jeudi 12 novembre 2015

Silence coupable

Adopté au forceps en mars dernier par l’APN, le texte de loi relatif aux violences faites aux femmes attend toujours l’aval du Sénat alors que le nombre des victimes de ce phénomène ne cesse d’augmenter. Encore une autre femme victime de violence, qui meurt écrasée à Magra (wilaya de M’sila) par un homme, juste parce qu’elle est femme et qu’elle a osé dire non à son agresseur. Razika n’est en fait qu’un autre nom qui vient s’ajouter à la longue liste de femmes violentées. Une liste laissée ouverte tant que l’Etat continue à être indifférent aux souffrances d’un large pan de la société qui subit les affres du déni de droit. L’on se rappelle dans quelles conditions le projet de loi contre les violences à l’égard des femmes a été adopté par l’Assemblée nationale en mars dernier, après un débat aussi violent que virulent suscité par des députés venus en masse, alors que souvent ils s’illustrent par leur absence même lorsqu’il s’agit de discuter de lois qui engagent l’avenir du pays, dont celle relative à l’exploitation du gaz de schiste, pour ne citer que celle-ci. N’ayant pas pu bloquer le texte, certains députés du courant islamo-conservateur vont user de leurs réseaux dans les rouages de l’Etat, notamment au sein de la Présidence, pour geler le texte, alors que son examen était programmé au Conseil de la nation juste après son adoption par l’APN. Quelques contacts seulement, une entrevue avec le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, ont suffi pour remettre aux oubliettes cette loi tant attendue par le mouvement associatif féminin et les militants des droits de l’homme. Malgré les promesses du président du Sénat pour le sortir des tiroirs, le texte n’est toujours pas programmé et il n’est pas certain qu’il le sera cette année. Bien évidemment, nous entendrons des voix officielles s’élever contre ce fléau, le 25 novembre prochain à l’occasion de la Journée mondiale contre les violences à l’égard des femmes, juste pour la consommation externe. L’on se rappelle de cet ordre donné publiquement par le Président à Abdelmalek Sellal, à travers un communiqué publié le 8 mars dernier, d’installer une commission chargée de revoir les dispositions relatives au divorce, notamment dans ses volets liés au «khol’â» (rachat de la liberté par la femme) et à la répudiation afin de garantir l’équité et l’égalité entre homme et femme, et protéger la cellule familiale des dislocations qu’occasionnent le déni des droits et les atteintes à la dignité humaine dont font l’objet souvent les épouses. Malheureusement, à ce jour, aucun groupe de travail n’a été installé et ce projet de réforme n’est plus à l’ordre du jour. Jusqu’à preuve du contraire, cet effet d’annonce n’était que de la poudre aux yeux de ceux qui mènent le long et périlleux combat pour les libertés et le droit à la dignité. En attendant, les femmes continuent à subir l’inacceptable. Ce constat a suscité de nombreuses réactions. D’abord d’un groupe d’associations de femmes et de droits de l’homme qui a adressé une lettre au Premier ministre et lancé une pétition pour faire adopter le projet de loi contre les violences à l’égard des femmes par le Sénat. Lui emboîtant le pas, l’ONG des droits de l’homme Amnesty International a exhorté les responsables algériens à «prendre toutes les mesures nécessaires» pour que le projet soit adopté «dans les plus brefs délais». Amnesty International a écrit : «Malgré nos réserves sur la clause qui prévoit l’arrêt des poursuites judiciaires en cas de pardon de la victime, exposant ainsi les femmes à un risque accru de violence et de coercition pour qu’elles retirent leur plainte, ce projet de loi représente une avancée positive pour la protection des femmes et des jeunes filles contre les violences.» Aucune suite n’a été donnée à ces actions par les autorités, reléguant ainsi au second rang les préoccupations légitimes d’un large pan de la société qui souffre en silence du déni de droit dont il fait l’objet. Chaque année, aussi bien les services de sécurité que les rares organismes qui reçoivent des victimes de violences font état de statistiques inquiétantes de femmes violentées. Durant les 9 premiers mois de cette année, les services de police ont enregistré plus de 9000 cas de femmes violentées, alors qu’en 2014, durant la même période, leur nombre était de 7000. Les violences physiques viennent en première position avec plus de 70% des cas, suivies de la maltraitance et des agressions sexuelles. Ces violences s’exercent souvent dans le foyer familial, censé être le lieu le plus protégé, mais aussi dans l’espace public. L’année dernière, 27 femmes ont été tuées en 9 mois alors que plus d’une vingtaine ont subi le même sort durant la même période de 2015. Les victimes viennent de toutes les catégories sociales et sont de plus en plus nombreuses à dénoncer leur agresseur qui, souvent, en raison des carences de la loi, s’en sort à bon compte. Face à une loi qui ne protège pas et une société qui ne dénonce pas, qu’elles soient fillettes, enceintes ou âgées de plus de 70 ans, les femmes continueront à être agressées, violées, insultées, malmenées, humiliées, harcelées et même tuées par des inconnus dans la rue ou par des proches au domicile familial. Les statistiques sont loin de refléter la réalité de cette situation tragique en raison de l’omerta imposée aux victimes par leurs proches et les pesanteurs socioculturelles. Installé il y a quelques années, Balsam, un réseau national de centres d’écoute des femmes victimes de violences, a reçu 29 532 cas d’agression sur des femmes. C’est dire que la situation est bien plus inquiétante que le démontrent les statistiques officielles. Tant que l’Etat ne légifère pas des lois plus protectrices, d’autres Razika viendront grossir la liste des victimes de violence ou perdront la vie, assassinées dans la rue par un inconnu dont l’ego a été touché juste parce qu’elles n’ont pas répondu à ses désirs.  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire