- Donald Trump est le 45e président des Etats-Unis. Son discours durant la campagne électorale faisait peur. Beaucoup ont cru qu’Hillary Clinton, candidate des démocrates, allait passer. Comment expliquez-vous l’élection de Trump ? L’élection de Donald Trump ne me surprend pas. Je l’avais prédit dès le mois d’août sur ma page facebook dès lors que le Parti démocrate n’avait pas opté pour Bernie Sanders. Cette victoire est le résultat d’un faisceau d’événements dont je vois les ruptures stratégiques latentes d’une lame de fond qui traverse le pays depuis près de 20 ans et qui a corollairement impacté les partis républicain et démocrate. C’est en cela que s’explique le succès lors des primaires des deux marginaux Donald Trump et Bernie Sanders. Ces têtes inconnues en politique étaient porteuses d’idées nouvelles pour résoudre les divers problèmes du pays et prenaient à contre-pied les jeux de pouvoir éculés et anachroniques de leurs partis et de leurs dynasties respectives. En stratégie politique, pour vaincre, il faut être capable de changer les règles du jeu sans prendre le risque d’arrêter la partie elle-même. C’est ce que Donald Trump a réussi à faire. D’abord, durant les primaires, en développant une rhétorique ciblée sur les différents segments de la population américaine, Etat par Etat, situation par situation. Ce qui apparaissait comme des attaques tous azimuts était en réalité bien structuré (ainsi, ses discours sur les musulmans étaient bien plus nuancés que ne le rapportaient les médias mainstream). Ensuite, en prenant le risque – et c’est en cela qu’il faut saluer son sens du leadership – d’énoncer de véritables changements dans la doctrine étrangère des Etats-Unis, diamétralement opposés à l’orientation néo-conservatrice de son propre parti, héritée de la période des Bush et de celles de Zbigniew Brzezinski et Henry Kissenger, les mentors de Barack Obama et concepteurs d’une géopolitique agressive et dominatrice contre la Russie et, à un degré moindre, contre la Chine et leurs tendances à construire un monde multipolaire. En martelant un discours – clivant au regard de l’establishment politique américain – pour développer un partenariat stratégique avec la Russie et en imposant aux pays de l’OTAN de financer le parapluie nucléaire américain, Donald Trump dévoile implicitement les lignes de fracture au sein du Pentagone et de la CIA sur la politique menée par les démocrates et qui risquaient de s’aggraver avec l’élection d’Hillary Clinton qui en avait jeté les bases lors du premier mandat d’Obama. Mais Donald Trump a aussi gagné car il n’a jamais hésité à qualifier son adversaire de «crooked Hillary» (Hillary l’escroc) car il savait que l’ancienne secrétaire d’Etat a été souvent prise en flagrant délit de mensonge (déjà lors des primaires de 2008 contre Obama et en particulier lors de sa déposition concernant ses e-mails et ses divers rebondissements) et enfin la volte-face assassine du FBI à une semaine du vote qui a fini par faire bouger le curseur des indépendants (ceux qui ne votent ni pour les républicains ni pour les démocrates) et de certains démocrates vers Donald Trump. - Si on prend le programme de Trump à la lettre, tel que décliné dans son discours de campagne, les Noirs, les Hispaniques, les musulmans vont certainement en pâtir. La politique américaine concernant l’émigration va changer. Ne pensez-vous pas que les Américains ont fait ce choix selon la tendance mondiale qui est celle du repli des peuples sur eux-mêmes ? Vous savez, dans une campagne électorale, si vous n’êtes qu’un outsider, pour réussir il vous faut changer les règles du jeu en développant un discours basé parfois sur des valeurs et des éléments de langage non convenus, à charge à vous d’en maîtriser les impacts émotionnels et politiques. Comme je l’ai esquissé plus haut, Donald Trump a dû segmenter ses auditoires en fonction des Etats et des situations. Et si vous suivez bien ses discours, hormis sa gestuelle bien étudiée et son charisme naturel, il a servi des discours tels que voulaient l’entendre ses auditoires en prenant soin d’être ambigu mais distinctif, dans le fond et la forme, d’où sa capacité à magnétiser les indécis. Les deux candidats ont adressé les mêmes problèmes de délocalisation, d’émergence des nouvelles technologies auxquels l’Américain moyen n’est pas préparé, de couverture des soins pour les plus démunis, de la puissance des Etats-Unis battue en brèche à vue d’œil par les produits «made in China», les guerres sans succès de l’armée américaine, etc. Mais seul Donald Trump a réussi à convaincre car il a tissé en filigrane une ligne continue entre tous ces problèmes en les remontant à une source unique qui est la mondialisation. Cette mondialisation qui arrange les élites, dit-il, mais qui abandonne derrière tous les laissés-pour-compte de la société. Je ne suis pas sûr que cela soit un repli des peuples sur eux-mêmes. Bien au contraire, je crois que l’architecture globale des règles de la mondialisation, voulue par ailleurs par les Etats-Unis eux-mêmes au nom du libre-échange, s’est avérée ne pas être un jeu à somme nulle. D’où les désenchantements en Europe, en Amérique et ailleurs, que servent opportunément des discours prometteurs mais vides de consistance, tangibles pour ceux qui en souffrent… - L’arrivée de Trump à la Maison-Blanche sera aussi un bouleversement au plan international : révision de la politique américaine au Proche-Orient, refondation des relations avec la Russie, sortie de l’Otan. Comment voyez-vous les rapports des Américains avec le reste du monde ? Là, je reste plus que circonspect. Chaque candidat au poste de Président, de par le monde, promet de changer le monde. Mais la réalité des dossiers, les équilibres entre les forces et les stratégies d’influence intérieures, extérieures qui ne sont pas toujours convergentes amènent un Président à faire de lui-même des arbitrages (indépendant de ceux de ses conseils) qui sont au mieux des intérêts du pays et qui peuvent s’éloigner des promesses lâchées lors d’une campagne électorale. Il appartient donc au Président élu de faire preuve non seulement de capacités de négociation entre ses différents constituants politiques, économiques, financiers et militaires, mais aussi de compétences aiguës dans les domaines qui régissent la gouvernance d’un pays, à savoir la finance, l’économie, la géostratégie, etc. C’est en cela qu’une renégociation des accords Tafta, une réécriture des accords transatlantiques, sont à envisager sérieusement car l’un et l’autre sont essentiels dans les rapports de force des Etats-Unis avec le reste du monde et spécifiquement les pays émergents des BRICS et ceux qui constituent l’Organisation de coopération de Shanghai.
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