Le président Bouteflika a mis fin, hier, aux fonctions du chef du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général de corps d’armée Mohamed Lamine Médiène dit Toufik. C’est tout un pan de l’histoire de la police politique en Algérie qui tombe. Car au-delà des missions du renseignement et de la sécurité inscrites dans les Constitutions successives qu’a connues le pays, ce département — qui organiquement est lié au ministère de la Défense — a régulé pendant 25 ans la vie politique nationale. Il a fait et défait des partis politiques, dessiné leurs parcours, orienté leurs positions, fabriqué et déchu de hauts responsables du pays et même des présidents, supervisé des fraudes électorales au côté bien évidemment de l’administration. Rien ne se faisait sans la bénédiction du général Toufik, y compris les mandats successifs de l’actuel chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, dont la décision de mettre le patron du DRS à la retraite a provoqué, hier, un véritable séisme dans la vie politique nationale. Pour le commun des mortels, Toufik est intouchable, c’est «Reb Edzaïr» (le dieu de l’Algérie), comme le qualifient certains pour mettre en évidence toute sa puissance. Hier, c’était la fin du mythe. C’est à se demander si Toufik était un mirage ou une réalité. Il est vrai que son service a puissamment contribué à lutter contre le terrorisme, a accompli des missions au service de l’Algérie, mais a aussi régenté la vie politique, économique et sociale. Le DRS, comme son ancêtre la Sécurité militaire, la terrible SM, a fait la pluie et le beau temps. Il était partout : dans les ministères, dans les entreprises publiques, dans l’administration, au sein du mouvement associatif, dans les partis politiques, là ou il y a un regroupement humain. Il n’y a pas un seul parti de l’opposition qui ne s’en soit pas plaint. Le Front des forces socialistes (FFS), le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) n’ont pas cessé de revendiquer la dissolution de la police politique, donc les services du général Toufik. Même le secrétaire général du Front de libération national (FLN) — que préside le chef de l’Etat —, Amar Saadani, n’a pas arrêté de demander le retrait du DRS de la vie politique. Mais peut-être pour d’autre raisons. Une question se pose d’elle-même : le départ du mythique et mystérieux patron des Services algériens et son remplacement par un de ses anciens bras droits, Bachir Tartag, est-il synonyme de la fin de la police politique ? A première vue, ou dans la forme qui était la sienne, le DRS est profondément restructuré. On peut même dire qu’il est devenu squelettique : il a perdu ses services presse, police judiciaire — à l’origine des enquêtes sur la corruption au sein de Sonatrach et du projet de l’autoroute Est-Ouest —, de la direction de la sécurité intérieure, tous rattachés depuis quelque temps à l’état-major de l’Armée nationale populaire, dont le chef est le désormais puissant général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, qui cumule aussi le poste de vice-ministre de la Défense. Le DRS s’est vu également dépouillé du service de l’Intelligence économique. Peut-on dire alors qu’il n’a vraiment plus aucun instrument pour contrôler la société comme il le faisait jadis ? Attendons pour voir. La restructuration qui se déroule au sein des Services de sécurité n’a pas encore livré tous ses secrets et ses implications sur la vie politique nationale. Le clan présidentiel, qui a renforcé sa puissance en mettant sur le carreau tous ceux qui peuvent troubler sa démarche, ne serait plus dans le besoin des services que le DRS assurait. Le président Bouteflika et ses collaborateurs ont prouvé qu’ils ont mis en place leur système propre. Les terribles pressions que subit la presse ne sont certainement pas l’émanation du service presse, qui n’existe plus. Les pressions exercées aussi sur les annonceurs privés ne sont forcément pas celles de quelques agents du DRS tapis dans l’ombre. La dernière élection présidentielle, qui s’est déroulée dans des conditions très contestées par la classe politique et les rivaux du président-candidat, a été marquée par les mêmes méthodes et les mêmes irrégularités que toutes les précédentes, sans l’implication des services de Toufik. Alors, l’argument du retrait de la police politique de la vie politique nationale est une idée qui doit faire ses preuves. Wait and see.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire