mercredi 22 mars 2017

«L’histoire parlementaire algérienne n’a jamais connu de levée d’immunité»

Une députée et membre du bureau politique du FLN, chargée de la condition féminine, a été interpellée dernièrement par les services de sécurité en flagrant délit de corruption. Elle n’a pas été arrêtée parce qu’elle jouit encore de l’immunité parlementaire. Comment la justice algérienne traite-t-elle ces cas de figure ? Tout d’abord, il faut définir l’immunité parlementaire. En droit algérien, elle est régie par les articles 126 à 128 de la Constitution de 2016. Elle est accordée aux députés et aux membres du Conseil de la nation pendant la durée de leur mandat. Les députés et sénateurs ne peuvent faire l’objet de poursuites, d’arrestation, ou, en général, de toute action civile ou pénale ou de pression, en raison des opinions qu’ils ont exprimées, des propos qu’ils ont tenus ou des votes qu’ils ont émis dans l’exercice de leur mandat. Sur ce point, on ne peut rien dire. Il est normal que ceux qui nous représentent et défendent nos droits soient protégés durant leur mission. Mais l’extension de cette surprotection, au-delà de leur mission et de l’enceinte parlementaire, est autrement problématique. L’article 126 étend cette protection au-delà et en dehors de l’enceinte parlementaire. Les poursuites ne peuvent être engagées contre un député ou un membre du Conseil de la nation pour un crime ou un délit, que sur renonciation expressément de l’intéressé ou sur autorisation, selon le cas, de l’Assemblée populaire nationale ou du Conseil de la nation, qui décide, à la majorité de ses membres, la levée de son immunité. Une exception est toutefois offerte par l’article 128, dans les cas de crime ou de délit flagrant, où il peut être procédé à l’arrestation du député ou du sénateur. Le bureau de l’APN ou du Sénat, selon le cas, en est immédiatement informé. La situation commence à devenir sérieusement gênante et un peu ubuesque lorsque dans le deuxième alinéa : «Il peut être demandé par le bureau saisi, la suspension des poursuites et la mise en liberté du député ou du membre du Conseil de la nation, il sera alors procédé conformément aux dispositions de l’article 127 ci-dessus.» En fait, si on lit bien, il ne s’agit point d’une demande par le bureau du Parlement au juge, mais plutôt d’un ordre auquel ce dernier est appelé à se conformer en procédant, selon l’article 127, qui subordonne les poursuites à l’acceptation du député ou à l’autorisation du Parlement. Ainsi, pour les parlementaires l’esclandre est autrement indigne. Ils sont les dépositaires de la noble et prestigieuse représentation du peuple profond. Ils accèdent à la candidature par la corruption. Ils obtiennent les suffrages par la corruption. Le mandat national les met à l’abri de toutes poursuites par l’aberration d’une immunité parlementaire, telle qu’elle est conçue chez nous. L’origine de ces dérives dans la décision d’avoir fait de la représentation nationale une mission hautement rémunérée. La corruption versée attend un retour sur investissement. En plus d’un salaire indécemment mirobolant, on accède au pouvoir et aux avantages de l’intermédiation fortement rémunérée qui, pour l’obtention d’un poste, d’une licence d’importation ou d’un marché. Comment lever alors l’immunité parlementaire d’un député ? La Constitution de 2016 tout autant que les précédentes ne prévoient aucune disposition sur la procédure de levée de l’immunité parlementaire. Il faudra pour cela se référer à une autre loi qui règle ce détail. La loi n°01-01, du 6 Dhou El kaâda 1421 correspondant au 31 janvier 2001, relative aux membres du Parlement, ne consacre qu’un unique et laconique article à cette épineuse et déterminante question, à savoir l’article 14 : le membre du Parlement jouit de l’immunité parlementaire conformément aux articles 126,127 et 128 de la Constitution. La loi de 1989, relative au statut des députés, aujourd’hui abrogée sans un véritable texte de substitution, était autrement plus explicite. Voici l’essentiel de ses dispositions : elle commence par préciser les protections dont jouissait le député qui «ne peut faire l’objet de poursuites, d’arrestation ou, en général, de toute action civile ou pénale en raison des opinions qu’il a exprimées, des propos qu’il a tenus ou des votes qu’il a émis dans l’exercice de son mandat». Elle détermine la procédure de renonciation ainsi que les organes et structures compétents : la compétence pour l’instruction de la demande de levée de l’immunité est dévolue à la commission de la législation et des affaires juridiques et administratives. La demande peut être proposée, selon l’article, par le gouvernement ou le président de l’Assemblée populaire nationale, agissant au nom du bureau, à la requête du procureur général. Un autre article du texte fixe le déroulement de la procédure intra-muros (débats et prise de