vendredi 3 novembre 2017

Aider l’école à éduquer les élites postcoloniales en Afrique

- Vous avez dit qu’il faut décoloniser les mentalités. Comment ? Vous avez vous même entendu quelqu’un dire ici dans le débat que parler du colonialisme relève de l’anachronisme et que le mot ne reflète pas la réalité d’aujourd’hui (propos tenus par l’ancien ministre Mourad Benachenhou, ndlr). Vous savez bien qu’il ne s’agit plus d’une dépossession spatiale et territoriale dans la colonisation. Le monde a réglé cette question, à part Poutine qui a envahi la Crimée pour occuper l’espace. Les Nations unies garantissent le droit à la souveraineté aujourd’hui. Un Etat ne peut pas occuper un autre. Quels sont les moyens insidieux que la doctrine coloniale impériale utilise aujourd’hui? C’est l’occupation de l’espace mental, l’occupation des cœurs et des âmes. Il est important de pouvoir déconstruire cette idéologie coloniale. - Comment se fait cette «occupation mentale» ? A travers les médias et l’école. Dans la colonisation, les armes soumettent les peuples. Mais, l’école séduit et charme les âmes. - Vous avez lancé le projet African Renaissance International Ground. De quoi s’agit-il ? Nous avons une conception panafricaine qui consiste à dire que les Afro-descendants, les anciens esclaves dans les Amériques, ont un rôle à jouer maintenant, aujourd’hui plus que jamais. Les juifs, grâce à leur lobby aux Etats-Unis, ont imposé au monde un petit Etat qui s’appelle Israël et qui pèse plus que tout le continent africain. - Et pourquoi les Africains peinent-ils à créer un lobby ? Justement, nous sommes en train d’engager nos frères afro-descendants comme Michelle Obama, Barack Obama, Oprah Winfrey, Condoleeza Rice, Gilberto Gil, Pelé, toutes ces grandes figures. Nous travaillons avec eux sur des dossiers pour qu’ils essaient de régler au moins une injustice historique. L’Afrique n’a pas de droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. Les dirigeants africains ont fait cette demande sans être écoutés. La raison ? Nous n’avons pas la capacité de négociation pour taper fort sur la table. Il nous faut faire du lobbying, engager une campagne mondiale pour réaliser ce projet. Et, s’il le faut, l’Afrique sort de l’ONU. - Peut-être que les Africains n’arrivent pas à créer de lobby parce qu’ils sont divisés. Un héritage colonial ? Au Sénégal, la Gambie a été «introduite» dans la géographie, un pays colonisé par les britanniques. Nous avons été colonisés et décolonisés de la même manière. Le congrès de Berlin a décidé de diviser l’Afrique en micro-Etats. Nous n’avons pas été décolonisés en groupe. Des leaders panafricains voulaient que cette décolonisation se fasse en groupe, qu’il y ait des Etats fédérés en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale, en Afrique de l’Est et en Afrique du Nord. Mais cela n’a pas été le cas. Cet émiettement est devenu un grand obstacle nous empêchant d’accéder à la renaissance africaine. Mais cela ne veut pas dire que cet obstacle soit insurmontable. On peut toujours trouver une solution à cela en essayant de créer l’unité aujourd’hui. - Comment retenir les jeunes Africains qui veulent partir en Europe ? Les jeunes africains veulent partir en Europe parce qu’ils pensent que chez eux il n’existe pas de possibilités de réussir et d’accéder au bonheur. Les médias, la télévision, les films leur ont vendu un rêve qui n’est possible qu’ailleurs. La première chose à faire est donc de déconstruire nos médias et de trouver un nouveau contenu afrocentrique endogène et aider l’école à éduquer les élites post-coloniales en Afrique en charge d’un nouveau type de leadership mondial. C’est une première proposition. Il faut beaucoup jouer sur : l’éducation, l’éducation, l’éducation. Avec de l’entrepreneuriat, les politiques ardues sur le plan économique et l’accès au financement, on peut avancer. Pourquoi prendre beaucoup d’argent pour le mettre dans des projets qui n’en valent pas la peine ? Nous devons attaquer l’immigration clandestine en face en développant des solutions endogènes. C’est une manière de fixer les jeunes dans leurs pays. - Le panafricanisme existe-t-il toujours ? Oui, c’est toujours une réalité. Le panafricanisme aujourd’hui est une doctrine, une vision du monde. Beaucoup d’Etats et d’organisations s’y engagent. Malheureusement, nous n’avons pas encore atteint le but ultime, c’est-à-dire les Etats-Unis de l’Afrique. Cela ne veut pas dire que ça ne sera pas possible d’ici cinq ou dix ans. C’est le rêve de Kourouma, Diop, Kenyatta, de tous les pères fondateurs africains. C’est le cœur de notre démarche au niveau de l’AFRIG. Autrement dit, il s’agit d’arriver à réaliser les Etats-Unis de l’Afrique, mais en impliquant la diaspora africaine qui doit jouer le rôle de lobbying. Il faut qu’on aille vers une diplomatie européenne de l’Afrique et une diplomatie américaine de l’Afrique à partir de notre géostratégie aux fins de redéfinir nos intérêts dans le monde et de devenir des acteurs durables.  

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