lundi 27 avril 2015

Des ministres cités, mais non concernés…

Après le retour du collectif de défense du principal accusé, Medjdoub Chani, le procès de l’affaire autoroute Est-Ouest s’est ouvert, hier, devant le tribunal criminel d’Alger. L’arrêt de renvoi cite les déclarations d’un des accusés qui implique nommément Amar Ghoul et Abdelmalek Sellal, qui auraient perçu des pots-de-vin versés par des sociétés françaises, absentes du dossier tout comme d’ailleurs que les ministres en question.


Après une bataille judiciaire serrée, le procès s’est ouvert hier au tribunal criminel près la cour d’Alger. Principal accusé, Medjdoub Chani, qui avait refusé il y a une semaine d’être assisté par un avocat, a reconduit le collectif de sa défense qui s’était retiré lors de la première audience, mettant ainsi fin à l’impasse dans laquelle le procès s’est retrouvé.


Les deux avocats constitués d’office par le tribunal se sont quant à eux retirés. Ainsi, seize accusés (le 17e est en fuite) dont quatre en détention et sept sociétés étrangères comparaissent pour répondre de plusieurs griefs, dont «association de malfaiteurs», «blanchiment d’argent», «corruption», «violation de la réglementation des marchés publics et des mouvement de capitaux», trafic d’influence», «abus de fonction» et «perception d’indus cadeaux». A 10h, dès l’ouverture de l’audience, le président fait l’appel des accusés et des témoins, dont au moins 11 sont absents. Puis il entame le tirage au sort des membres du jury.


Durant l’audience, des questions ne trouvent pas de réponse. Comme, par exemple, la non-application de la procédure de prise de corps pour deux accusés – l’ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics Mohamed Bouchama, Addou Sid Ahmed, et Allab Kheir (qui était en fuite avant de se livrer à la justice il y a quelques mois) – alors qu’ils sont poursuivis pour les mêmes faits que les co-accusés en détention.  A10h30, le président du tribunal ordonne la lecture de l’arrêt de renvoi, un document de 160 pages qui revient sur les détails de l’affaire. Maître Maachou demande, au nom d’un groupe d’avocats, que la lecture ne concerne que la conclusion, mais deux de ses confrères, Amine Sidhoum et Djamil Chelgham, refusent.


Le juge ordonne la lecture complète de l’arrêt. Une heure après, la salle commence à se vider. Le président demande au greffier de ne pas dire «le colonel Khaled» tel que mentionné dans le document. Et maître Sidhoum réplique : «Vous n’avez pas à changer le contenu de l’arrêt. Le greffier est tenu de lire le contenu tel qu’il est. Il n’a pas à changer les mots.» Un échange de propos s’ensuit entre le président et l’avocat.


Ce dernier quitte la salle et le greffier poursuit la lecture de l’arrêt. Selon ce document, l’affaire a commencé en 2009 lorsque les officiers de la police judiciaire dépendant du DRS se sont intéressés à Medjdoub Chani et à ses relations jugées «douteuses» avec le consortium chinois qui avait obtenu le marché de réalisation de l’autoroute Est-Ouest. L’homme d’affaires algéro-luxembourgeois est présenté comme une personne très influente, qui utilise des cadres de l’Etat pour faciliter l’obtention de marchés au profit des Chinois et régler tout problème qu’ils rencontrent en recourant à la corruption et aux cadeaux. En contrepartie de ses services, Chani recevait des commissions, transférées sur les comptes de sociétés qu’il avait créées à l’étranger.


Les pots-de-vin de Sellal et Ghoul, les facilitations de Benachenhou et Bedjaoui


Dans cet arrêt de renvoi, de nombreux ministres sont cités nommément. Certains pour avoir joué un rôle de facilitateur – comme c’est le cas de Abdelatif Benachenhou ou encore Mohamed Bedjaoui –, d’autres pour avoir bénéficié de commissions – Amar Ghoul, alors ministre des Travaux publics. Selon ses aveux, de Sid Ahmed Addou a clairement affirmé que Amar Ghoul  utilisait Tayeb Kouidri (accusé en fuite, installé à Genève) pour encaisser les pots-de-vin en son nom auprès de sociétés, notamment Alstom, en contrepartie de l’obtention de marchés. Le même accusé a cité, toujours selon l’arrêt de renvoi, Abdelmalek Sellal, alors ministre des Ressources en eau, qui aurait bénéficié de commissions versées par la société française Egis en contrepartie de marchés dans le secteur. Le rapport revient sur les faits reprochés à chaque accusé.


