vendredi 3 novembre 2017

Moudjahidine VS nouvelle génération : Une valorisation incomprise

Guerre des chiffres autour de l’augmentation du nombre de moudjahidine et méconnaissance du nombre de ceux qui sont encore en vie, passe-droits... ; chacun y  va de ses arguments. Les moudjahidine sont «pointés du doigt». Cette semaine, le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, a refusé de donner le nombre exact des moudjahidine encore en vie. La raison invoquée : «Comme pour les effectifs des armées dans le monde, il est impossible de rendre publics de tels chiffres», a-t-il assuré. N’empêche, quelques jours auparavant, Saïd Abadou, secrétaire général de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), a indiqué que «le nombre de moudjahidine inscrits, encartés et qui paient leurs cotisations est de 200 000 personnes». De son côté, Benyoucef Mellouk, connu notamment pour avoir dénoncé les moudjahidine faussaires, parle de 867 000 moudjahidine, entre les vrais et les faux. Selon lui, «le vrai nombre tournerait autour de 124 000 moudjahidine ; cependant, le trafic qui a commencé suite au coup d’Etat de Boumediène a fait décoller le nombre». Ainsi, le nombre croissant des moudjahidine encore en vie suscite toujours la polémique. Il semblerait que la guerre des chiffres continue. Devant cette large polémique, nombreux sont ceux qui dénoncent ce nombre en perpétuelle augmentation. «J’ai vu récemment une photo d’un ancien combattant, dont j’ai oublié le pays, défiler seul car tous ses compagnons d’armes sont décédés. Je ne comprends pas pourquoi chez nous le nombre de moudjahidine augmente d’année en année», soutient Riad, un jeune Algérois de 23 ans. Ce dernier se dit jaloux des moudjahidine, et pour cause : «Au vu de tous les avantages auxquels ils ouvrent droit, il est normal de les envier.» Cependant, le jeune homme reste conscient de la réalité : «Malheureusement, la majorité de ceux qui bénéficient de ces avantages sont des usurpateurs. Les vrais moudjahidine ont tous les droits et méritent bien plus encore, mais je n’accepterai jamais qu’un usurpateur ait tout ces privilèges alors qu’il n’a rien fait pour son pays.» Riad n’a pas tort. En effet, pour ce qui est des avantages, il faut croire que les moudjahidine sont bien servis. Facilité pour les crédits bancaires, licences pour l’octroi de voitures ou travailler comme chauffeur de taxi, et pas que. Ils ont aussi le droit d’ouvrir des débits de boissons alcoolisées ou encore les boîtes de nuit. Ils ont une réduction sur tous les transports, en plus de leur pension et des maisons de repos. «On ne conteste pas le fait que les moudjahidine ont tous ces avantages, mais ce que l’on dénonce c’est le fait que des harkis et autres faux moudjahidine en bénéficient», assure Lilya. «On conteste l’injustice», martèle-t-elle. L’un des principaux avantages dont bénéficient les moudjahidine qui cause énormément de dommages est la licence pour véhicule. En effet, l’octroi d’un véhicule avec une licence moudjahid fait baisser le prix considérablement. Toufik et Kamel, âgés de 27 et 31 ans, assurent : «Nous avons acheté nos voitures avec des licences. Nous avons eu droit à 600 000 DA de réduction.» Mais alors, où est le problème ? Les deux jeunes hommes confient : «Le problème se pose lors de la revente du véhicule. La voiture achetée avec une licence est au nom du moudjahid. De nombreuses personnes se sont retrouvées sans rien car au décès du moudjahid, ses enfants viennent réclamer le véhicule.» L’autre phénomène est la location des licences. Sur les sites de vente, on ne vend plus que des biens immobiliers ou des voitures. Désormais, les licences moudjahid sont mises à la location ou à la vente. Exemples : «Loue une licence moudjahidine pour tous types de boissons», ou encore «Je mets en vente une licence moudjahidine, taux 100% pour l’importation de véhicule depuis l’étranger, valable jusqu’à 2019». Concernant les prix, cela varie. Cela va de 390 000 DA jusqu’à 700 000 DA, voire encore plus. Finalement, la licence moudjahid est devenue source d’un vrai business et le bénéficiaire est souvent le plus offrant. Pour le financier Souhil Meddah, le fondement même de cette mesure se traduit par une autorisation d’exercer une activité avec des avantages accordés. Or, dans les faits réels, l’utilisation de ces avantages par des pratiques dérivées comme la location alimente d’autres segments de négoce et d’influence négative sur le marché réel. «A mon avis, cette pratique locative n’est pas justifiée du fait qu’elle ne résulte pas d’un effort direct personnel, mais d’un acte de compensation et de reconnaissance», assure-t-il. L’autre