mercredi 20 juin 2018

Le naufrage de la conscience européenne

Ce 20 juin est la Journée mondiale des réfugiés. A cette occasion, le HCR nous apprend que 68,5 millions de personnes sont déracinées à travers le monde. On notera que cette journée coïncide cette année avec l’affaire de l’Aquarius, ce navire humanitaire qui a sauvé 630 migrants de l’enfer libyen et a erré pendant une semaine avant de trouver un port accueillant sur les rives d’une Europe de plus en plus crispée et fermée sur elle-même. Ce mercredi, c’est la Journée mondiale des réfugiés, célébrée tous les 20 juin, et qui a été instituée en 2001 à l’occasion du 50e anniversaire de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Cette année, elle se trouve fatalement marquée par cette grave crise migratoire qui secoue l’Europe avec l’affaire de l’Aquarius. Il s’agit de ce bateau de sauvetage en mer affrété par l’ONG humanitaire SOS Méditerranée avec l’aide de Médecins sans frontières (MSF) pour sauver quelque 630 migrants qui tentaient par tous les moyens de se soustraire à l’enfer libyen. «Ces 630 hommes, femmes et enfants fuyaient un véritable calvaire en Libye. Poussés dans des canots pneumatiques par des trafiquants sans pitié, ils ont passé des heures angoissantes à la dérive, entassés sur ces embarcations fragiles avant d’être finalement secourus par l’Aquarius, par un navire marchand et par les unités de garde-côtes italiens, tous obéissant à la même loi non négociable : la loi de la mer qui oblige à porter assistance à toute personne en détresse en mer», précise SOS Méditerrannée dans un communiqué. Ces migrants étaient originaires de 26 pays. Parmi eux : 43 Algériens. Les autres passagers comprenaient 152 Soudanais, 49 Soudanais du Sud, 148 Nigérians, 60 Erythréens, 30 Ghanéens, 11 Maliens, 11 Ivoiriens, 11 Pakistanais… (La Croix du 18 juin 2018). L’ONG SOS Méditerranée qui se définit comme «une association européenne de citoyens qui affrète un navire, l’Aquarius, pour porter secours à ceux qui fuient pour sauver leur vie» indique qu’«en 28 mois, 29 319 personnes ont été secourues dont 23% sont des mineurs». Rappelons que l’Italie avait décidé de fermer ses ports et ses portes devant les miraculés de l’Aquarius sur décision du ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, par ailleurs leader du parti d’extrême droite italien La Ligue (anciennement Ligue du Nord). Malte avait également refusé d’accueillir le navire humanitaire, qui a ainsi été obligé d’errer en mer pendant une semaine avant d’être autorisé à accoster au port de Valence après que le gouvernement espagnol du socialiste Pedro Sanchez ait donné son feu vert pour accueillir les 630 migrants. Tous les chemins ne mènent pas à Rome L’attitude des autorités italiennes n’est évidemment pas passée inaperçue et a suscité force indignation. «L’Aquarius est devenu un symbole concret pour ceux qui, en Europe, placent les valeurs universelles du respect de la vie humaine, de la dignité et de la solidarité avant toute autre considération. En cela, l’errance et les atermoiements dus à la fermeture des ports italiens, puis l’odyssée forcée, dangereuse et dégradante de l’Aquarius en Méditerranée, doivent impérativement constituer un signal d’alerte pour les dirigeants européens. Il n’est pas tolérable pour l’Europe qu’une telle situation se répète», dénonce SOS Méditerranée. MSF a déploré pour sa part le fait que les «hommes, femmes et enfants à bord de l’Aquarius (parmi lesquels des femmes enceintes) (…) aient été transbordés d’un bateau à l’autre comme de la marchandise, et leur voyage en mer ait été inutilement prolongé dans des conditions très pénibles». Emmanuel Macron a condamné de son côté le «cynisme» et l’«irresponsabilité» du gouvernement italien. Des propos qui ont jeté un froid entre Rome et Paris et le mot est faible. L’Italie a même exigé des excuses officielles de la part de la France