qui peuvent vous lâcher. Tant pis. Nous estimons que personne n’a le droit de parler au nom du Président. En recevant des personnalités étrangères, Bouteflika n’était pas muet. Il leur a parlé. Pour les personnes que nous sommes, nous valons mieux qu’un Hollande ou un autre. Nous sommes des Algériens. Bouteflika est notre Président et souvent notre ami, il peut même nous recevoir pour nous sermonner. - Mais Saadani vous a invités à interroger le président Holllande sur l’état de santé de Bouteflika ? Cela veut dire que Saadani n’est pas encore décolonisé. C’est lui qui a besoin d’être soigné. C’est scandaleux de la part d’un chef de parti. - Est-ce que le FLN est tombé si bas avec un  Saadani à sa tête ? Oui. Et je ne suis pas seul à penser que le FLN est tombé bien bas et je regrette que Saadani soit à la tête du parti. - Vous êtes convaincu de votre démarche ? Oui même si d’autres en doutent, ma démarche est sincère et le Président sait que lorsque je m’exprime, je le fais avec sincérité - Comment en sommes-nous arrivé à cette situation ? Faire une demande pour voir le Président ? (rires) Je n’ai pas de réponse. Nous sommes un groupe d’amis qui se sont concertés. Nous nous sommes dit, au lieu de parler faisons quelque chose, écrivons au Président pour demander à être reçus. - Que pensez-vous de l’initiative du groupe qui revendique la transition et qui a également demandé audience au Président? Je ne suis pas dans l’opposition. Les gens qui sont dans l’opposition font de la politique. - Mais Louisa Hanoune est un acteur politique... Louisa Hanoune a précisé qu’elle a signé en tant qu’individu et non en tant que chef de parti, sinon je n’aurais pas adhéré. Moi je n’appartiens à aucun parti. Les initiatives partisanes sont légitimes et démocratiques, il y a un éventail d’idées et d’idéologies. Je ne veux pas me situer dans un parti quelconque, si je ne veux pas être dans l’opposition. Je veux juste dire  ce qu’il se passe dans le pays, si le Président veut savoir ce que je pense, qu’il me convoque. - Les changements à la tête de l’armée… Je me refuse à dire quoi que ce soit. L’armée notre ANP est déjà trop occupée avec les problèmes qui se posent à nos frontière. Je ne dirai rien, surtout pas sur le DRS. - A la veille du 1er novembre, l’ancien ministre Ould Kablia a justifié l’assassinat de Abane Ramdane ; que répondez-vous ? Ould kablia a tenu des propos graves concernant Abane Ramdane, à mes yeux. je donne simplement est un avis personnel. Abane est d’une dimension telle que quoi qu’il arrive, il est devenu intouchable.  Je dis et je pèse mes mots : que ceux qui osent dire que l’assassinat de Abane était juste et justifié, ce sont des criminels et par voie de conséquence Ould Kablia est un criminel, car il ose s’attaquer à une icône. Je voue à Abane un respect éternel, même si je ne l’ai pas connu. - La situation est grave du le fait que tout est lié à la maladie du Président ? La situation est grave, oui. Mais même lorsque nous avions des Présidents en bonne santé, des choses se sont dégradées. Donc la maladie du Président n’est pas responsable de ce qui se passe dans le pays. Je plains les responsables qui ont eu à gérer un pays aussi compliqué. Ne nous précipitons pas à jeter la pierre à ceux qui nous gouvernent. - Mais certains disent que nous avons reculé dans tous les domaines… Pourquoi ? Nos responsables ne sont-ils pas compétents ? En résumé, parce que les appétits des gros ont porté préjudice aux intérêts des petits. Nos ministres, pour la plupart, sont des «bouffeurs». Nos députés sont également des «bouffeurs»… Nous n’avons pas la culture de la dignité. Nous n’avons malheureusement pas de Parlement. Il faut que l’Etat investisse, s’investisse et permette aux autres d’investir tout en mettant des garde-fous. - Beaucoup disent aussi que notre justice n’est pas indépendante… La justice n’existe pas dans notre pays. 90% des avocats sont corrompus et 90% des affaires traitées dans les tribunaux d’Algérie ne devraient pas arriver jusque-là, elles devraient être réglées au niveau de la police. Il faut remplacer la religion par la morale. La religion on peut lui faire dire ce que l’on veut. La morale, non : il y a le bien et il y a le mal. - Des généraux ont été arrêtés et cela a soulevé un tollé. Qu’en pensez-vous ? Que reproche le pouvoir à ces gens ? S’il leur reproche des choses graves, qu’il leur accorde un peu de respect de par les fonctions qu’ils ont occupées. Ils ont exercé certaines fonctions, ils méritent à cet effet un peu plus d’égards. Il y a, à mon avis, une atteinte aux droits de l’homme. Et cela n’est pas la faute à Bouteflika, mais aux institutions judiciaires.  

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