Rab Edzaïr» n’est plus. En Algérie, décidément, même les dieux meurent. Par doses homéopathiques de décrets présidentiels sonnant le glas d’une époque, celle de «l’homme fort», du «faiseur et dé-faiseur de rois», avec son armada de pouvoirs illimités. Hier, dimanche, l’indéboulonnable général de corps d’armée Mohamed Mediène dit Toufik, commandant depuis 25 ans du Département du renseignement et de la sécurité, — le DRS, les omnipotents Moukhabarate algériens —, a remisé son képi, ses galons, avant de prendre la porte de(s) «Services». «Démissionné» par celui-là même qu’il a intronisé ou démissionnaire à l’insu de son plein gré. Le départ du général Toufik marquera assurément le dernier acte (concerté ou pas ?) d’un démantèlement/restructuration du DRS, mené méthodiquement, parfois à la hussarde, depuis ce 29 juillet 2013, date du retour en Algérie du président Bouteflika après une longue hospitalisation à l’hôpital du Val-de-Grâce, dans la capitale parisienne. La présidence de la République, dans son laconique et expéditif communiqué rendu public dans la journée d’hier, ne s’encombre pas de formules épurées. Pas de quartier, surtout pas d’éloge panégyrique, ode au généralissime officier du Renseignement, longtemps la mascotte du pouvoir occulte, transfiguré, par la rumeur insistante sur la guerres de clans, en «contre-pouvoir» au régime du présumé «hyperprésident» aujourd’hui malade et impotent. Les enquêtes du DRS, révélant une corruption politico-financière pratiquée à grande échelle, éclaboussant le proche entourage du président Bouteflika, parmi ses ministres et sa fratrie, ont visiblement précipité la chute de «l’homme au cigare». «Conformément aux dispositions des articles 77 et 78 de la Constitution, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, président de la République, ministre de la Défense nationale, a mis fin ce jour aux fonctions de chef du Département du renseignement et de la sécurité, exercées par le général de corps d’armée Mohamed Mediène, admis à la retraite», lit-on dans le communiqué rédigé dans un style télégraphique. La Présidence annonce remplacer le général «admis à la retraite» par un général-major «retraité» : Athmane Tartag, en l’occurrence, désigné nouveau chef du Département du renseignement et de la sécurité. Selon ses biographes officieux, Mohamed Mediène serait né à Guenzet, à Sétif, en 1939. Algérois d’adoption, c’est à Bologhine qu’il grandira, dans le mythique Bab El Oued, avant de rejoindre en 1961, soit avant la fin de la guerre d’indépendance, l’Armée de libération nationale. A l’indépendance, il est en formation à l’école du KGB au sein des toutes premières promotions dites «tapis rouge». Mais c’est sous Chadli Bendjedid, le colonel-Président, son «parrain» présumé, que le «destin national» du général T a commencé à s’affirmer. C’est à la tête de la sous-direction de la sécurité de l’armée, sous le commandement du général Lakehal Ayat, directeur central de la Sécurité militaire, successeur de Kasdi Merbah, éjecté à la mort de Boumediène, qu’il se ferra un nom. Porté par sa bonne étoile, il succédera en 1987 au général Hocine Benmaâlem à la tête du Département des affaires de défense et de sécurité (DADS) coiffant les services de sécurité du pays (police, gendarmerie, Sécurité militaire). Totem des décideurs Au lendemain de la révolte d’Octobre 1988, fatale au général Lakehal Ayat, le patron de la terrible Sécurité militaire, l’ancêtre du DRS, il est nommé directeur central de la sécurité de l’armée, en remplacement du général Betchine. Le départ/éjection de Betchine en octobre 1990 lui ouvrira grand le corridor du pouvoir réel. Et de prendre la tête de plusieurs directions relevant du Renseignement, créant, en plein tumulte des année 1990, le DRS. «Janvieriste» de la première heure, éradicateur impénitent, le général Toufik incarnera la décennie 1990, ses rivières de sang et ses contingents de victimes expiatoires tombées sur l’autel de la lutte sans merci contre le terrorisme islamiste. Pourfendeur de la République pour certains, un de ses principaux sauveteurs pour d’autres, le général T. est régulièrement mis en joue par les ONG «droits de l’hommiste». Son nom est associé à toutes les dérives sanglantes de la «décennie noire», dont l’assassinat du président Boudiaf par un élément du groupe d’intervention du DRS, le GIS. Personnage charismatique, cultivant l’intrigue, le secret – à la