Le drame des insuffisants rénaux chroniques risque de s’éterniser, malgré la politique engagée ces dernières années pour développer le programme de transplantation rénale. L’année 2015 a été baptisée l’année de la transplantation, mais au regard des bilans des différents centres greffeurs, la réalité est tout autre. Les objectifs fixés sont très loin des attentes des équipes médicales et paramédicales. Il y a un net recul du nombre de greffes à partir de donneurs vivants apparentés, et zéro greffe à partir de donneurs en mort encéphalique. Cela témoigne-t-il de l’échec des équipes médicales, ou simplement de l’absence d’une réelle volonté politique pour donner un nouveau souffle à cette activité qui permettra à des milliers de patients d’avoir une vie normale et à économiser au Trésor public des milliards de dinars dépensés dans l’hémodialyse censé être une étape provisoire dans la prise en charge de insuffisants rénaux ? Quel bilan peut-on faire de l’activité de l’Agence nationale de don d’organes créée par décret présidentiel ? Une agence dont le rôle est de veiller à réunir toutes les conditions pour le développement de l’activité de la greffe d’organes, en assurant la disponibilité des greffons au profit de tous les services de santé publique. L’Institut du rein, qui est fin prêt et équipé, est encore inactif à ce jour. Une structure où toutes les conditions sont réunies pour que cette activité de greffe puisse être réalisée dans toute sa dimension de prélèvement, de greffe et d’hospitalisation. Qu’est-ce qui empêche cette structure d’être fonctionnelle ? Ce sont autant de questions auxquelles les réponses restent encore vagues, voire même inexistantes. Selon les statistiques du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, 160 greffes de rein à partir de donneurs vivants apparentés ont été réalisées au cours de l’année 2016 sur un ensemble de 15 centres sur le territoire national, alors que près de 22 000 insuffisants rénaux sont en hémodialyse, et plus de 700 patients en dialyse péritonéale. Sur les 160 cas énumérés fièrement par le ministère de la santé, plus d’une dizaine de patients ont été greffés à l’étranger, en Jordanie, en Irak, en France et en Turquie. Les listes d’attente des patients prêts à être greffés s’élargissent d’année en année et les patients prennent leur mal en patience. Une attente pour certains qui dure depuis plus de deux ans. Nous nous sommes approchés de certains insuffisants rénaux qui justement n’ont pas trouvé mieux que de prendre attache avec des centres étrangers, dont la Jordanie. «J’ai retiré mon dossier de l’hôpital car je ne peux plus attendre, cela fait deux ans déjà, sans compter tous les frais pour les examens médicaux effectués depuis 2010 et qui avoisinent les 70 millions de centimes. Je refais les examens à chaque fois et cela me revient excessivement cher. En plus, le donneur, qui est ma tante, a 62 ans et de l’avis des médecins il est urgent de procéder à la greffe rapidement vu son âge. J’ai alors décidé de me rendre en Jordanie et le centre médical vient de m’envoyer le devis. L’opération me revient à 450 millions de centimes sans les frais des immunosuppresseurs et d’hébergement. J’ai dû vendre ma voiture et avec l’aide de ma famille j’ai pu réunir cette somme et je me rendrai bientôt pour faire cette greffe rénale», nous confie un patient de Bouira, âgé à peine de 37 ans. Un autre patient rencontré dans un centre d’hémodialyse privé à Alger ne cache pas ses inquiétudes quant à l’aboutissement de son dossier : «Mon attente est plus que longue. J’ai un donneur et nous avons fait tous les examens nécessaires à nos frais pour nous préparer à cette greffe. Une opération que j’attends depuis longtemps, mais en vain, il faut attendre. Je suis sur le point de faire les démarches pour me rendre en Irak ou en Jordanie. D’après certains patients qui étaient avec moi en hémodialyse et qui se sont fait greffer, tout se passe bien là-bas. Il faut juste de l’argent.» Il est clair que si les transferts à l’étranger dans le cadre de la prise en charge par la sécurité sociale ont été pratiquent réduits à zéro cas en 2016, le phénomène reprend de plus belle avec les moyens propres des patients à défaut d’une prise en charge dans les centres hospitaliers algériens qui sont pourtant dotés de tous les moyens humains et techniques. D’ailleurs, ces mêmes patients reviennent après la greffe dans les services de néphrologie pour prendre leurs traitements gratuitement délivrés uniquement par les hôpitaux, à savoir les immunosuppresseurs. Il s’agit d’un traitement à vie. «Je suis revenu de Jordanie où j’ai subi la greffe de rein donné par mon frère. Et là, je dois continuer un traitement que mon médecin m’a prescrit. Je suis venu justement le prendre ici à l’hôpital», nous confie un patient. «Ils sont nombreux à se rendre dans ces pays arabes au prix fort grâce aux appels lancés sur les réseaux sociaux, car ils ne peuvent plus attendre vu leur âge et la dégradation de leur état de santé», confirme Azem Rabah, le président de l’association d’aide aux insuffisants rénaux de Bouira. Il déplore les délais d’attente pour prétendre à une greffe lorsque, bien sûr, il y a un donneur. «Les malades ne peuvent plus attendre. Ils se font généralement aider par les associations de village et leurs familles pour aller se faire greffer à l’étranger. Mais ce n’est pas toujours possible malheureusement pour tous les hémodialysés», souligne M. Azem et de revenir sur tous les blocages rencontrés pour justement bénéficier de ce traitement pourtant accessible. «La problématique se situe à deux niveaux. Il y a d’abord les centres d’hémodialyse qui ne jouent pas toujours leur rôle pour une meilleure préparation des malades à une greffe. Tant qu’ils sont là, c’est tant mieux et le centre est toujours payé par la sécurité sociale. D’autre part, il y a aussi un blocage dans les hôpitaux. Si ce n’est pas le manque de réactifs, il y a l’indisponibilité des blocs, ou bien simplement c’est reporté pour x raisons. Tout cela contribue à la dégradation de l’état de santé des patients et génère des dépenses colossales. Pourquoi accentue-t-on leurs souffrances alors que nous avons tous les moyens matériels et humains pour réussir et mieux que tous ces pays arabes ?» s’indigne t-il. Il a été pourtant enregistré durant quelques années un véritable essor de cette activité, ce qui a d’ailleurs encouragé et motivé de nombreuses équipes médico-chirurgicales dont certains ont plaidé pour la levée de tous les obstacles pour faire de cette pratique médicale une grande spécialité avec tous les moyens nécessaires. Le Pr Hocine Chaouche, ancien chef de service de chirurgie thoracique, vasculaire et de greffe au CHU de Mustapha Bacha, qui s’est longuement investi dans la greffe rénale, est l’un de ceux qui ont lancé cet appel il y a près d’une dizaine d’années. La situation semble être malheureusement au point de départ.
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