Chute d’un mythe et la fin d’une époque. Le tout-puissant patron des services de renseignement, le général de corps d’armée Mohamed Mediène dit Toufik, a été démis de ses fonctions après un quatre de siècle de règne dans l’ombre. Il est – avec le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) – le symbole de la période la plus tumultueuse de l’histoire contemporaine du pays. Son départ est un événement, tant l’homme et les services qu’il dirigeait ont concentré de vastes pouvoirs hors de portée de tout contrôle et surtout au rôle politique considérable. L’homme «sans visage» a été jusqu’à hier le dernier survivant en poste du cercle de militaires qui ont barré la route aux islamistes du FIS. L’ère Toufik a vécu laissant un DRS dépouillé de ses pouvoirs et de son influence. C’est par le biais d’un communiqué de la présidence de la République – un fait inédit – que sa mise à la retraite a été prononcée. «Conformément aux dispositions des articles 77 (alinéas 1 et 8) et 78 (alinéa 2) de la Constitution, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, président de la République, ministre de la Défense nationale, a mis fin ce jour aux fonctions de chef du Département du renseignement et de la sécurité, exercées par le général de corps d’armée, Mohamed Mediène, admis à la retraite», a annoncé le communiqué présidentiel. Il est remplacé par le général-major à la retraite, Athmane Tartag dit Bachir, lui aussi a été longtemps officier des services ayant exercé auprès de son désormais prédécesseur avant de partir à la retraite. Ainsi donc, prend fin une période remplie de conflits et de luttes d’influence entre différents pôles du pouvoir. Intervenu dans un contexte politique aussi flou qu’incertain, le départ du général Toufik ne manque pas de soulever des interrogations. Un limogeage ? Est-il parti au terme d’une guerre d’usure entre son département et la présidence de la République qu’il a perdue ou bien suite à un arrangement – un départ négocié – dicté par une conjoncture sécuritaire nouvelle ? Au regard de la nature opaque du fonctionnement du pouvoir réel, il n’est pas si facile de confirmer une thèse aux dépens d’une autre. Probablement les deux à la fois. Cependant, il faut rappeler que la décision de Bouteflika de briguer un quatrième mandat présidentiel avait révélé des désaccords profonds entre les clans et la guerre avait débordé le sérail pour être portée sur la place publique. Le tout-puissant des Moukhabarate a essuyé des attaques violentes venues pour la première fois de l’intérieur même du régime. A quelques semaines de la présidentielle d’avril 2014, le secrétaire général de l’ex-parti unique, Amar Saadani s’est ouvertement attaqué à celui que tout l’establishment algérois redoutait, inaugurant ainsi une longue guerre d’usure où chaque «groupe» s’employait à neutraliser l’autre. Ce jour-là, le prestige du Général était sérieusement atteint. Une première défaite symbolique mais non sans conséquences politiques. La raison de cette guerre déclarée serait une opposition du patron du DRS à un quatrième mandat d’un Bouteflika à la santé incertaine. Mais en réalité, le général Toufik n’avait jamais affiché clairement son opposition. La réalité est que Mohamed Mediène a de tout temps été «loyal» jusqu’au bout. Cependant, il aurait «réfléchi à un plan B» dans le cas où le président sortant serait dans l’incapacité de briguer un autre mandat. Ce qui a été interprété par la garde prétorienne de Bouteflika comme une opposition. Dans l’ambiance exécrable de la présidentielle, des officiers supérieurs au sein de l’armée connus pour leur proximité avec le patron du DRS étaient soudainement envoyés à la retraite, dont le général Djebar Mhena, chef de la sécurité de l’armée, la colonel Chafik chargé de la lutte contre la corruption et le colonel Fawzi qui s’occupait des médias, pour en arriver à l’arrestation fracassante du chef de la lutte antiterroriste, le général Hassan. Dernier épisode annonçant la fin de celui que certains surnomment «dieu de l’Algérie» et symboliquement la victoire de Bouteflika qui a consacré l’essentiel de son énergie à «disloquer» le noyau dur constitué par les généraux de la période 1990 pour déplacer le centre du pouvoir à la Présidence. DRS, fin et suite Mais faut-il réduire l’événement à l’unique lutte clanique ? Ne s’agit-il pas aussi du «démantèlement» ou de la «mutation» d’un appareil aussi tentaculaire qu’hégémonique ? D’évidence, le départ du général Toufik, certes dans un contexte conflictuel, obéit à des impératifs politiques et sécuritaires nouveaux. Le DRS, qui convenait durant une période marquée par une guerre contre le terrorisme, ne correspond plus dans sa forme actuelle à une nouvelle situation ou à la menace sécuritaire qui, elle, a connu des transformations profondes redoublant de férocité. «La nature de la menace a changé et pour la combattre, il faut adapter l’instrument de lutte», analyse un spécialiste. Ahmed Ouyahia, dans sa conférence de presse d’avant-hier, a laissé entendre que les appareils sécuritaires du pays connaissent un changements «naturel» pour mieux les adapter. Une restructuration interne. Même la notion et la vocation des Services devraient «subir» une mutation. Passer du sécuritaire au renseignement, à l’anticipation et à la prévention. Héritier de la Sécurité militaire, le DRS est perçu par les acteurs politiques et sociaux ainsi que les militants des droits de l’homme comme «police politique» dont la mission est de museler la société. C’est Big brother. Dans les milieux initiés, l’on parle d’une «réforme structurelle et doctrinale» des Services mise sur la table depuis des années, mais chahutée par des luttes politiques. Il faut souligner que depuis quelques années, des failles sont apparues dans le dispositif sécuritaire, rendant «possibles» des attaques terroristes d’envergure : l’attaque contre l’Académie interarmes de Cherchell, les attentats commis par le Mujao dans le sud du pays et surtout la prise d’otages du site gazier de Tiguentourine. A la menace «domestique» s’ajoute celle encore périlleuse du voisinage immédiat. Le pays est cerné par des frontières à la fois hostiles et instables. Le chaos libyen et l’instabilité malienne sont deux menaces réelles et permanentes qui exigent une adaptation de l’outil sécuritaire. La priorité est de «sanctuariser le territoire». Il s’agit là d’éléments objectifs. Le départ de Toufik, bientôt 76 ans, «négocié et sans contrepartie» – un départ consentant – devrait-il être analysé à l’aune de cette donne ? Vraisemblablement, d’autant que l’usure du temps et de la fonction a dû peser sur la décision. De l’avis d’observateurs avertis, la fin de mission du général Toufik devrait conduire, à terme, au changement même de l’appellation du Service comme ce fut le cas pour la défunte Sécurité militaire. En tout cas, le DRS dans sa forme actuelle est voué à disparaître. Et dans ce mouvement, d’autres changements aussi importants que nécessaires devraient suivre. Mouloud Hamrouche avait convié les Toufik, Gaïd Salah et Bouteflika à préparer leur départ. Sommes-nous dans ce schéma ? La longue parenthèse fermée de l’ère toufikienne amorcera-t-elle un changement dans la nature du système politique ? Pas si sûr.
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