vendredi 13 novembre 2015

Etat de régence ?

La demande d’audience au président Bouteflika faite par le groupe des «19 moins 3» provoque des émois considérables au sein du personnel du pouvoir. L’amnésie n’étant pas de mise à l’ère de Google, il est loisible de relever qu’un nombre important des signataires sont des partisans de Bouteflika. Certains pourraient – et ils le font – leur reprocher un réveil tardif. Après tout, ils n’ont pas été étreints par le doute au moment où le régime – tout le régime – imposait au pays la marche forcée du quatrième mandat. On peut en perdre du temps à chercher à faire le portrait de ce groupe avec dames. Mais le G19-3 peut rétorquer qu’il n’est jamais trop tard pour s’alarmer quand, pour reprendre Mme Zohra Drif, «l’Algérie traverse un moment dangereux». Soit. Mais ils ne pourront empêcher non plus les gens de noter que leur demande d’audience est un acte politique qui résonne comme un témoignage «de l’intérieur» sur la dérive du système vers un état de régence non déclaré. La fureur avec laquelle s’organise la riposte – elle atteint les cimes du grotesque avec la prestation télévisée d’Amar Saadani – le montre aisément. Le coup est mal ressenti car il s’agit d’un témoignage des «gens de la maison» qui, en rendant publique la «demande d’audience», l’ont définitivement transformée en l’expression claire d’une bataille à l’intérieur du sérail et du régime. L’argumentaire sur l’abandon du «droit de préemption» avancé par les 19-3 est spécieux. Le droit de préemption a été introduit en 2009 pour le cas de Djezzy, il n’a pas été appliqué. L’Algérie n’a pas exercé ce droit de préemption. Sawiris a vendu ses parts à Vimpelcom qui a ensuite négocié, durement, une vente de 51% des actions à l’Etat algérien. C’est la grande faiblesse de ce G19-3 : mettre en avant un faux argument pour ne pas évoquer le fond du problème. Peut-être justement parce qu’ils sont de la maison et qu’ils ne peuvent se rendre que les fondations sont vermoulues. Et que le remède ne consiste pas à rencontrer Bouteflika et à s’assurer qu’il est d’accord avec ce qui se fait. Les membres du G19-3 s’inquiètent à l’idée que le pouvoir présidentiel serait exercé par d’autres au moment où, selon le discours dominant, Bouteflika aurait enfin réussi à avoir les quatre quarts du pouvoir. Mais quand on est «dedans», on voit mal l’inquiétant spectacle d’ensemble. L’effet d’entropie, qui joue aussi pour les organisations humaines, s’accélère pour le système en place depuis l’indépendance. De la république inaccomplie mise en place à l’indépendance, on est passé à une sorte de pouvoir en forme de SPA (Présidence, état-major, DRS) pour arriver à une forme très spécifique de césarisme monarchique où le pouvoir est formellement concentré entre les mains d’un Président à la santé délicate… Cette «mutation» entropique ne peut en aucun cas déboucher sur de la stabilité, encore moins dans un contexte de baisse de ressources. Les amis de la maison ne font que constater, sans le voir, que le processus de dégradation s’accélère. Ils n’ont pas de remède et, de ce point de vue, la demande d’audience relève du pathétique. Dans un système ouvert, où les élites et les idées se renouvellent en permanence, les adaptations qui se font parfois dans les crises permettent d’éloigner la dégradation vers le désordre. Un système fermé – et c’est le cas de l’Algérie, en dépit des ornementations démocratiques – est incapable d’actions qui permettent de se renouveler et de repousser l’obsolescence. Le plus inquiétant – et cela va au-delà de la question posée par les 19-3 – est que ce système fermé est devenu un danger pour le pays. Les appels à des discussions pour un changement consensuel du régime et le passage à un autre système, à l’âge de la politique, ont été rejetés par le pouvoir. C’est de cela qu’il faut s’inquiéter. Sérieusement. Est-on en état de régence ? On peut en discuter. Mais il est évident qu’on est bien en état d’urgence.  

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