Entretien réalisé par Mokrane Aït Ouarabi Que pensez-vous de la situation politique nationale, à moins d’une année de la présidentielle ? Voyez-vous, le temps file inexorablement mais au lieu d’avancer, le pays est toujours enlisé dans la nasse de la crise. Sans capitaine, le vaisseau Algérie gît au sol et tenir un Conseil des ministres, banalité routinière et mécanique rodée ailleurs, est ici une… gageure ! A la veille de la présidentielle, un phénomène saillant se détache sur une toile de fond chaotique : l’extrême fébrilité du pouvoir. En effet, une déclaration sur la Toile d’une journaliste autour du cinquième mandat et un tweet de l’ambassadeur de l’Union européenne et c’est la panique dans le sérail du pouvoir et le clairon de «la main étrangère». A l’affût du moindre remous dans la société, le pouvoir n’hésite pas à menacer ou carrément à jeter en prison journalistes, défenseurs des droits de l’homme dont le blogueur Merzoug Touati, arrêté pour «espionnage», mais la censure a bon dos en Algérie ! Non seulement le pouvoir a choisi de faire la guérilla à la liberté d’expression, mais il se tait par rapport aux atteintes à la liberté de conscience. Il est d’un mutisme sidéral face aux agressions perpétrées contre les femmes par des milices fanatisées. Voudrait-on revenir au temps où le FIS mobilisait des organisations paramilitaires pour contrôler la vie privée et les mœurs à l’aune du wahhabisme dans les quartiers et les cités universitaires ? La récente saisie de cocaïne au port d’Oran, historique par l’ampleur de sa prise, est symptomatique d’une corruption tentaculaire qui questionne de façon sérieuse les liens qu’entretient le narcotrafic avec les bandes maffieuses et les réseaux de financement du terrorisme islamiste. D’aucuns s’interrogent sur les visées réelles d’une telle opération. Au plan socio-économique, aucun changement digne de ce nom n’a l’air de vouloir s’amorcer dans le pays. Les jacqueries sont loin d’y être un phénomène marginal. Les grèves sont nombreuses mais pour les briser, la carotte est souvent à la manœuvre pour appâter les travailleurs. Le bâton peut aussi s’abattre sur les grévistes mais si ces derniers résistent, l’arme du pourrissement est aussitôt brandie pour tuer à petit feu le mouvement. C’est le cas des médecins résidents, lesquels ont été sauvagement réprimés et dont la grève dure déjà depuis plus de six mois ! Ce contexte chaotique que vous décrivez n’empêche pas le FLN d’appeler le président Bouteflika à continuer à la tête de l’Etat. Un appel qui n’est cependant pas appuyé par les autres partis de la majorité présidentielle (RND, MPA et TAJ). Un 5e mandat est-il une option sérieuse pour le pouvoir dans le contexte de crise actuel ? La question n’est pas de savoir si le 5e mandat est une option sérieuse ou pas. Dans tous les cas, une chose est sûre : la façon dont ce système a fait sauter le verrou numérique des mandats présidentiels donne une idée précise de la nature des méthodes qu’il peut préconiser pour arriver à ses fins. Mais des questions brûlantes demeurent : qui paiera les conséquences de cette politique suicidaire ? Comment va réagir le peuple ? Dans un contexte international toxique, pourra-t-il préserver sa cohésion ? Que va-t-il advenir de l’unité du pays ? Le 5e mandat est un expédient qui ne fait que retarder la chute du système et vu l’état de santé du Président, le jour J+1 du 5e mandat n’échappera pas à l’éventualité d’une élection anticipée ! A force de tirer sur la corde, elle casse ! Vous avez déclaré récemment que l’objectif de votre parti n’était pas de faire partir Bouteflika, mais de dégager à jamais le système, l’islamisme et la classe politique toutes tendances confondues. Comment ? Aussi calamiteuse que soit la gouvernance du Président, l’impasse dans laquelle se trouve l’Algérie n’est pas due à la figure politique d’un homme. Bouteflika en porte une lourde responsabilité, mais à lui seul il n’épuise pas la