et a convoqué – fait rare –, l’ambassadeur de France à Rome. «Je ne peux plus travailler avec cette femme !» C’est donc sur fond de crise politique et morale, de divergences profondes sur la gestion des flux migratoires, qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron se sont retrouvés hier, au château de Mesberg, au nord de Berlin, pour évoquer, entre autres, le brûlant dossier migratoire. Le couple franco-allemand entendait accorder ses violons à une dizaine de jours du sommet de l’UE prévu les 28 et 29 juin à Bruxelles. Les deux dirigeants européens militent pour une gestion «européenne» de la question des migrants quand des pays de l’UE entendent faire cavalier seul, en allant le plus souvent dans le sens d’un durcissement des mesures antimigrants. C’est le cas par exemple de la Pologne et de la Hongrie, qui ont décidé de fermer leurs frontières terrestres face aux réfugiés. «L’Europe est dans un processus de décomposition», s’alarmait Bruno Le Maire, le ministre des Finances français, hier, sur BFM TV, peu avant la tenue du conseil des ministres franco-allemand à Mesberg. Sur le front interne, les deux dirigeants sont confrontés, faut-il le souligner, à de fortes attaques au sujet du traitement de la question migratoire. La chancelière allemande doit composer avec la défiance de Horst Seehofer, ministre de l’Intérieur et figure de proue de la droite allemande au sein de la coalition gouvernementale conduite par Merkel. Ce lundi, il a donné deux semaines à Angela Merkel pour réduire les flux de migrants faute de quoi, il a menacé de «refouler immédiatement» les demandeurs d’asile aux frontières allemandes en provenance d’un autre pays européen. Il aurait même lancé : «Je ne peux plus travailler avec cette femme !» selon Die Welt. «Des larmes de crocodile pour l’Aquarius» Emmanuel Macron a eu, quant à lui, beaucoup de mal à faire passer son projet de loi «asile et immigration», difficilement adopté en avril dernier par les députés à l’Assemblée nationale, qui est en débat depuis hier devant le Sénat. Le texte, qui prône une «immigration maîtrisée», a été contesté avec véhémence, à droite comme à gauche. «En France, où l’on comptait près de 6 millions d’immigrés pour un peu moins de 66 millions d’habitants en 2014, le débat a fait rage sur la gestion du navire humanitaire l‘Aquarius. Selon un sondage publié lundi, 56% des Français ont estimé que le gouvernement avait fait le bon choix en n’accueillant pas le bateau qui est finalement arrivé en Espagne dimanche», rapporte l’AFP, avant de souligner : «C’est dans ce contexte exacerbé que le texte sur l’immigration fait son retour au Parlement, et les associations d’aide aux migrants n’ont pas manqué de faire le lien.» Et de rapporter le mouvement de protestation d’un «collectif de bénévoles» devant le Sénat, ce mardi, brandissant des pancartes sur lesquelles était écrit : «Centres de rétention = prisons» ; «Morts en Méditerranée, vous assumez». «Les militants ont entassé 348 gilets de sauvetage portant chacun le nom d’un sénateur, en hommage aux 35 000 morts depuis 1993, dans la traversée en mer vers l’Europe», ajoute l’AFP. Des sénateurs de gauche ont déployé une banderole avec l’inscription «L’Etat noie le droit d’asile». «D’un côté, on verse des larmes de crocodile pour l’Aquarius et de l’autre, on crée les conditions pour que se produisent de nouveaux Aquarius», martelait Pierre Laurent du Parti communiste, cité par l’AFP. Dur, dur, le visa… Dans le cas de la politique des visas, d’aucuns ont relevé ces derniers mois un durcissement de la procédure d’octroi de visa aux Algériens. Les refus se sont multipliés tandis que la durée de validité des titres de séjour s’est considérablement rétrécie, selon plusieurs témoignages concordants. Une situation qui pourrait trouver une explication, au moins en partie, dans les révélations faites par le directeur central de la