C’est une petite expérience que mène l’association Axxam n Dda Ali, avec l’écoresponsable Amar Adjili, mais elle est innovante et originale. Planter des variétés de fruits et légumes anciennes ou peu connues pour diversifier l’offre sur le marché et se réapproprier les méthodes d’agriculture pratiquées par les ancêtres : naturelles et surtout sans pesticides. «De l’eau, du soleil, du compost et beaucoup d’amour», voilà notre recette, disent ces passionnés de ce qu’on appelle aujourd’hui la «permaculture». Au moment où nos marchés, du nord au sud et d’est en ouest, proposent tous la même pomme de terre nourrie aux produits phytosanitaires, la même tomate élevée sous serre et la même pastèque, souvent arrosée avec des eaux usées, il est peut-être temps de se tourner vers une agriculture qui assure le respect de la nature et de la biodiversité, une alimentation saine et un développement durable. Récit. Reportage réalisé par Djamel Alilat Tout commence par une rencontre et une amitié entre Amar Adjili, écoresponsable, et l’association culturelle et éco citoyenne Axxam n Dda Ali de Tizi Rached. Amar est un militant écologiste, un écocitoyen, comme on dit aujourd’hui, très volontaire. Depuis son retour de France, son pays d’adoption, vers son pays natal, il ne cesse de nettoyer forêts, plages et quartiers menant contre la pollution et la saleté un combat digne de David contre Goliath. C’est Farid Adjaoud, le président de l’association Axxam n Dda Ali (La Maison de Dda Ali), qui raconte cette rencontre : «De facto, il y a une communion d’idées, un même constat devant la tragique situation environnementale de notre pays et l’indéfectible désir d’agir. De cette union sont nées plusieurs actions, comme le nettoyage de la forêt de Yakouren, de Tizi Rached, de Tigzirt, etc.» Pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, voilà un autre rêve commun qui prend forme. Farid poursuit son récit : «Un autre projet a germé comme une graine. Un projet qui se veut ouvert aux échanges, à la découverte, à la recherche et surtout à la réappropriation des méthodes d’agriculture pratiquées par nos ancêtres que l’on désigne aujourd’hui sous le nom savant de permaculture.» Les choses commencent donc à se concrétiser dans le courant de l’automne 2017, lorsque Amar Adjili a la bonne idée de conclure un partenariat avec Kokopelli France, une association qui distribue des semences issues de l’agriculture biologique et de l’agriculture biodynamique dans le but de préserver la biodiversité semencière et potagère. Il obtient ainsi gracieusement une quantité importante d’anciennes semences reproductibles. «Après moult échanges, discussions et sensibilisation aux dangers de l’agriculture intensive, de l’agroalimentaire, les dangers de la malbouffe, un groupe de dix personnes bénévoles et volontaires s’est constitué pour ce projet de permaculture. Février 2018, notre équipe construit une serre avec du bois de récupération. A partir de là, les graines ont étés semées dans des bacs noirs et installés dans la serre. Aussitôt, le jardin d’Axxam a été clôturé afin de le protéger des intrusions». Il fallait déjà préserver les fragiles plantes des griffes de Lola Max et Minouche, les chien et chat membres permanents de l’association Axxam. «On a décidé de travailler avec Kakopelli, qui a beaucoup de légumes anciens», explique Amar Adjili. «Non seulement ils ont beaucoup de variétés, mais leurs semences sont reproductibles. Elles ne sont pas stérilisées comme celles de Vilmorin ou Mansanto et ne contiennent pas d’OGM.» Les semences, un enjeu mondial Le contrôle des semences est devenu un enjeu mondial depuis que des multinationales, comme le géant Monsanto, se sont mis à les privatiser, obligeant au passage les agriculteurs à s’approvisionner chez elles chaque année en semences industrielles standardisées et non reproductibles. Des voix se sont alors élevées pour dénoncer cet état de fait qui constitue une menace pour la souveraineté et la sécurité alimentaire des populations locales, ainsi que pour la biodiversité de la planète. Tout le monde sait que les semences sont la base du système alimentaire humain. Depuis le néolithique, les hommes ont développé non seulement un savoir-faire en matière d’agriculture, mais également un trésor inestimable de centaines de milliers de graines de plantes, fruits et légumes adaptés à leur environnement, préservant ainsi la biodiversité agricole mondiale. C’est ce trésor qui est aujourd’hui convoité par des multinationales afin de le privatiser et de l’accaparer. Amar veut lutter selon ses moyens contre l’agriculture intensive qui est en train de