avantage des moudjahidine qui suscite polémique est l’octroi de prêts bancaires avec une réduction de 50% sur le taux d’intérêt pour la réalisation de projet. Face à ces avantages, les jeunes se révoltent. «Le plus jeune des moudjahidine doit avoir dans les 75 ans. Economiquement parlant, comment se fait-il qu’on lui consacre un prêt facilement, alors que c’est plus compliqué de l’accorder à un jeune ?» s’interroge Mohamed, un étudiant à l’université de Bab Ezzouar. Une interrogation également soulevée par Linda, une mère de famille de 43 ans, comptable dans une entreprise étatique : «De façon générale, pour accorder un prêt, le client doit regrouper un certain nombre de critères, dont les revenus et l’âge. Un homme de 75 ans aura plus de mal à régler son prêt qu’un jeune de 25 ans.» A cet effet, le financier Souhil Meddah assure que le soutien à l’activité à travers la bonification dans le financement octroyé aux moudjahidine devait être appliqué pour une durée limitée en attendant que le mécanisme de rendement s’installe. «Sur le plan économique objectif, un cycle exceptionnel ne peut pas se conserver dans le temps au vu de l’importance des ressources nécessaires, qui elles-mêmes vont vers des emplois mais sans créer d’autres ressources du même niveau», explique-t-il. Selon le spécialiste, ces types d’avantages ayant le caractère d’investissement social doivent progressivement céder la place à d’autres formes et règles économiques adaptées à l’évolution du modèle postindépendance. Concernant le critère de l’âge dans l’octroi d’un prêt, Souhil Meddah assure que cette question concerne l’ordre juridique dans le traitement des engagements, en tenant compte aussi des garanties solidaires enregistrées ou à l’appréciation des établissements financiers concernés. «Sur un plan purement objectif, l’appréciation économique doit s’appuyer sur les règles universelles de prudence et des projections de rendement, loin de toutes les autres considérations sociales», conclut-il. Autre souci : les taxis. En effet, pour pouvoir exercer en tant que taxi, il est impératif d’avoir une licence moudjahid. Mustapha, un chauffeur de taxi, raconte : «Ce que beaucoup ignorent, c’est qu’on doit reverser une somme d’argent au moudjahid à la fin du mois car il nous prête sa licence. Je ne comprends pas pourquoi on doit impérativement être titulaire de cette licence pour pouvoir exercer notre métier. On peut très bien ouvrir le champ à chaque individu voulant exercer ce métier. Pourquoi je dois partager mon gain que j’ai acquis à la sueur de mon front en me levant chaque matin à l’aube avec quelqu’un qui ne fait que me prêter un document ?» Néanmoins, le chauffeur de taxi ne blâme pas le moudjahid pour autant : «Ce n’est pas de leur faute. C’est la faute à l’Etat qui ne fait qu’approfondir le fossé entre la société et les moudjahidine.» Et enfin, l’éternelle polémique concerne le ministère des Moudjahidine lui-même. En effet, ils sont nombreux à s’interroger sur son utilité et demandent même sa suppression étant donné qu’il n’est pas productif alors que nous sommes en période de crise. «Au lieu d’octroyer un budget à ce ministère, il serait plus judicieux de le remplacer par un ministère des Jeunes», propose Mehdi. «Quel est l’intérêt de tout un ministère des Moudjahidine étant donné que leur nombre doit logiquement baisser d’année en année ?» Pour Souhil Meddah, le ministère des Moudjahidine est un département à caractère historique et politique, et son rôle économique reste difficile à quantifier, sauf dans sa contribution indirecte via la consommation soutenue par les pensions. «Sur le plan économique, notre besoin de changer de moteur de croissance n’a pas besoin d’un facteur de consommation élevé, mais d’un ensemble d’investissements de substitution et de compétitivité très dynamique. L’existence de ce ministère est d’ordre provisoire, sans donner de grandes contributions à la sphère économique», conclut-il. Finalement, la question des moudjahidine n’est pas nouvelle et elle reste une question à la fois délicate et importante car elle s’adosse sur le facteur de reconnaissance entre les nouvelles et les anciennes générations. Le vrai problème ne réside pas dans le fait que les moudjahidine ouvrent droit à de nombreux avantages, car la majorité d’entre eux n’ont jamais cherché de contrepartie en retour de ce qu’ils ont fait pour le pays. Mais que de faux moudjahidine en bénéficient. C’est pour cette raison qu’il est plus que temps de faire le tri dans tout cela et qu’on nous révèle les vrais chiffres afin que la mascarade cesse.  

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