limite de la pathologie Big Brother – le général Toufik a réussi le pari de mettre en coupe réglée la société algérienne et des pans entiers de la vie publique. Personnel politique, médias, administration, secteur économique, aucune parcelle de liberté n’est épargnée par le club très restreint de «décideurs» dont il était un des totems. A «l’international», la réputation des «services» algériens, façonnés par leurs mythiques fondateurs et chefs successifs (Abdelhafid Boussouf, Kasdi Merbah, Lakehal Ayat, Mohamed Betchine et Mohamed Mediène), tous éjectés, démis ou carrément assassinés (Merbah, chef de la SM de 1963-1978, a été assassiné en 1995), exhalent relents de «soufre» et suscitent des motifs de «fierté» quant à leur redoutable efficacité et marge d’autonomie vis-à-vis des grandes puissances, dont les USA et la France, avec qui le général Toufik, dit-on, ne serait pas en odeur de sainteté. Les services d’intelligence américains pointent ainsi du doigt la «paranoïa» des services dirigés par le général T. Un câble WikiLeaks traitant de la coopération sécuritaire (du 6 décembre 2006) tartine, non sans clichés, sur ce «groupe épineux et paranoïaque avec lequel il est très difficile de travailler». «L’Africom a offert beaucoup plus, mais les Algériens ont gardé volontairement un pied sur le frein. Ils veulent éviter la dépendance dans leurs relations militaires, de sorte à éviter que des informations sur leurs activités se propagent parmi les partenaires étrangers. Ils ont des capacités administratives limitées et les agents qui travaillent sur les activités bilatérales avec la France ou l’Allemagne ou la Russie sont les mêmes qui travaillent avec nous. Ils sont incompétents lorsqu’il s’agit des tâches polyvalentes. Pour cacher leur méfiance et leur paranoïa, ils utilisent des astuces bureaucratiques. Contrairement à nos programmes avec d’autres pays, les services de renseignement militaires algériens effacent toute trace de nos activités bilatérales militaires. Ils sont intéressés de chercher à renforcer leur propre position au sein de la structure du pouvoir algérien en utilisant le contrôle de la relation de sécurité avec les Etats-Unis». Avec la France, c’est le très classique «je t’aime, moi non plus». Dans Paris-Alger, histoire passionnelle, l’ouvrage écrit par Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet (paru en 2014), on dresse le portrait d’un général Toufik à la lumière de témoignages de responsables français (Claude Guéant, Nicolas Sarkozy, Bernard Squarcini, Jean-Yves le Drian). Mediène est décrit comme un «taiseux». «Il est marqué par la lutte sanglante qu’il a menée contre les islamistes dans les années 1990.» DRS comme instrument du cabinet noir «Un homme vif, subtil. Toufik fait partie de la génération des généraux qui ont le sentiment d’avoir sauvé la nation (...). Il pourrait être votre oncle. Un petit monsieur avec des lunettes. Un papy très posé, fin analyste, mais aussi très respecté : quand il parle, les généraux derrière ne bougent pas, lorsqu’il rit, ils rient», écrit-on dans l’ouvrage. Auteur de La Mafia des généraux, Hichem Aboud, lui, ancien capitaine des «services» sous le commandement de Lakehal Ayat, qualifie la superpuissance du général Toufik de «mythe» (voir entretien El Watan, 5 juillet 2012). «Toufik faisait partie du cabinet noir. Le DRS a d’ailleurs été utilisé par le cabinet noir comme un instrument. C’est ce que je reproche d’ailleurs à ces Services. Aujourd’hui, parmi le groupe des décideurs, le général Toufik est le seul à être resté en piste. On a fait du patron du DRS le ‘maître absolu’ de l’Algérie, le ‘faiseur de rois’, mais le DRS n’est plus ce qu’il était il y a dix ans. Le DRS, je le dis et le répète : c’est du pipeau, un ballon de baudruche. Makan walou. Khouroutou. Quitte à froisser mes anciens collègues, le DRS n’a plus de pouvoir. D’abord, son chef ne cherche pas la confrontation avec le Président, ce qui lui a valu d’être maintenu à son poste en 2004. Le général Toufik avait joué la carte de la ‘loyauté’ (à Bouteflika, ndlr) devant le quarteron de généraux qui voulait le remplacer par le secrétaire général du FLN, Benflis. Le général Toufik, les gens ne le savent pas, est excessivement légaliste. Ce n’est pas parce qu’il est un idéaliste, mais parce qu’il veut se protéger.» Fin de citation. Le mythe, lui, ne fait que commencer.
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