standardiser le contenu de nos assiettes. «Quand on va dans les marchés, on ne trouve que des fruits et des légumes fades, car issus de l’agriculture intensive qui abuse de produits phytosanitaires et de pesticides. De plus, on ne trouve que la même variété, sinon deux ou trois, toujours les mêmes pour chaque légume, alors que la nature est si riche et si diversifiée. Quand on sait qu’il y a des milliers de variétés rien que pour la tomate et la pomme de terre !» dit-il. En mars 2018, les pousses semis sont plantés dans le jardin d’Axxam. Ce dernier ne pouvant pas contenir toute la production des semis, les responsables de l’association sollicitent le voisin mitoyen pour mettre à leur disposition son champ en friche de 3000 m2 et celui-ci accepte de bonne grâce. L’association bénéficie ainsi d’un champ de 3000 m2 pour étendre ses expériences. Pour Farid Adjoud, le président d’Axxam, l’accent doit être mis sur l'aspect initial de la permaculture : techniques agricoles traditionnelles, manuelles, respectueuses de la faune et de la flore, (sans labour ni produits phytosanitaires), avec couverture végétale, associations de plantes, etc. de manière à enrichir la biodiversité du site et la fertilité du sol. L’accent est mis également sur l'autonomie en ressources afin de minimiser les frais en électricité et en eau. «En plus de la petite serre aménagée sur la terrasse de notre siège, nous avons investi dans deux citernes de 3000 litres chacune, dont une est vouée à la récupération des eaux de pluie», précise Farid. L’équipe prend les choses très au sérieux. Tout est noté minutieusement. «Depuis le lancement de ce projet, nous nous mettons aussitôt à noter sur papier l’évolution des semis, température intérieure et extérieure de la terre, arrosage, ainsi que toute autre action effectuée. Ces informations sont régulièrement transmises à notre partenaire Kokopelli», précisent Farid et Amar. Pour Amar Adjili, l’avantage de travailler avec les Kakopelli est qu’ils donnent beaucoup de conseils pour la conduite des jardins et des potagers. Comment associer intelligemment des plantes pour en tirer le meilleur profit, comme par exemple des tomates avec des œillets d’Inde et du basilic, comment soigner les plantes avec du purin d’ortie, etc. Prendre soin de la terre et des hommes Amar, le premier responsable du projet, est entouré par une demi-douzaine de jeunes qu’il initie à la permaculture. Ils retournent la terre, repiquent les plants, arrosent, nettoient et les plantes font le reste, poussant naturellement, sans pesticides. «On plante, on arrose et on attend que ça pousse. Tout est naturel», dit Massi, 23 ans, étudiant en 3e année en finance des banques et des assurances et l’un des membres du groupe permaculture. «Notre message est que tout le monde se mette un jour à la permaculture», dit Mohand, 19 ans, plombier, autre membre du groupe. «L'objectif de notre projet à terme est de démontrer la viabilité de la permaculture au sein du monde paysan, de se réapproprier ces méthodes ancestrales pratiquées autrefois dans notre pays, de mettre l’accent sur les trois piliers de la permaculture, à savoir prendre soin de la terre et des hommes, et partager équitablement les ressources», explique encore Farid. «Une fois la récolte arrivée, on ira dans les marchés faire découvrir ces fruits et légumes anciens, ces variétés oubliées ou inconnues chez nous. D’autant plus qu’elles sont très bonnes, naturelles, sans OGM et sans pesticides», dit Amar. En attendant, il faut s’occuper du potager, du jardin des aromates et du jardin des fleurs. Il y a beaucoup de variétés exotiques ou inconnues, comme la ciboulette du Japon, la moutarde d’Inde, le basilic péruvien, la tomate noire et verte, la pomme de terre noire, le potimarron, le raisin Italia, la framboise jaune, le melon Kajari, le Physalis Péruviana, les Physalis Philadelphia, les tagettes nématocides, le maïs noir, denté ou cornu, la citrouille Citrullus lanatus, la mâche, le sorgho Santa Fe Red, l’aneth, le thym et une douzaine de variétés de piments, etc. Il serait fastidieux de citer ces étranges fruits et légumes peu coutumiers de nos tables et de nos palais. L’accent est également mis sur les variétés locales. «Ici en Kabylie, j’ai vu beaucoup de mamies avec de très bonnes variétés locales. Notre objectif est aussi de sauver et valoriser ce patrimoine en travaillant avec», ajoute l’infatigable Amar. Pour finir, Amar tient à lancer un message personnel : «Nous sommes prêts à aider bénévolement toutes les associations qui veulent se lancer dans la permaculture.»
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