Le chercheur, écrivain, économiste et ancien ministre Smaïl Goumeziane revient dans cet entretien sur le fond et la forme du plan d’action présenté à l’APN par le Premier ministre Abdelmadjid Tebboune. Goumeziane souligne que pour faire face «au tsunami pétrolier», «il faudrait mobiliser, démocratiquement, l’ensemble des forces vives de la nation». - Que pensez-vous de la stratégie adoptée par le gouvernement pour faire face à la crise ? La crise que traverse le pays est double. Elle est plus ou moins conjoncturelle si nous la rattachons simplement à la chute brutale des prix des hydrocarbures. Mais elle est plus structurelle lorsqu’on regarde l’incapacité chronique à impulser le développement, même lorsque le pays disposait d’immenses ressources financières occasionnées par l’embellie pétrolière. Le plan d’action du gouvernement semble reconnaître cette double caractéristique de la crise, puisqu’il présente des mesures à court terme (2017-2019) et des actions à moyen terme (2020-2030). Pour autant, dans les deux cas, le programme de réponse à la crise me paraît insuffisant pour plusieurs raisons. D’une part, il ne s’appuie sur aucun bilan de la situation du pays à juin 2017, bien que la situation économique se soit fortement dégradée depuis 2014. Les carences, reconnues, de l’appareil national de statistiques n’excusent en rien cette insuffisance. D’autre part, les mesures de court terme et les projections plus lointaines semblent ne répondre qu’au souci des équilibres financiers macro- économiques, à sauvegarder coûte que coûte, et qu’au retour d’une croissance, certes plus forte, du PIB national, autrement dit de la richesse nationale. Or, dans l’histoire récente de l’Algérie, nous avons appris que les périodes de croissance, même fortes, n’ont jamais à elles seules produit le développement. Souvent, pour des raisons autant économiques que politiques, elles ont même conduit à des situations d’inégalités économiques et d’injustices sociales insupportables pour la grande majorité de la population. Ce fut notamment le cas lors de la période de l’industrialisation accélérée des années 1970 et lors de la seconde embellie pétrolière des années 2000. Dans le premier cas, on y connut les dérives de l’économie de pénuries. Dans le second, l’explosion de l’économie informelle, de ses oligarchies et de ses réseaux opaques. C’est dire que le développement ne se résout pas au seul respect à tout prix des équilibres financiers, ni à la seule croissance du PIB. - Dans des commentaires que vous faites sur le plan d’action du gouvernement, vous écrivez que celui-ci est «une pâle copie de documents élaborés du temps de Sellal» et que l’Exécutif semble «s’enfermer dans une logique de croissance pour mieux ignorer toute démarche de développement». Est-ce à dire que le gouvernement est en panne d’idées ou qu’il ne mesure pas suffisamment la gravité de la situation ? En effet, deux rapports, bien documentés et chiffrés, malgré les insuffisances statistiques, ont été adoptés par les autorités en 2012 (sur la question énergétique) et en 2016 (pour ce qui concerne le «nouveau modèle de croissance») et publiés. Ils ont, à l’évidence, servi de point de départ au programme du gouvernement. Le problème ne se trouve pas tant dans cette continuité ni dans la démarche. D’ailleurs, franchement, personne n’attendait un programme de rupture. Peut-être davantage un programme qui tienne compte de la dégradation accélérée de l’économie du pays depuis deux ans. Le problème se situe précisément là, dans le fait que les chiffres et perspectives qui en sont repris ne prennent pas en compte la détérioration de la situation subie par le pays depuis ces deux dates. Il eut fallu, pour le moins, actualiser les chiffres et les tendances. Pour autant, au-delà de cette continuité à travers les chiffres et les tendances, ce qui laisse le lecteur du programme sur sa faim, c’est cette logique de croissance fondée sur la restauration, à tout prix, des équilibres financiers. Comme si les autres équilibres du pays étaient moins essentiels, que ce soit en termes économiques (emploi, revenus, éducation, santé, logement, transport) ou politiques (libertés individuelles et collectives). Or, c’est là, comme je le signalais précédemment, que nous constatons qu’il manque à ce plan son objectif essentiel : le développement. Or, rappelons-le encore une fois, le développement suppose la croissance, mais toute croissance n’entraîne pas le développement. Dans ces conditions, la question n’est pas de savoir si le gouvernement est ou non conscient de la gravité de la situation. On peut même lui accorder qu’il est, en toute bonne foi, parfaitement conscient de cette gravité qu’il vit et gère au quotidien. D’ailleurs, le Premier ministre le reconnaît lorsqu’il affirme : «Nous gérons un pays qui va très vite et où pratiquement le quotidien prend le pas sur ce qui