mercredi 1 mars 2017

«La raison d’être du FFS est de militer contre la dépolitisation et le désespoir»

Abdelaziz Baloul revient sur la décision de la participation du FFS aux prochaines législatives et les objectifs de son projet de refondation du Consensus national. «Il reste la construction d’un consensus national qui, en posant une base solide à l’action institutionnelle et politique, donnera à la société les conditions nécessaires à sa mobilisation démocratique en vue de parvenir à définir ensemble un certain nombre de règles et d’instruments nous permettant de passer à une 2e République moderne, démocratique et sociale fonctionnant dans un Etat de droit géré par ses citoyens», dit-il. - Après la participation tactique de 2012, le Front des forces socialistes (FFS) prendra part aussi aux élections législatives prochaines. Pourquoi qualifie-t-il sa participation actuelle de stratégique ? Pour commencer, la nouvelle loi d’exclusion électorale nous oblige à participer, sous peine d’être exclus des prochaines élections. On parle donc d’une nécessité, et pas uniquement d’un choix. Cependant, ceci n’enlève en rien le caractère stratégique de notre participation, et ce, à plus d’un titre. Il s’agit donc de dénoncer toutes les lois appelées à être votées allant à l’encontre des intérêts du peuple algérien, donner la possibilité de rendre visible notre projet de consensus national lors de la campagne électorale, qui reste la solution la moins coûteuse pour le pays pour le sortir de ses impasses, et enfin de porter notre projet dans les institutions, en utilisant toutes les possibilités que confère le statut d’élu (à tous les niveaux). Le pouvoir travaille en permanence à décrédibiliser l’action institutionnelle et à promouvoir des intervenants issus de forces archaïques, ou tenant leur pouvoir de l’argent. Ceci pose un problème non seulement pour les citoyens et les forces démocratiques dans leur lutte quotidienne, mais soulève aussi des questions sur la nature réelle de l’agenda politique du pouvoir derrière la langue de bois de ses fonctionnaires. C’est tout le projet libérateur de Novembre qui est insidieusement remis en cause, d’abord par des années de dictature antipolitique, ensuite par des années de violence multiforme, et pour finir par le renoncement, à peine déguisé, aux formes modernes et démocratiques d’organisation de la société. C’est cette analyse qui rend stratégique la participation électorale du FFS, qui refuse le choix entre le statu quo aussi régressif qu’intenable et le chaos. Il milite pour un engagement citoyen et une auto-organisation de ces derniers dans tous les domaines de la vie publique. - Le bilan de la mandature qui s’achève est-il satisfaisant pour le FFS ? Il ne pourra jamais être satisfaisant tant que nous ne serons pas dans un Etat de droit, où les institutions nationales représentent réellement le peuple. Cependant, cela nous a permis de dénoncer les lois antinationales et antisociales votées dans l’hémicycle par les partis du pouvoir. Et surtout, en sillonnant le pays pour apporter notre soutien aux citoyens en lutte, nous avons relevé un niveau d’abandon de pans entiers de la population, par l’Etat, à des intervenants locaux oscillant entre le pire des féodalismes et les réseaux mafieux. En organisant l’assistance juridique et en portant la voix de ces citoyens au sein des institutions, nos députés ont aussi, là où c’était possible, favorisé l’implantation du FFS dans des endroits auxquels il n’avait jusqu’ici pas accès. - Dans la résolution stratégique du parti, il est dit qu’il s’agit «d’aller gagner des sièges partout où ce sera possible». Où en est l’organisation du parti à l’échelle nationale et à l’étranger ? Evoluant au sein d’un environnement politique hostile, notre objectif est de gagner des espaces d’expression par le développement du parti que le pouvoir voudrait absolument cantonner au centre du pays. Pour preuve, le nombre impressionnant de signatures qu’il faut récupérer dans plusieurs wilayas pour permettre à un parti agréé depuis des décennies de présenter des candidatures. Nous avons installé des fédérations et des sections dans quasiment l’ensemble du territoire national. Prochainement, nous rendrons publiques les dernières informations sur l’implantation du parti. - Il s’agira aussi, dites-vous, de gagner l’estime des Algériens et de répondre à «la campagne d’hostilité dont fait l’objet le FFS». Le FFS est ciblé par qui et pourquoi ? En tant que plus vieux parti de l’opposition démocratique, le FFS a toujours été la cible de la dictature et de ses relais médiatiques, culturels, financiers ou politiques. Tout observateur sérieux ne peut que reconnaître que le FFS a constamment subi les foudres d’un pouvoir d’abord hostile à l’idée même de pluralisme et de démocratie. Contraint par ses échecs autant que par les développements majeurs que connaît la scène mondiale, le pouvoir a tout fait pour formater un pluralisme et une démocratie à sa mesure et promouvoir des forces et des acteurs qui lui sont inféodés. Une stratégie à laquelle s’oppose le FFS qui s’inscrit dans la continuité du mouvement de Libération nationale et milite pour une démocratie qui s’appuie sur la mobilisation des couches populaires au lieu de les marginaliser ou de les infantiliser. Pas de secret donc si les caciques du système et les divers néo-libéralismes globalistes qui occupent la devanture du système recrutent à tout-va des «propagandistes et spin doctors spécialistes anti-FFS». En 53 ans de lutte, le FFS a appris à surmonter les obstacles et à donner à chacun l’importance qui est la sienne. Ni plus ni moins. - Les dissidences passées visent donc à menacer la cohésion du parti ? La réponse a été donnée à la question précédente. - Quelle sera la réponse «cinglante» que promet le FFS à ses adversaires et comment se traduira-t-elle sur le terrain de la campagne électorale ? En 53 ans de lutte politique, le FFS a surmonté plus d’une crise et plus d’une campagne de déstabilisation. C’est