A l’opposé des assurances du Premier ministre à propos de la crise économique, le chef du RND, Ahmed Ouyahia, prédit des lendemains incertains si le gouvernement ne prend pas de mesures audacieuses. Alternant le costume de chef du RND et celui de chef de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia est apparu, hier, à l’occasion de sa conférence de presse trimestrielle, comme celui qui «ose» affronter les situations difficiles. Nous devons dire quelques vérités, nous ne devons pas mentir aux Algériens. La situation est difficile et l’Algérie a besoin d’une trêve sociale», a affirmé Ahmed Ouyahia. Et si le patron du RND se défend de tout «conflit entre lui et le Premier ministre Abdelmalek Sellal», il a tenu à marquer sa différence sur bien des choix du gouvernement. A commencer par le retour du crédit à la consommation. Le secrétaire général du RND s’est «opposé» à cette mesure stoppée en 2009 par Ouyahia lui-même. «Le crédit à la consommation, nous n’avons pas de quoi le financer, c’est une solution facile», tance-t-il. Il va loin dans sa divergence en affirmant que le pays se trouve «face à un danger et que d’ici cinq ans il ne restera aucun dollar dans les caisses si nous ne réformons pas». Et d’user d’une formule populaire pour dire toute la gravité de la situation : «Que Dieu nous préserve d’ici cinq ans», prévient encore celui qui a été trois fois chef de gouvernement. Ouyahia estime que si «le pays dispose d’une marge de sécurité et surtout des capacités humaines et des potentiels économiques», il indique, par ailleurs, où le gouvernement devrait aller chercher les mesures à même de freiner la descente aux enfers, sur fond d’incertitudes politiques. «Il faut en finir définitivement avec l’import-import», martèle-t-il en défendant l’instauration de la licence d’importation car sans elle, «nous irons à la mort», assène-t-il. Tout en rappelant «toutes les facilités données aux investisseurs», Ahmed Ouyahia recommande «une lutte implacable contre la bureaucratie, la corruption et la compétition inégale de l’argent sale. Il faut tuer l’économie invisible et l’argent sale qui avaient tenté de frapper l’Etat en 2011». Il est utile de rappeler à ce propos qu’Ahmed Ouyahia a été limogé du poste de Premier ministre au lendemain d’une déclaration affirmant que «c’est l’argent sale qui dirige». Pour de nombreux observateurs, la situation n’a pas changé depuis et l’économie souterraine ne cesse de grandir et de gagner des espaces. Les lobbys de l’informel, qui prend forme dans une oligarchie conquérante, apparaissent aujourd’hui comme une puissance contre laquelle le gouvernement ne peut rien. S’employant à jouer la synthèse entre courants opposés, Ouyahia va jusqu’à reprendre à son compte une des revendications phare du Parti des travailleurs : instaurer un impôt sur la fortune : «Le pays sera obligé tôt ou tard d’aller vers l’instauration de l’impôt sur la fortune.» Soutien critique Cependant, concernant les mesures annoncées dans le cadre de la loi de finances 2006 en cours d’élaboration, Ahmed Ouyahia s’est dit «favorable à l’instauration de la vignette sur les véhicules, c’est une nécessité». Son penchant libéral assumé ne l’a pas empêché de défendre – du moins tactiquement – les politiques dites sociales engagées par l’Etat : «Nous ne pouvons pas renoncer au soutien des prix des produits de santé, de logement, sinon on aura un soulèvement dans la société.» Et d’ajouter qu’«il faut aller vers un changement graduel». Pour lui, «la rationalisation des dépenses n’est pas catastrophique pour le citoyen, les gens doivent sentir la valeur de l’argent». Tout comme le gouvernement, Ouyahia évite de parler d’austérité, alors que toutes les mesures déclinées y mènent tout droit. Et pour ne pas «froisser» ses amis et adversaires au sein du pouvoir, Ouyahia «lave» le gouvernement de toute responsabilité de la crise qui enserre le pays de toutes parts : «La crise économique n’est pas une erreur du pouvoir en Algérie, mais est liée à la chute des cours du pétrole.» Et pour répondre aux opposants qui reprochent au pouvoir d’avoir dépensé des milliards de dollars sans parvenir à diversifier et à relancer l’économie nationale, Ahmed Ouyahia s’est lancé dans un exercice dont lui seul détient la maîtrise, pour expliquer, chiffres à l’appui, toutes les «réalisations, infrastructures scolaires, sanitaires, logements». Enfin, Ouyahia rassure Sellal, à la veille d’une rentrée politique et sociale difficile, affirmant qu’il est «d’accord à 90% avec le gouvernement». En somme, c’est un Ouyahia fidèle à l’étiquette que lui colle Louisa Hanoune : «Il a l’art de tout justifier et avec aplomb.» Louer et blâmer.
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