D’abord Chani, puis Salim Hamdane (ex-directeur des nouveaux projets au ministère des Transports), poursuivi pour avoir livré des informations sensibles sur des marchés liés à la réalisation des lignes de tramway et de téléphérique à des sociétés suisse, espagnole et portugaise en contrepartie de commissions versées sur des comptes appartenant à son épouse (fille de l’ancien ambassadeur et sénateur Ghrieb) et à ses deux belles-sœurs. Le document d’accusation revient sur les déclarations de Chani à propos de cette villa achetée auprès de son ami Mohamed Ouezzane, un colonel du DRS connu sous le pseudonyme de Khaled, poursuivi également dans cette affaire. La villa en question a été offerte au chanteur cheb Khaled.


Selon le document, Chani a parlé des cadeaux, des voyages à l‘étranger et des enveloppes en devises qu’il offrait à cet officier, qui l’accompagnait au ministère des Travaux publics pour rencontrer le secrétaire général, l’accusé Mohamed Bouchama, un cadre que lui a présenté Abdelhamid Melzi, directeur de la résidence d’Etat de Club des Pins. La relation avec Bouchama lui a permis, selon l’accusation, de régler les problèmes rencontrés par les Chinois. En contrepartie, ces derniers lui versaient des commissions qui sont passées de 1% à 5% sur le montant des marchés pour atteindre, au bout de trois ans, 30 millions de dollars.


Le document cite également le rôle joué par l’accusé (en détention) Mohamed Khelladi, ancien directeur des nouveaux projets à l’Agence nationale des autoroutes, dans l’éclatement de cette affaire, en précisant qu’il avait commencé par collecter toutes les informations avant de les transmettre au général Hassen du DRS. Khelladi et le ministre des Travaux publics se connaissent depuis longtemps ; Ghoul lui avait offert un poste lorsqu’il était à la tête du département de la Pêche, avant qu’il ne le ramène avec lui aux Travaux publics pour le nommer à la tête d’une nouvelle direction, les nouveaux projets, où il va découvrir le pot aux roses.


Entendu comme témoin, Khelladi sera inculpé quelques mois après par le juge d’instruction après le dépôt d’une plainte – la seule dans le dossier – déposée contre lui par le ministère des Travaux publics. L’accusation est portée également sur les responsables les plus proches de Amar Ghoul, à savoir Belkacem Ferrachi son chef de cabinet et Rafik Ghozali, directeur général de l’Algérienne de gestion des autoroutes. Trois heures après le début de la lecture du document, seules une trentaine de pages, sur 160, sont achevées. Quelques avocats demandent au magistrat de limiter la lecture aux conclusions, en vain. Vers 17h, le juge décide de lever l’audience qui reprendra aujourd’hui.


A signaler que dans cette affaire, 16 personnes – Medjdoub Chani (en détention), Mohamed Bouchama (ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics), Sid Ahmed Addou et Sid Ahmed Tadj Eddine Addou (en détention, les deux cousins qui servaient d’intermédiaires), Salim Rachid Hamdane (en détention, directeur des nouveaux projets au ministère des Transports), Naim et Madani Bouznacha (deux frères chargés d’effectuer les opérations de change et de transférer les devises vers l’étranger), Belkacem Ferrach (ex-directeur de cabinet de Amar Ghoul, ancien ministre des Travaux publics), Ahmed Rafik Ghazali (ex-directeur de l’Agence de gestion des autoroutes), Mohamed Khelladi (en détention, ex-directeur des nouveaux programmes de l’ANA), Widad Ghrieb (épouse de Salim Hamdane) et ses deux soeurs, Mohamed Ouezzane dit colonel Khaled et Allab El Kheir – sont poursuivies, ainsi que sept sociétés étrangères (en tant que personnes morales), à savoir la chinoise Citic-CRCC, la japonaise Cojaal, la canadienne SM Inc, l’espagnole Isolux Corsan, l’italienne Pizarotti, la suisse Garanventas et la portugaise Coba.




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