jeudi 21 juin 2018

Matoub, une œuvre poétique multidimensionnelle

Le colloque international sur l’œuvre et la biographie de Matoub Lounès, qui sera clôturé aujourd’hui, à l’université Abderahmane Mira de Béjaïa, fait ressortir des profondeurs des textes du Rebelle une esthétique et une poétique qui donnent davantage d’épaisseur à une œuvre multidimensionnelle. Les nombreux spécialistes, qui prennent part à cette première manifestation du genre, dédiée exclusivement à Matoub, ont analysé leur corpus par des approches aussi différentes que variées. Souad Azirou et Noura Yefsah, de l’université de Tizi Ouzou, ont conclu à «une grande capacité d’analyse psychoaffective, une intelligence sociale et émotionnelle et la grande empathie» du chanteur. Leur essai d’analyse psychologique de la chanson Igujilen (Les orphelins) arrive à montrer que Matoub Lounès «rejoint les résultats des pionniers de la psychologie sur le sujet de la mort ou la séparation mère-enfant». Outre ses thématiques, ses métaphores et ses messages, l’œuvre de l’auteur d’Hymne à Boudiaf est profonde par son intertextualité, qui confirme le statut de poète ouvert sur la littérature universelle. Saïd Chemakh a mis l’accent sur la structure d’une autre chanson du Rebelle, fruit d’une traduction de deux textes poétiques engagés. Dans la chanson Aâskri (Le militaire), Matoub a associé deux poèmes qu’il a traduits vers le kabyle, à savoir le sonnet Dormeur du val d’Arthur Rimbaud (1870), et Déserteur de Boris Vian (1954). «Monsieur le Président, je vous écris cette lettre que vous lirez peut-être…» Dans Aâskri, Matoub transmet le même message fort, avec son sens puissant, pour dire aux décideurs son refus de la guerre. L’intertextualité va au-delà des ces poèmes et Mohamed Djellaoui, de l’université de Bouira, a creusé davantage la problématique en s’intéressant à «l’esthétique de l’intertexte dans l’œuvre de Matoub Lounès». «Le legs matoubien, une œuvre à la dimension pluridisciplinaire : littéraire, philosophique, socio-anthropologique, historique et engagée» est l’intitulé de la communication de Nora Belgasmia, de l’université Mouloud Mammeri, qui a mis en avant, plus qu’une poétique, plus qu’un engagement, mais un patrimoine qui se nourrit dans une poésie «engagée, spirituelle, idyllique, historique, socioanthropologique, politique voire même psychologique». Soit une dimension pluridisciplinaire. «Le jusqu’auboutisme, une caractéristique du chemin tracé par l’homme engagé et convaincu qu’il est, telle est l’image que dégage l’homme au charisme incommensurable. C’est à dessein que nous utilisons le présent car même si, au sens physique, l’homme n’est plus, son legs reste d’actualité et vivant à tout point de vue. Ce n’est certainement pas verser dans l’excès, puisque son héritage continue à être écouté, suivi et repris par une génération qui ne l’a pas connue, une preuve indélébile d’une consécration», explique Mme Belgasmia. L’aspect philosophique de l’œuvre matoubienne se lit et s’écoute dans la «remise en question d’un certain nombre de domaines inhérents à la condition humaine». «La religion, la liberté, la misère, l’amitié, la naïveté, la confiance, l’altérité, la conscience, la famille, l’addiction, l’existence, la vie… sont autant de concepts philosophiques que l’homme s’est attelé à aborder, le plus souvent dans un registre ironique ou même très sérieux comme le registre didactique.» Si l’ironie accompagne souvent le religieux dans ses textes, il en est autrement lorsqu’il s’agit des pans de la vie de Lounès et, partant, du caractère autobiographique de certains de ses textes, où le registre trempe dans le «polémique et le pathétique». Ces aspects philosophique et autobiographique sont enveloppés, bien entendu, par la dimension poétique, voire esthétique, qui fait que l’«on passe de la personnification à l’anachronisme, de l’anaphore aux métaphores aux comparaisons insolites, avec aisance». La pluridisciplinarité de l’œuvre de Matoub fait de celle-ci un corpus à valeur inestimable pour les recherches universitaires. «Pour peu qu’on s’arme de concepts clés applicables à tout corpus poétique de qualité, on trouve sa voie dans une recherche scientifique qui rehausse l’œuvre maatoubienne au rang de chef-d’œuvre largement justifié. Dans la discipline de la didactique des textes et de la stylistique, la variété inouïe des registres de langues qu’utilise le poète, laisse à dire et à méditer sur un style exceptionnel digne des grands auteurs qui ont marqué leur temps. En socioanthropologie, l’œuvre de Matoub reste incontournable, c’est un témoignage vivant sur des événements ayant marqué l’histoire d’une patrie tant aimée mais tant redoutée», conclut Nora Belgasmia, comme pour faire la synthèse de la variété des approches qui fait la richesse de ce colloque international. Mohand Haddad, de l’université de Béjaïa, pose «L’équation identitaire chez Matoub» avec ses deux termes reliés : «surinvestissement d’une thématique» et «constitution d’un projet de société». Rachid Chibane, de l’université de Tindouf, a préféré, quant à lui, s’engager sur une autre voie de recherche, non moins intéressante, avec une «analyse de la couverture médiatique» de l’assassinat du Rebelle.  

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