N’en déplaise à Ouyahia qui n’a pas d’égal pour souffler le chaud et le froid en même temps, la crise économique et sociale s’est bien installée chez nous, faute de l’avoir mal programmée ou carrément ignorée. Si les visages de nos ministres se crispent de plus en plus aujourd’hui quand ils sont interpellés pour s’expliquer sur les défaillances de leurs secteurs, c’est que non seulement ils n’ont pas (plus) de recette miracle à proposer, mais ils ne peuvent plus cacher la réalité des chiffres et des statistiques qui annoncent de gros nuages. Le dernier bilan sur nos capacités financières établi par le gouverneur de la Banque d’Algérie a résonné, à ce propos, comme un coup de semonce qui donne froid dans le dos. Nos réserves de change s’amenuisent dangereusement, les ressources nous manquent, les palliatifs vitaux restent incertains… et on reste tributaire à 98% des hydrocarbures. Le pays, qu’on disait paré contre les grandes épreuves d’austérité qui pointaient à l’horizon et qui étaient bien sûr inévitables, dévoile aujourd’hui toutes sa fragilité à travers l’angoisse et les sentiments d’incertitude qui marquent ses dirigeants. Le gouvernement est comme pris dans un piège qu’il s’est lui-même posé en ne se sentant jamais responsable de l’état de déliquescence dans lequel il a plongé l’Algérie, l’imputant toujours aux autres, à l’opposition et aux forces occultes de l’étranger qui n’ont qu’une idée en tête : créer le désordre et déstabiliser le régime. Ouyahia, en bon «républicain» qui se respecte, ne peut d’ailleurs se détacher de ce discours anesthésiant qui, décidément, ne veut pas vieillir ou disparaître de nos analyses. L’ex-chef de gouvernement va plus loin en donnant la leçon de la bonne maîtrise psychologique des événements à un gouvernement qu’on sent alors visiblement nerveux devant les perspectives de plus en plus bloquées, mais surtout dépassé par l’ampleur de la tâche à accomplir non pas pour forcer les décisions structurelles du développement, mais juste pour limiter les dégâts. Une mission, qui ressemble à un travail de titan, à laquelle il n’a pas été préparé, fort seulement de ses certitudes populistes qui ne pouvaient déboucher que sur les pires désillusions. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, nous y sommes en plein, aujourd’hui, et complètement désarmés, comme le démontre le changement de tonalité au niveau de la sphère décisionnelle qui semble se réveiller brutalement d’une longue somnolence. Rien n’est inventé, tous les clignotants sont au rouge. Pas un secteur n’est épargné par la crise qui s’installe comme une fatalité pour cause de mauvaise prévoyance ou de mauvaise gestion. La mine moins arrogante du Premier ministre est un sérieux indicateur des tempêtes qui pointent à l’horizon. Après avoir longtemps surfé sur les cordes de l’irrationnel, Sellal se découvre désormais à chacune de ses sorties publiques une âme de transparence et de rigueur pour nous dire, avec ses contorsions habituelles, que la situation du pays n’est pas très reluisante. On aurait dit qu’il venait de débarquer d’une autre planète. Mais comment se redonner de la crédibilité alors que ça déborde de partout ? Les expertises, qui nous viennent aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, disent toutes que les signes de la faillite économique et sociale sont déjà là et se dressent, pour nos dirigeants, comme autant d’équations difficiles à résoudre face au manque de compétence et d’imagination dont ont fait preuve ces derniers durant les trois mandats de Bouteflika. Nos experts en économie et en prospective, nos politologues, nos chercheurs et nos intellectuels, toute cette élite qui réfléchit sur le sort du pays en dehors de la sphère officielle, n’ont eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme sur les dangers de récession qui guettent l’Algérie, sur les dérives d’une gouvernance minée par la corruption et l’incompétence notoire, sur les méthodes prévaricatrices du système dont la survie reste étroitement liée au baril de pétrole. Par des contributions médiatiques, par voie de conférences, par des débats sincères et francs qui se voulaient pragmatiques et constructifs sur les réalités économiques dans l’intérêt général du pays, cette élite, que le sérail s’est toujours avisé de marginaliser en la considérant comme «opposant politique», a en fait prévu la catastrophe qui s’annonçait irrémédiablement. Elle a tenu, à chaque fois que l’opportunité s’y prêtait, à mettre les gouvernants devant leurs responsabilités. Mais elle a fait plus que cela en proposant des solutions concrètes aux problèmes posés, sans hélas jamais être entendue. Le pouvoir a ses raisons que la raison ignore. Il se croit à la hauteur de tous les défis, mais ses faiblesses en matière de gestion sont trop criantes pour lui permettre de tenir la barre, alors que les enjeux à court terme sont immenses. Résultat : au-delà de la crise économique dont les conséquences risquent d’être désastreuses s’il n’y a pas de réaction imminente à la mesure des défis, c’est d’abord à une crise aiguë d’autoritarisme imposée aux Algériens qu’il faut faire face pour mieux prévoir l’avenir. Ouyahia parle de naufrage collectif si tous les Algériens ne s’impliquent pas dans cette mission de survie qui nous attend. Encore faut-il dépasser les préjugés stupides pour associer véritablement cette élite citée plus haut, dont la contribution s’avère précieuse en ces temps où la réflexion officielle tourne dans le vide.
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