est programmé.» Face à cette «dictature du quotidien», le problème réside peut-être davantage dans le choc entre la direction imprimée par le quotidien, écartelé entre les besoins exprimés par les populations et les réponses apportées par les programmes. Probablement, parce que les mesures proposées et les instruments utilisés s’avèrent inadaptés à la gravité de cette situation. Et aussi, parce que l’élaboration et la mise en œuvre des actions restent circonscrites au niveau du seul gouvernement et de son administration, quand il faudrait mobiliser, démocratiquement, l’ensemble des forces vives de la nation face au «tsunami pétrolier». Car, je l’ai rappelé à diverses reprises, c’est lorsqu’il est rassemblé que le pays peut faire des miracles, et jamais quand il est divisé, ou lorsqu’une partie du pays ignore l’autre partie. - Le constat du Premier ministre sur l’absence de statistiques fiables en Algérie n’arrange pas non plus les choses. Peut-on aller vers des réformes sérieuses avec des données erronées ? L’absence de statistiques fiables est un vrai sujet de préoccupation, et le gouvernement a raison de vouloir améliorer le fonctionnement de l’appareil statistique, la collecte et le traitement des informations économiques. Ceci étant, les statistiques ne sont qu’un élément, certes important, du chiffrage d’un plan d’action, et on peut toujours approcher plus ou moins objectivement la réalité et son évolution en y apportant des correctifs judicieux et cohérents. C’est d’ailleurs ainsi que tous les plans du pays depuis l’indépendance ont été élaborés et diffusés en interne et à l’extérieur. C’est dire que cette fiabilité relative des statistiques ne joue qu’un rôle mineur dans la mise en œuvre du plan d’action ou même de réformes. En ce sens, les statistiques ne peuvent être «l’arbre qui cache la forêt». D’ailleurs, lorsque des statistiques sont trop peu fiables, la réalité se charge de les mettre en cause. Aussi, le sérieux de toutes réformes ne se résume pas, fondamentalement, à juger de la seule pertinence des statistiques de référence, mais à juger le contenu de ces réformes, leur capacité à mobiliser les forces vives autour de leurs objectifs, et leur engagement à modifier, en les améliorant, les conditions de régulation démocratique de l’Etat, les conditions d’investissement, de production et de distribution des entrepreneurs, et, in fine, les conditions de vie et de travail des populations. De toutes les populations. - La décision a été prise de ne point recourir à l’endettement extérieur. Au vu de la baisse effrénée du niveau des réserves de change, les financements internes suffiront-ils à combler le déficit ? Eu égard aux terribles problèmes qu’a posés la dette extérieure du pays dans les années 1980-1990, il est évident que retourner à l’endettement international n’est pas aisé. Le traumatisme est encore là, et je peux comprendre qu’il n’y ait aucune envie de revivre cet épisode douloureux et ses répercussions sur le pays. Pour autant, en la matière, il faut veiller à ce que la solution, le non-recours à l’endettement externe, soit plus risquée et dangereuse que le manque de financement et son corollaire la baisse plus ou moins drastique des dépenses publiques. Si l’on veut, comme le souhaite le gouvernement, garantir un niveau de dépenses incompressibles, accélérer la réhabilitation et l’expansion des activités productives nationales (le secteur manufacturier devrait doubler sa participation au PIB national) et si l’on veut que les énergies renouvelables contribuent à 40% dans le mix énergétique national, il faut des ressources financières conséquentes, notamment en devises, que les financements internes ne pourront couvrir, surtout au moment où les réserves en devises du pays fondent comme neige au soleil. Si l’on accepte ces objectifs, et il n’y a aucune raison de s’y opposer, comment faire ? De mon point de vue, l’excès en tout étant néfaste, il faut réfléchir, en toute lucidité et responsabilité, à la possibilité de recourir, sous certaines conditions, à l’endettement international pour ne pas rééditer les erreurs du passé. En toute responsabilité et lucidité veut dire en étant conscient des conditions, des choix, des priorités et des limites à définir pour le recours à cet endettement. Parmi, ces conditions et ces choix, il est désormais évident que ne seraient privilégiés que les projets publics et privés dont le caractère productif, rentable et source de développement serait avéré, de sorte à garantir, à terme, le remboursement des crédits, l’exercice des obligations fiscales, ou dont le caractère social pour le plus grand nombre serait affirmé. Des projets dont on aurait aussi déterminé avec rigueur les coûts de réalisation et non soumis aux sempiternels processus de surfacturations et autres réévaluations. Enfin, dans cette ouverture au financement externe, il ne faut pas