crise dans laquelle s’est embourbé le pays. Imaginons un seul instant que l’Algérie se dote par miracle d’un nouveau Président dont les qualités seraient indiscutables ! Croyez-vous qu’à la faveur de ce seul changement cette permutation de rôles suffise à garantir le décollage du pays ? Les racines de la maladie du pays sont bien plus profondes. Dès sa naissance, ce système a confisqué la parole au peuple et usurpé la devise qu’il porte cyniquement sur son fronton : «Par le peuple et pour le peuple». Comme le disait le regretté Hachemi Cherif : «Ce n’est pas la question du pouvoir qui est fondamentalement, ni principalement en jeu, mais la question de l’Etat, de son contenu et sa forme». Par ailleurs, la situation sécuritaire s’est considérablement dégradée au Sahel et l’Algérie est plus que jamais sous la menace d’AQMI et de l’Etat islamique. La stabilité du pays est aussi contrariée par des forces centrifuges dangereuses, notamment celles du MAK dont le seul but est de saborder l’unité du pays. La dernière saillie de Ferhat M’henni appelant à la formation de milices armées est très préoccupante. Le tournant gravissime de son parti rappelle étrangement les prêches belliqueux du FIS des années 90' qui, en fin de compte, avaient débouché sur un mouvement insurrectionnel puis déclenché la guerre que ses escadrons de la mort ont livrée au peuple pendant des décennies. Dans un tel contexte, seule une transition républicaine décrétée par le président Bouteflika et confortée par l’ANP, et ce, pour couper l’herbe sous les pieds de tous ceux qui crieront au coup d’Etat, est à même de mener le pays à la paix et de le sauver de l’éclatement. Cette transition donnera toutes ses chances aux patriotes de ce pays pour se constituer en force nouvelle, conduire l’Algérie vers la sortie de crise et ouvrir la voie à l’édification de l’Etat de droit dans le respect des libertés, de l’égalité, du pluralisme culturel et du patrimoine millénaire du pays. Vous présidez un parti, mais vous appelez à la dissolution de toutes les formations politiques. Pourquoi ? En effet, il pourrait apparaître illogique d’appeler à la liquidation des partis alors que nous nous sommes constitués en structure partisane. Mais ce paradoxe n’est qu’apparent. L’obsolescence effectivement touche tous les partis, y compris le PLD, mais la nature de cette obsolescence n’est pas la même, qu’il s’agisse du PLD ou des autres partis. Ces derniers sont désuets de par leurs programmes, leurs stratégies et leurs tactiques et ne peuvent donc pas répondre aux exigences de l’étape. Ils sont par opportunisme dans l’allégeance au système et la trahison suprême, ils ont tous fait de l’islamisme un partenaire politique fréquentable. Tandis que le PLD, tout en n’ayant pas à refonder sa ligne politique, aura à se reconfigurer lui aussi avec l’ambition de s’unir à toutes les forces progressistes et modernistes. Le chemin de cette construction politique sera difficile et semé d’embûches parce que nombre de démocrates sont encore dans une doxa que nous ne partageons pas. Ils mangent de la main et dans la main du pouvoir. Ils sont aujourd’hui la caution d’un système moribond qu’ils tentent de ressusciter par le harcèlement thérapeutique. Vaine tentative ! L’Algérie a besoin de changer de paradigme et de cesser de vivre dans le tropisme du passé. Nous sommes dans la nécessité de ruptures pour placer le pays dans l’orbite de la modernité en vue de permettre au peuple de vivre en harmonie avec son siècle et de faire de la pluralité culturelle et du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes l’emblème du projet de société. Du côté de l’opposition démocratique, on assiste à une multiplication d’initiatives. Votre parti, à juste titre, est dans l’initiative du Collectif de coordination et de liaison des démocrates. Que signifient toutes ces initiatives ? En effet, plusieurs initiatives politiques sont à l’œuvre. Ce bouillonnement politique