police aux frontières français, Fernand Gontier, qui affirmait, lors de sa récente audition par la commission sécurité du Sénat, en France : «Les Algériens représentent la deuxième communauté la plus importante en situation irrégulière sur notre territoire. Nous effectuons plus de 10 000 interpellations par an. Beaucoup d’Algériens arrivent avec des visas mais ne repartent plus. Le directeur général des étrangers en France s’occupe de ce dossier. En outre, des Algériens arrivent illégalement en France par bateau. Nous devons être très vigilants sur les procédures de délivrance des visas. Nous proposons des formations au réseau consulaire car il est possible d’obtenir un vrai visa avec de faux documents. En Algérie, il y a des fraudes évidentes. Des vérifications s’imposent. Enfin, le phénomène des mineurs algériens et marocains nous préoccupe car la minorité permet de s’exonérer de la situation irrégulière.» Selon l’OIM, l’agence des Nations unies pour les migrations, 40 073 migrants sont arrivés par mer en Europe durant les six premiers mois de l’année 2018. Pour la même période, il a été enregistré 80 683 arrivées par mer en 2017 et 215 000 en 2016. Il a été enregistré en outre 857 morts pendant la traversée durant cette période contre 2106 migrants décédés au cours du premier semestre 2017. Malgré cette baisse notable du nombre de harraga, on remarque une crispation, voire une radicalisation des politiques migratoires européennes, qui transforment tout projet de mobilité en drame humanitaire.   «L’Europe porte ces morts sur sa conscience» Cette Journée mondiale des réfugiés aura été marquée également par la forte émotion et la vague d’indignation soulevées par ces images d’enfants séparés de leurs parents aux frontières des Etats-Unis avec le Mexique. Plus de 2300 mineurs ont été ainsi arrachés à leurs familles et placés dans des centres d’hébergement tandis que leurs parents ont été conduits en prison pour immigration clandestine au nom de la «tolérance zéro», slogan cher à Donald Trump. Loin de montrer la moindre compassion ou signe de contrition, le président américain a justifié ces mesures inhumaines en claironnant qu’il n’était pas question de laisser les Etats-Unis devenir «un camp pour migrants». Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a réagi à cette cruelle campagne à travers son porte-parole qui a déclaré : «Les enfants ne doivent pas être traumatisés en étant séparés de leurs parents. L’unité familiale doit être préservée.» Selon le HCR, 68,5 millions de personnes sont déracinées à travers le monde. On apprend en outre qu’«une personne a été déracinée toutes les deux secondes en 2017 et les pays en développement sont les plus affectés». Le rapport du HCR indique par ailleurs que «les réfugiés qui ont fui leur pays pour échapper au conflit et à la persécution représentent 25,4 millions, soit un accroissement de 2,9 millions par rapport à 2016». «Sur les 25,4 millions de réfugiés, un peu plus d’un cinquième sont des Palestiniens relevant de la compétence de l’UNRWA», ajoute le HCR. La même source précise que la majorité des réfugiés ne se trouvent pas dans les pays de l’hémisphère Nord, mais sont accueillis par des pays du Sud : «Les statistiques prouvent l’inverse étant donné que 85% des réfugiés vivent dans des pays en développement — dont beaucoup sont désespérément pauvres et ne reçoivent qu’un appui limité pour prendre en charge ces populations.» L’ONG SOS Méditerranée accable particulièrement la posture de l’Europe en pointant la duplicité de la politique migratoire européenne : «L’inaction des Etats européens est criminelle : elle a fait plus de 13 000 morts en Méditerranée depuis 2014, alors que, face à la tragédie de Lampedusa en 2013, les dirigeants de l’UE s’étaient insurgés : plus jamais ça ! L’Europe porte ces morts sur sa conscience.»  

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