décision). Ce texte au contenu critiquable avait au moins le mérite d’exister. Il y a lieu de signaler un élément cocasse : il revient à la justice, qui veut engager des poursuites, de demander l’accord du Parlement. Dans d’autres pays, comme nous le verrons, les poursuites sont engagées sans autorisation préalable, il appartiendra au Parlement d’en demander la suspension dans certains cas. En Algérie, l’autorisation des poursuites, question éminemment juridique, est soumise à des personnes qui, parfois, n’ont aucune connaissance du droit (ou aucune connaissance tout court), qui trancheront en fonction de paramètres plutôt politiques conjoncturels opportunistes, soumis à un jeu d’alliances parfois puéril. La politique suspend la marche du droit. Enfin, en omettant de réglementer les règles et la procédure de levée de l’immunité parlementaire, le législateur a laissé une question substantielle dans un vide complet. Dans la frénésie des amendements et des réformettes, les rédacteurs des textes oublient l’essentiel. J’ai consulté pour les besoins de cet entretien le site de l’APN, qui, dans une rubrique consacrée au statut du député, présente des éléments et des règles qui ne se réfèrent à aucun texte juridique. Voilà ce qu’on peut y lire : «L’immunité parlementaire est reconnue au député pendant la durée de son mandat. Elle recouvre l’irresponsabilité parlementaire édictée par l’article 126 de la Constitution.» La lecture que fait le rédacteur de la rubrique est complètement différente de l’article 126, qui consacre l’immunité et non l’irresponsabilité, qui sont, évidemment, deux notions complètement différentes. Edifiant exemple de rigueur de notre institution ! Comment cette question est traitée ailleurs, dans les pays démocratiques ? En France, la Constitution de 1995 dispose : «Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté, qu’avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.» La Constitution française restreint l’immunité à l’arrestation et à la peine privative de liberté, elle ne s’étend pas à la protection contre les poursuites, les inculpations et les mises en cause. La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session, si l’Assemblée, dont il fait partie, le requiert. La suspension des peines et des mesures privatives de liberté se limitent à la durée de la session et non à celle du mandat. En outre, cette suspension n’est pas automatique, mais doit être requise par l’Assemblée et non par l’intéressé. Le mécanisme français est le contraire de celui appliqué en Algérie : la soumission au droit commun de la procédure pénale est la règle, la suspension des mesures privatives de liberté est l’exception. Autrement dit, le député est soumis au droit commun, sauf si l’Assemblée le requiert et non le contraire. En droit algérien, le député est dans un statut dérogatoire, sauf si l’Assemblée autorise la levée de ce statut. Pratiquement et conformément à la suprématie du pouvoir judiciaire, c’est l’Assemblée qui demande à la justice de suspendre les mesures privatives de liberté et non la justice qui demande au Parlement l’accord de mise en détention. En tout état de cause, les poursuites peuvent être engagées sans mesure préalable. Le domicile du fils du secrétaire général du parti FLN a été perquisitionné par les services de sécurité, où l’on a saisi d’importantes sommes en devises et en dinars algériens. Plusieurs dossiers de candidature aux législatives de mai 2017 ont été aussi trouvés et saisis. Quel commentaire faites-vous ? La corruption financière dans le domaine politique a gagné toutes les classes de la société. Des ministres cités dans des scandales occupent toujours, avec un sourire impudique, les plus hautes fonctions de l’Etat. Tel le rejeton d’un dignitaire est pris une chkara dans les mains, pour une intermédiation en rapport avec les fonctions de son père – qui jurait quelques temps plus tôt que la période de la chkara était révolue ; alors qu’elle était entre les mains de son fils. Tel autre ministre cité dans un scandale de blanchiment – pour lequel sous d’autres cieux, ses homologues ont démissionné – n’a rien trouvé d’autres à dire que l’Algérie était ciblée. La justice premier et dernier rempart contre tous les fléaux n’est pas épargnée. La presse a rapporté dernièrement qu’un juge d’instruction à Skikda a été pris en flagrant délit de perception d’une somme d’argent au sein même du palais de justice. Sinistre épisode qui n’a pas ému outre mesure et a vite été oublié. Quelques jours plus tard, on n’en parle déjà plus. Nous vivons une période tragique qui menace les fondements sociaux, détruits lentement mais sûrement par une véritable déliquescence morale qui s’ajoute, ou plutôt se conjugue à l’impuissance d’une justice en déficit d’indépendance et à un droit conçu par les corrupteurs et corrompus.

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