lundi 2 novembre 2015

Quand la petite monnaie vient à manquer

Dans les bus, les receveurs demandent toujours, dès le démarrage, à ce que les voyageurs préparent de la monnaie et évitent de leur donner des billets de 500, 1000 et encore moins de 2000 DA. Je n’ai pas de monnaie. Allez en chercher pour que je puisse vous donner votre ticket. Estimez-vous chanceuse aujourd’hui, je viens de vous rendre un service colossal en vous donnant votre ticket et la monnaie de 1000 DA.» Cette scène qui s’est déroulée, il y a quelques semaines, à la station de métro de Aïssat Idir et qui a fini par un accrochage verbal entre le guichetier et la cliente ne cesse de se reproduire dans plusieurs endroits commerciaux. Dans les bus, les receveurs demandent toujours, dès le démarrage, à ce que les voyageurs préparent de la monnaie et évitent de leur donner des billets de 500, 1000 et encore moins celui de 2000 DA. Les chauffeurs de taxi, quant à eux, n’hésitent pas à arrondir le montant de la course pour éviter de rendre la monnaie. «Pour ne pas être savonné par le commerçant, le receveur de bus ou le chauffeur de taxi, je m’arrange toujours pour avoir de la petite monnaie, sinon je demande des excuses et je jure que je ne possède que ces billets», raconte Samia, une trentenaire fonctionnaire de son état. Ce manque des petits sous est aussi déploré dans les cafés maures, les cybercafés, les magasins d’alimentation générale et même dans les bureaux de poste et les banques. Aussi aberrant que cela puisse paraître, certaines agences commerciales des banques déplorent souvent un manque de pièces de monnaie, notamment celles de 100 et 200 DA. Celles de 50 DA sont presque inexistantes. Le manque de la petite monnaie rend les transactions quotidiennes très difficiles. Elles peuvent atteindre des niveaux de gravité jusqu’à provoquer des rixes entre le citoyen, pour lequel le moindre dinar compte, et le commerçant qui tire des profits inimaginables en imposant le chiffre rond à ses clients. Dans ce sens, les exemples ne manquent pas. Le plus connu reste celui des boulangers chez qui la monnaie n’est jamais rendue. A force d’imposer le chiffre rond aux clients, le prix de la baguette, officiellement fixé à 7,5 et 8,5 DA, a été généralisé à 10 DA. Même si les boulangers trouvent comme excuse le manque de bénéfice dans la production du pain avec ce prix imposé par l’Etat, ils disent avoir trouver, en ce nouveau prix officieux, une manière d’éviter de rendre la monnaie. La situation est presque la même chez les pharmaciens. Les prix des médicaments, qui ne cessent de connaître des hausses, incluent toujours une petite monnaie qui n’existe plus. Des centimes, voire des dinars, qui représentent des marges bénéficiaires conséquentes pour eux. Gêne et bénéfices Les formules policées utilisées par les commerçants pour conserver la monnaie dans leur caisse ne marchent pas à tous les coups. La continuelle confrontation avec le client ne finit pas toujours par la formule «Gardez la monnaie». Des accusations échangées entre le commerçant et les citoyens finissent par des prises de bec qui aboutissent à des pertes systématiques de clients. «Nous sommes au quotidien dans la gène devant nos clients», s’exclame un épicier à la cité Rabia Tahar, dans la commune de Bab Ezzouar, à Alger. «Lorsque nous ne possédons pas de monnaie, nous sommes obligés de choisir entre ne pas vendre ou abandonner la différence du prix pour ne pas perdre le client. Personnellement, lorsqu’il s’agit d’une petite différence, j’opte pour le deuxième choix, sinon je compense cette différence par des bonbons ou des chewing-gums.» Par le biais de l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), les commerçants ne nient pas leur responsabilité quant à la procuration de la petite monnaie. Ils mettent cette situation sur le compte de la Banque centrale qui n’aurait pas mis une quantité suffisante de pièces de monnaie sur le marché. «Parce que le déficit en matière de petits sous est criant, nous demandons à la Banque centrale de produire encore 50 millions de pièces, toutes valeurs confondues», déclare Tahar Boulenouar, porte-parole de l’UGCAA, qui déclare que plus de 200 000 commerçants de détail sont lésés par cette situation de manque de petite monnaie. «La situation est critique et embarrassante aussi bien pour le citoyen que pour les commerçants. Ces derniers se débrouillent comme ils peuvent pour éviter la gêne et garder leurs clients. Certains ont recruté des jeunes, auxquels ils donnent une petite somme journalière à condition qu’ils leur trouvent la monnaie de 5000 ou 10 000 DA», explique-t-il. D’autres, selon les propos de M. Boulenouar, n’ont pas hésité à solliciter les petits enfants possédant des tirelires. Ils concluent des «marchés» avec eux consistant à changer leurs petites économies, souvent en petite monnaie, contre 100 DA de plus. D’autres ont conclu des accords avec les mendiants qui détiennent la plus grande quantité de monnaie en circulation. Ils possèdent chaque jour des sommes colossales en pièces de 10, 20, 50 et 100 DA. D’après M. Boulenouar, ce sont ces pièces qui manquent le plus sur le marché. «Même lorsque les commerçants se présentent, munis de leur registre du commerce aux banques pour demander de la monnaie, les responsables de ces agences commerciales refusent de leur en donner. Une banque étrangère aurait même dit, à un commerçant, avoir reçu des instructions pour ne pas donner de la monnaie. Une procédure considérée comme routinière par le passé. Cette situation plonge tout le secteur des activités commerciales dans une gêne générale et un stress permanent», conclut-il. La Banque centrale s’en lave les mains D’après les propos d’un cadre, la Banque centrale aurait atteint cette année un chiffre record en matière de production de pièces de monnaie. «La Banque d’Algérie produit les pièces de monnaie selon les besoins exprimés et recueillis auprès des agences commerciales des différentes banques, où les commerçants sont domiciliés. La production n’est pas aléatoire, mais réfléchie. Cette année, elle a battu tous les records. Nos prévisions ont atteint le chiffre de 150 millions de pièces, toutes valeurs confondues, dont 90% ont déjà été écoulées. Le mot pénurie formulé par les représentants de l’UGCAA est un peu exagéré», déclare-t-il. Il reste tout de même perplexe quant à l’indisponibilité de la pièce métallique dans les institutions de l’Etat, telles que le métro d’Alger ou le tramway. Il qualifie d’anormal l’abstinence des agences commerciales des banques de répondre aux besoins des commerçants en matière de petite monnaie. Entre les représentants des commerçants et les déclarations de la Banque d’Algérie, les observateurs accusent le marché parallèle de cette pénurie de pièces métalliques. Ils qualifient cette situation de normale vu la disponibilité de plus de la moitié de ressources financières entre les mains des commerçants informels. En attendant que chacune des parties impliquées assume ses responsabilités, le citoyen reste le seul à payer le prix. Entre-temps, les petites unités de la monnaie algérienne ont disparu ou sont condamnées à disparaître dans les prochaines années, telles que les pièces de 20 ou 50 centimes qui ne sont disponibles que chez les collectionneurs. Le même sort attend la pièce de 1 DA, pourtant monnaie officielle du pays.  

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