oublier les énormes potentialités financières dont dispose la diaspora établie à l’étranger et qui pourraient contribuer au financement de bien des projets sans peser sur la dette externe de l’Etat. - Dans sa politique budgétaire, le gouvernement semble opter pour une gestion prudentielle. En l’absence d’un appareil de production performant, comment faire pour allier dépenses raisonnables et maintien des acquis sociaux ? La baisse des subventions et l’augmentation des impôts sont-elles un passage obligé ? La politique budgétaire rénovée présentée par le gouvernement ne correspond pas tout à fait à ce que vous appelez une gestion prudentielle. Une gestion budgétaire prudente serait celle qui viserait à maintenir, voire garantir les différents équilibres économiques et sociaux du pays dans tous les domaines. Or, à la lecture du programme, il semble qu’on privilégie le retour accéléré (avant 2019) des seuls équilibres financiers. Il n’est qu’à voir la diminution brutale des importations. En un mot, de mettre un terme aux déficits publics. C’est là une vision orthodoxe chère aux institutions internationales, notamment dans leurs rapports aux pays du Sud. Pourtant, nous le savons, bien des pays développés vivent et évoluent sans grave problème avec des déficits, et même un lourd endettement externe. Pis, sous certaines conditions, les déficits peuvent contribuer à la relance de la croissance et du développement. Afin de préserver ces équilibres financiers, le gouvernement compte utiliser les instruments traditionnels des institutions de Bretton Woods : «baisse des dépenses publiques» et «mobilisation de ressources additionnelles». Dans ces conditions, le programme s’appuie sur les deux instruments privilégiés du FMI et de la Banque mondiale : la diminution des transferts sociaux et la réduction de l’espace public ; l’augmentation des recettes publiques par la réforme fiscale, entendez par l’augmentation des impôts non pétroliers. Bien évidemment, qui pourrait être contre une gestion saine des deniers publics ? Personne. Qui pourrait s’opposer à mettre de l’ordre dans la multitude de subventions dont les effets, pour certaines d’entre elles, ont été, depuis longtemps détournées de leurs buts initiaux avec de multiples effets pervers ? Personne. Qui pourrait s’opposer à une meilleure gestion de l’outil fiscal, notamment en termes de fiscalité ordinaire ? Personne. Pour autant, dans le domaine des dépenses publiques, est-on sûr que le niveau des subventions est aberrant eu égard aux besoins sociaux ? N’est-ce pas l’incapacité des secteurs productifs public et privé à générer des ressources qui est en cause ? Est-on sûr que les économies que générerait la diminution des transferts sociaux seraient plus efficaces que la diminution des coûts des programmes d’investissements publics et privés ou des importations compte tenu des niveaux de surcoûts, de surfacturations et autres réévaluations de projets auxquels le pays fait face depuis de nombreuses années ? Que dire, par exemple, en termes de dépenses publiques, des projets industriels ou infrastructurels publics dont les surcoûts avérés se chiffrent en milliards de dollars ? Que dire de la multitude de projets industriels privés qui, une fois mis en production, se révèlent, pour diverses raisons, incapables de s’acquitter de l’impôt, voire des cotisations sociales ? Et qui se traduisent bien souvent par autant de transferts «inverses et non sociaux» et pour le moins opaques vers des destinations privées, nationales ou étrangères ? S’il y a un effort de rationalisation et de maîtrise de la dépense publique à faire, et il faut le faire, ne serait-il pas judicieux de le faire d’abord sur ces dépenses d’investissement ou d’importations particulièrement budgétivores et sources de gaspillages, plutôt que sur les transferts sociaux ? Ne serait-ce que pour prendre le temps, avec le concours de toutes les parties concernées, d’y mettre, démocratiquement, de l’ordre. Le programme a expressément prévu ce temps de concertation avec les parties concernées. Mais au regard de la complexité et de la sensibilité de la question, pourquoi se suffire d’une simple concertation non exhaustive compte tenu des délais impartis ? Ne faudrait-il pas viser la mise en place d’un «comité consultatif permanent», où siègeraient toutes les parties concernées, en charge du suivi et du contrôle de l’efficacité de la politique du gouvernement en termes de subventions et autres transferts sociaux. Chaque année, un tel comité pourrait présenter un rapport à destination du gouvernement et du Parlement. En effet, ne vaut-il pas mieux pécher par excès de prudence et de concertation que par excès de précipitation ? En sachant, par ailleurs, comme le montrent les statistiques internationales, que le faible niveau de subventions visé n’est pas forcément un signe de bonne santé et de développement. Bien