apporte d’abord la preuve concrète qu’il y a une crise réelle dans le pays, mais l’initiative la plus pertinente sera celle qui aura eu le mérite de parachever le processus entamé au lendemain de l’arrêt des «élections» de janvier 1992. Ne restons pas au milieu du gué, car l’heure est à l’audace politique : voulons-nous clouer le pays au XVie siècle ou bien lui ouvrir l’horizon du XXie ? Notre parti souscrit totalement à l’initiative du Collectif de coordination et de liaison des démocrates (CCLD). Nous y travaillons depuis longtemps. Notre ambition est de contribuer au renforcement du CCLD pour en faire un espace de débats, briser les murs de la méfiance et jeter les ponts de l’échange. L’expérience que nous avons cumulée au sein du PLD valide les thèses de feu Hachemi Cherif. La stratégie de la double rupture focalise les luttes contre l’islamisme politique, d’une part, et le système rentier et maffieux, d’autre part. Sans la volonté inflexible de conduire en synergie ces deux combats, soustraire le pays à la menace théocratique et l’arracher à la chape de plomb de la rente et de l’informel ne seront que chimères et vaines illusions. Aujourd’hui, nous pouvons aller plus loin en mettant en avant la notion de triple rupture pour consacrer par ailleurs la faillite et l’obsolescence de la classe politique. Evidemment, la laïcité, principe fondamental et pré-requis de toutes les libertés est au cœur des luttes que nous avons à mener aux cotés de nombreux intellectuels. En effet, la séparation du politique et du religieux ouvre le champ pour construire une société citoyenne, pleinement consciente de ses droits et de ses devoirs. C’est précisément cet objectif qu’il s’agit d’atteindre pour édifier les institutions modernes de la République. C’est le pari à tenir pour asseoir et élargir l’adhésion au CCLD. Comment situez-vous les forces progressistes en Algérie et ce qui les différencie des autres courants politiques ? Bien évidemment, nous ne partageons rien de commun avec les islamistes : nous ne sommes pas de la même extraction. Rien ne nous lie à ce courant mortifère car un torrent de sang nous en sépare ! Ce qui me préoccupe beaucoup aujourd’hui, c’est l’émiettement des forces démocratiques. A cause de notre atomisation, nous renvoyons à la société l’image d’un archipel éclaté. L’urgence donc est de susciter à l’intérieur de notre famille un mouvement de convergence pour retrouver la terre ferme de l’union. C’est précisément cette dynamique unitaire qu’appelle de ses vœux le Collectif de coordination et de liaison des démocrates. Retrouvons-nous d’abord loin de nos ennemis, pour nous donner toutes les chances de gagner les batailles politiques à venir. Etes-vous pour une Assemblée constituante, comme le réclame actuellement le PT, ou la construction d'un consensus national comme le demande le FFS et certains partis ? Pour nous, l’opportunité d’une Assemblée constituante ne pourrait s’envisager qu’au lendemain d’une transition nationale qui a déjà balisé le chemin vers un consensus dont le socle est l’Etat de droit. Nous, au PLD, nos principales propositions de sortie de crise sont une transition nationale décrétée par le président de la République avec toutes les forces vives du pays le plus tôt possible. L’ANP doit être garante du caractère pacifique et démocratique de cette transition. Il y a aussi la nomination d’un gouvernement de combat républicain pour gérer la transition, l’arrêt du processus actuel avec la dissolution de toutes les institutions «élues» ou désignées, ainsi que tous les syndicats et associations «maison», l’adoption d’un projet de loi pour une nouvelle Constitution afin d’aboutir à un projet de société pour que l’Algérie devienne une République démocratique, moderne, sociale et laïque et l’adoption d'un projet de loi sur les partis politiques et leur financement pour le renouvellement de la classe politique.
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