mardi 6 juin 2017

«L’idée de rompre les relations avec le Qatar ne peut provenir que des Etats-Unis»

Rédacteur en chef du magazine en ligne Proche&Moyen-Orient.ch,  ancien rédacteur en chef à Radio France Internationale (RFI) et à la revue Défense de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), le journaliste Richard Labévière connaît assez bien l’Arabie Saoudite pour avoir écrit trois ouvrages sur les relations entre les Al Saoud et le terrorisme djihadiste dans le monde. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il présente la décision d’isoler diplomatiquement le Qatar comme une sanction des Etats-Unis. - L’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte ont annoncé hier la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Quelle analyse faites-vous de cette décision ? Pour moi, cette décision n’est qu’un habillage américain. Je reviens d’Iran, où j’ai assisté à l’élection présidentielle du 15 mai dernier. Ce scrutin, très démocratique, a été suivi, le 20 mai, par la visite de M. Trump, le président américain, à Riyad, la capitale de l’Arabie Saoudite, à l’occasion du sommet arabe organisé par le roi Ben Salmane. Devant une cinquantaine de représentants de pays sunnites, le président américain avait clairement dit qu’il faut isoler l’Iran, présenté comme un danger pour la région. Or, nous savons tous que depuis 30 ans l’Arabie Saoudite n’a jamais arrêté de financer le terrorisme islamiste à travers le monde. Etant donné qu’il a ses entrées dans les milieux financiers saoudiens, M. Trump ne s’est même pas gêné d’appeler ces derniers à investir aux Etats-Unis. Il veut faire profiter les grandes compagnies pétrolières et les complexes militaro-industriels de l’argent saoudien. Certains pays, comme le Qatar, ont tenté de réagir, la réponse ne s’est pas fait attendre. L’idée de rompre les relations avec ce pays ne peut provenir que des Etats-Unis. Le prétexte trouvé est que ce pays est celui d’Al Qaradawi, des Frères musulmans, des salafistes, etc. Nous sommes face à une entreprise de diversion, voire de blanchiment de l’Arabie Saoudite, qui est pour tout le monde le principal soutien de Daech en Irak, de Djabhat Al Nosra (Front Al Nosra) en Syrie, du régime bahreïni qui réprime l’opposition, mais aussi l’exportateur du wahhabisme en Asie, en Afrique et un peu partout dans le monde. - Ne pensez-vous pas que l’Arabie Saoudite joue un nouveau rôle dans la région ? Bien sûr qu’elle joue un nouveau rôle dans la mesure où Trump fait beaucoup d’affaires avec le royaume wahhabite et, en contrepartie, il le protège. Il veut montrer une Arabie Saoudite différente de celle du passé. Mais il faut être dupe pour croire à ce mensonge. Trump veut faire profiter du flux financier des Al Saoud par les contrats d’armements et les investissements saoudiens aux USA. Pour y arriver, il faut qu’il montre l’Arabie Saoudite sous un autre visage. C’est en quelque sorte un nouveau pacte Quincy signé en 1945 entre le président Roosevelt et Al Saoud, pour une durée de 60 ans, renouvelé en 2005 pour 60 ans encore. Barack Obama avait une autre politique vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, mais aussi l’Iran, avec lequel il voulait un accord sur le nucléaire. Mais Trump a préféré se tourner vers les Al Saoud pour des raisons financières. Afin de consolider ce pacte, il lui fallait juste désigner aux Saoudiens leur ennemi qui est l’Iran et qu’il faut isoler et étouffer économiquement. - Pouvons-nous croire que l’objectif principal de cette rupture des relations diplomatiques avec le Qatar est l’isolement de l’Iran ? Pour des raisons stratégiques, nous pouvons dire oui, c’est le cas. L’Iran s’oppose à la stratégie américaine en Syrie, soutient les Houthis au Yémen, ainsi que l’opposition chiite au Bahreïn. - Comment expliquer cette décision du gouvernement de l’Est de la Libye de rompre avec le Qatar ? Il faut savoir que le gouvernement de l’Est de la Libye est sous l’hégémonie de l’Egypte. En prenant une telle décision, il s’assure un chèque de la part de l’Arabie Saoudite en retour. Nous sommes dans une logique financière où les Al Saoud recourent à l’argent pour acheter leurs alliés. C’est très grave. Nous voyons un pays, qui a enfanté le terrorisme djihadiste, appuyer la répression au Bahrein, devenir un ami des Etats-Unis pour des raisons financières… Mais d’où les Saoudiens vont-ils puiser cet argent, surtout que la crise financière les a obligés à une politique d’austérité en sacrifiant la subvention de certains produits ? Détrompez-vous, ce pays n’est pas en crise. Il a des réserves suffisantes pour tenir encore longtemps. Sa stratégie de maintenir le prix du pétrole au-dessous de la barre des 50 dollars le baril arrange plus les Américains qui, de cette manière, empêchent le retour sur la scène mondiale de pays comme l’Iran, le Venezuela et même l’Algérie. - Un prix bas ne risque-t-il pas d’influer négativement sur l’économie saoudienne ? C’est vrai qu’un prix bas du pétrole n’est pas rentable pour l’économie saoudienne, mais cela a poussé Ben Salmane à faire appel à une société américaine pour lui confier l’étude sur la stratégie de diversification de l’économie. A long terme, un prix bas peut avoir des répercussions financières, mais pas dans l’immédiat. Sur les 30 ans à venir, les réserves pétrolières saoudiennes sont très importantes. Ce qui permet à Al Saoud de faire la transition à l’aise. - Faudra-t-il s’attendre à une autre liste de pays qui pourraient suivre l’Arabie Saoudite dans leur décision de couper les relations avec le Qatar ? Certainement. Beaucoup de pays soutenus financièrement par l’Arabie Saoudite vont suivre. Ils ont bien soutenu le royaume lors d’une réunion de la Ligue arabe pour mettre le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes.

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