des pays développés, notamment du nord de l’Europe, ont des niveaux de subventions bien supérieurs à ceux de l’Algérie. Mais aussi, il est vrai, des secteurs productifs, des entreprises et une administration autrement plus performants. Par ailleurs, la baisse des dépenses publiques doit être mise en perspective avec le rythme et la capacité du gouvernement à augmenter le niveau des recettes. L’outil fiscal est, certes et dans certaines limites, un levier exceptionnel pour cela. Sauf qu’il ne faut pas, là non plus, se tromper d’adversaire. En ciblant l’augmentation de l’impôt sur les revenus et celle de la TVA, on risque d’exercer une pression insupportable sur les couches sociales qui s’acquittent déjà, par la retenue à la source, de leur devoir fiscal au moment où leur pouvoir d’achat, inflation oblige, s’érode chaque jour davantage. Au lieu d’inquiéter les populations démunies et les couches moyennes (ou ce qu’il en reste), pourquoi ne pas aller voir d’abord du côté des gisements financiers insoupçonnés constitués par les créances fiscales non recouvrées, par la fraude et l’évasion fiscales rendues possibles par toutes sortes de revenus invisibles, donc non déclarés, de ceux qui s’abritent derrière la procédure des doubles bilans, ou de ceux qui se maintiennent hors de portée de l’administration fiscale au sein d’une économie informelle de plus en plus envahissante… Lors des débats à l’Assemblée nationale, le Premier ministre en a convenu et a précisé deux points essentiels : d’une part, qu’il allait «exonérer d’impôts les bas salaires», et d’autre part que «les grands investissements industriels (publics et privés) seront soumis à un impôt plus juste, dont ils devront s’acquitter dès la mise en production». Et d’ajouter : «Les détenteurs de fortunes doivent apprendre à payer les impôts.» Pour autant, tout cela n’est-il qu’une question d’apprentissage ? En tout état de cause, est-ce à dire que des dispositions en ce sens seraient inscrites dans la prochaine loi de finances pour 2018 ? A voir. Il est vrai que dans cette jungle, seule une véritable «guerre fiscale», menée avec des moyens démocratiques, mêlant fermeté et souplesse, permettrait de venir à bout de ces pratiques délictueuses exercées par tous ces «exilés fiscaux de l’intérieur». Mais, le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? - Quelles sont les mesures à prendre pour sortir le pays du nuage noir de l’informel ? L’insertion de l’économie informelle dans la formalité est un des objectifs les plus essentiels de toute stratégie nationale de développement. Or, curieusement, bien qu’abordé par le programme, seules 3 lignes lui sont consacrées ! Est-ce à dire que la place et le rôle qu’occupent les activités économiques informelles dans l’économie nationale (et pas seulement dans le commerce) sont méconnues ? A priori non, puisque le gouvernement souhaite l’insertion de cette économie dans la formalité et prendre des mesures en ce sens. En fait, le programme semble sous-estimer l’expansion incroyable de l’informalité ces dernières années, y compris au sein des activités dites légales ou formelles, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Or, il faut le préciser, l’informalité est un mal profond dont souffrent tout autant les acteurs de l’économie informelle que ceux de l’économie formelle. Quand les activités informelles génèrent plus de 40% du PIB national, que 50% de la masse monétaire en circulation échappe à la bancarisation, que près de 5 millions de travailleurs ne sont pas déclarés, il apparait évident que trois lignes ne suffisent pas à formaliser ces activités informelles. Au Pérou, qui connut cette situation à une plus grande échelle encore, dans les années 1980, un grand auteur résume clairement le problème : «La véritable division de la société péruvienne n’est pas la division horizontale entre patrons et ouvriers, (ou entre économie formelle et économie informelle)… Elle est constituée par une ligne verticale. A sa droite se situent ceux qui sont heureux de vivre des faveurs et des privilèges d’une économie et d’un système politique fermés et excluant. A sa gauche, se trouvent les secteurs légaux et informels qui veulent produire, faire jouer la concurrence et évoluer dans une société ouverte à tous.» (Hernando de Soto, L’autre sentier, éd. La découverte, 1994). En effet, ce que révèle l’informalité, au-delà de l’existence d’activités parallèles, c’est la crise structurelle des institutions légales qui, par le jeu du clientélisme et de l’arbitraire, excluent le libre accès de tous (opérateurs légaux et informels) aux activités économiques, à leurs ressources et à leurs fruits. Dans ces conditions, on ne peut guère reprocher aux citoyens (producteurs et consommateurs) de compter sur leurs propres potentialités et initiatives, fussent-elles en marge du «droit clientéliste», sans plus attendre de l’Etat