cette continuité qui dérange ceux qui s’en voudraient les fossoyeurs. La réponse se traduira comme d’habitude de façon pédagogique et fera avancer l’idée démocratique dans le peuple et lui montrer que tout est possible. Il suffit d’y croire et d’avoir la volonté de prendre en main son devenir et son avenir. Pour reprendre Si El Hocine, vaincre c’est convaincre. - L’année 2017 a débuté avec des mesures d’austérité qui ont bien érodé le pouvoir d’achat des Algériens. Comment allez-vous convaincre les électeurs d’aller aux urnes en   mai prochain ? Ce sera difficile d’aller à contre-courant de plusieurs décennies de dépolitisation entretenue par le pouvoir. Nous ferons notre possible pour mobiliser les plus conscients et les moins désespérés, mais nous ne nous berçons pas d’illusions. La campagne va être rude. Les Algériens sont fatigués de ces impasses à répétition, de cette corruption endémique, de ces scandales qui se succèdent et qui ne débouchent que sur un étalage nauséabond, sans qu’aucune justice ne vienne remettre de l’ordre et de la dignité dans la vie publique. Ceci est le bilan du régime. C’est à lui qu’il faut poser la question. Nous, nous militons pour gagner à la lutte démocratique des espaces dans la mesure de nos moyens. - L’œuvre de dépolitisation de la société a été pour le pouvoir un instrument redoutable contre les partis de l’opposition. Comment est vécu au FFS ce déni du politique dans une société algérienne qu’on veut tenir éloignée des vrais enjeux liés à la construction de son propre avenir ? La dépolitisation est une arme de destruction massive de la société. La raison d’être du FFS est de militer contre la dépolitisation et le désespoir qui alimentent les brasiers de la colère, sans offrir de perspectives autres que violentes. A chacun de faire son bilan face au marasme actuel. - Le FFS tient avec force au projet de Consensus national comme une garantie d’un changement pacifique. Comment faire aboutir une telle initiative face à un régime qui se recroqueville sur ses clans et sa clientèle et qui demeure sourd à tout appel de céder au changement démocratique ? Cette initiative, que le pouvoir a rejetée par l’intermédiaire de ses partis politiques, doit faire son chemin au sein de la population pour aboutir à un rapport de force favorable qui pourra enclencher, de façon pacifique, la mise en œuvre du projet. Le Consensus national, tel qu’on le conçoit, ramènera démocratiquement et sans exclure personne l’Algérie dans la voie de la construction apaisée des instruments de son développement politique indispensable à son développement économique, social et culturel. Un tel programme requiert une mobilisation et une organisation optimales des algériens. Le moins que l’on puisse dire est que nous en sommes encore loin. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la capacité de la société algérienne à correctement évaluer la situation et à se saisir des opportunités de la faire évoluer favorablement. - Le FFS ne cesse de lancer des avertissements contre les manœuvres de divisions et les projets séparatistes qui menacent la cohésion nationale en ces temps de troubles régionaux. Le pouvoir, qui brandit la menace de la main de l’étranger à chaque critique, a aussi une part de responsabilité dans l’apparition de l’épouvantail séparatiste, ne pensez-vous pas ? Quand on fait de la politique sérieusement, on se détermine en fonction de l’analyse que l’on fait de la situation générale du pays. Et donc de la part que tiennent les décisions et les politiques du pouvoir dans chacun des aspects de la crise. Ce que nous avons dit plus haut sur la nature antidémocratique du système et de ses alliés, sur leur désir de rompre avec le modèle libérateur de Novembre, sur la marginalisation des populations, la dépolitisation et l’abandon de pans entiers de la société à des forces archaïques à l’agenda douteux, disent bien qu’on ne peut pas se suffire de dénoncer une hostilité extérieure. Il faut aussi savoir et accepter l’idée que les peuples marginalisés par leurs dirigeants et leurs élites se laissent parfois embarquer vers de fausses solutions. Les dirigeants du pays donnent l’impression de vouloir tantôt dénoncer, tantôt amadouer les forces hostiles, sans jamais donner à la population les moyens de s’émanciper démocratiquement de la dictature, des archaïsmes et de la marginalisation. C’est un pari perdu d’avance, et le seul vainqueur sera le chaos. Reste la construction d’un consensus national qui, en posant une base solide à l’action institutionnelle et politique, donnera à la société les conditions nécessaires à sa mobilisation démocratique. C’est le seul moyen de faire échec à toutes les menaces internes ou externes. - Quelle lecture faites-vous de la situation politique actuelle et quelles sont les réponses et mesures à prendre afin de redonner de l’espoir aux Algériens ? La stratégie du pouvoir est de se donner une légitimité par les urnes en usant de la conjonction de divers facteurs qui sont, entre autres : des décennies de contrôle absolu sur les institutions, la proximité des forces de l’argent qui lui doivent tout, la dépolitisation de la société, la loi d’exclusion électorale et la commission de contrôle des élections. Ceci lui permettra de mettre en place un modèle économique et social de type néo-libéral remettant en cause la place du secteur public dans l’économie nationale et les acquis sociaux. Ceci permettra le blanchiment, dans l’anonymat, des fortunes mal acquises à l’ombre du pouvoir. Au final, reste la construction d’un consensus national qui, en posant une base solide à l’action institutionnelle et politique, donnera à la société les conditions nécessaires à sa mobilisation démocratique en vue de parvenir à définir ensemble un certains nombre de règles et d’instruments nous permettant de passer à une 2e République moderne, démocratique et sociale fonctionnant dans un Etat de droit géré par ses citoyens.

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