des solutions à leurs problèmes et besoins quotidiens. C’est dire que la solution au problème de l’informalité supposerait, à lui seul, un véritable plan d’actions multiformes, impliquant toutes les parties concernées (formelles et informelles). Pour engager ces actions, deux types de moyens s’imposent. D’une part, ceux qui, à court terme, permettent d’affronter les problèmes institutionnels pour éliminer les obstacles de tous les ordres qui empêchent entrepreneurs légaux et informels de s’intégrer et de progresser. Le programme du gouvernement a ainsi pu identifier une partie de ces obstacles et a affiché son engagement à les lever (foncier, système bancaire, procédures douanières...). D’autre part, ceux qui, à moyen terme, permettent d’affronter les problèmes institutionnels plus fondamentaux, touchant à la nature et au fonctionnement de l’Etat de droit. De sorte qu’à terme, tous les opérateurs se soumettent à une même loi juste et efficace, plutôt qu’à l’arbitraire et au clientélisme du pouvoir politique. - Dans ces conditions, comment le programme du gouvernement compte-t-il assurer le développement des activités productives nationales hors hydrocarbures ? Avec l’approfondissement de la crise (suite à l’effondrement des prix pétroliers), le gouvernement semble s’intéresser au devenir de l’appareil productif national hors hydrocarbures qui pèse moins de 5% du PIB aujourd’hui. Tant mieux. Des objectifs ambitieux sont affichés : reconversion et diversification de l’économie nationale ; réorganisation des politiques industrielles sectorielles ; développement de la PME ; politique de substitution aux importations. Le gouvernement prend ainsi acte «des limites d’une croissance assise principalement sur la seule dépense publique». Peut-on y voir là un aveu d’échec des politiques suivies jusque-là grâce à l’embellie pétrolière des années 2000-2010 ? En tout cas, c’est une façon de reconnaître que les secteurs productifs nationaux ont été, au moins partiellement, sacrifiés sur l’autel de la rente pétrolière et des projets infrastructurels. Le programme «marque donc (désormais) sa détermination à transformer le régime de croissance en l’orientant vers le développement des secteurs productifs». C’est là, à l’évidence, une décision essentielle que divers experts jugeaient incontournable depuis des années, à condition, toutefois, de trouver les ressources, notamment financières pour cela, et de mettre en œuvre les politiques susceptibles de favoriser cette transformation. Le programme en a identifiées principalement deux : une gestion budgétaire rénovée, dont on a vu les limites (notamment financières) et les risques, combinée à une stratégie de diversification de l’économie nationale, avec une préférence particulière, et pour le moins surprenante au regard de la situation dans la région, pour l’activité touristique dont il est dit qu’elle va «constituer une alternative à la dépendance aux hydrocarbures» ! Pour mener à bien cette diversification, le programme propose des mesures de réorientation des investissements, de soutien aux secteurs productifs, en appui à la politique de substitution aux importations. Pour autant, cette politique s’inscrivant dans une logique de croissance, les effets en seront limités. Car, nous le savons depuis des années, même lorsque la croissance s’est améliorée dans le pays (tout au long des années d’embellie pétrolière des années 1970 ou 2000)), celle-ci n’a jamais entraîné le développement, mais plutôt favorisé, outre l’effondrement des activités productives nationales, les inégalités et autres injustices sociales, sur fond de montée des rentes spéculatives. Au bout du compte, «l’argent sale» y aura pris le pouvoir sur «l’argent sain, public et privé». Au regard de l’histoire du pays, il est donc clair qu’une stratégie de diversification de l’économie nationale n’a de sens que si elle s’inscrit dans une stratégie nationale de développement. Cette stratégie nationale de développement, combinerait notamment la croissance du PIB, les objectifs du développement humain, ceux du développement durable et ceux relatifs à l’expansion des libertés. Ce faisant, elle constituerait un véritable cadre de référence et de mobilisation. Dans un tel cadre, pourraient alors s’inscrire tous les objectifs de gestion saine du budget, de vérité fiscale, de prise en charge de l’économie informelle, de transformation du mix énergétique national et d’expansion d’un secteur productif national performant. Aujourd’hui, une telle stratégie nationale de développement reste à élaborer, le plus démocratiquement possible, en tenant compte de la situation actuelle du pays, «la fameuse dictature du quotidien», selon un mécanisme de concertation et de mobilisation qui impliquerait toutes les forces vives de la nation. Dans l’intérêt du pays et de son peuple.
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