Deuxième jour du procès de l’affaire autoroute...
A la barre dès l’ouverture de l’audience, Chani Medjdoub est revenu sur ses activités au Luxembourg à travers son entreprise fiduciaire : la création de sociétés offshore pour des investisseurs qui veulent faire fructifier leur agent. «Je deviens ainsi le mandataire en charge de la gestion de leurs comptes», explique-t-il. Le juge lui demande d’expliquer, par exemple, comment est-il en même temps mandataire et bénéficiaire de ce compte qui a reçu une somme de 24 000 euros.
Il répond : «Voilà : un homme d’affaires algérien, Saad Boudemagh, a des sociétés à l’étranger ; il a de l’argent partout dans le monde, qu’il veut faire fructifier en ramenant la marque de glaces HaggenDas en Algérie. Il a fait appel à ma société fiduciaire pour créer des sociétés devant recevoir les fonds, que je gérais en tant que mandataire. Sur ce compte, il vire 5 à 6 millions de dollars ou peut-être 10 millions dont une partie est gérée par moi, en son nom, mais c’est lui qui en est le bénéficiaire. Ce sont des prestations payantes.
C’est pareil pour tout le monde. Une société fiduciaire repose sur la confiance. Je gère 10 à 15 millions de dollars.» Le président demande des explications sur cet ordre donné par la banque Natixis pour payer d’autres sociétés, comme SHN Zetland et l’accusé réplique : «Ces sociétés font toutes le même travail. Moi j’ai des bureaux à Londres, à Dubaï et au Luxembourg, et la banque possède des bureaux à Hong Kong. Je travaille donc avec elle.
Parmi les prestations, la logistique nécessaire à la prise en charge des clients, par exemple. Les factures sont généralement liées à la location de salles de conférences ou de bureaux.» Le magistrat revient sur la société de cosmétiques Oriflam, appartenant à l’accusé. «J’ai été le premier Algérien à avoir introduit le système de franchise de marque en Algérie. J’avais l’exclusivité de cette marque suédoise en Tunisie et j’ai tout fait pour qu’elle soit introduite en Algérie et crée des milliers d’emplois.
J’ai investi 40 milliards de centimes dans cette affaire et, après mon incarcération, les Suédois me l’ont prise, après avoir écrit à mes bureaux qu’ils ne voulaient pas travailler avec quelqu’un qui trempe dans la corruption», dit-il avant que le juge l’interrompe pour l’interroger sur le mode de paiement utilisé par la société. «D’ici, c’est impossible de payer. Tout se paie d’avance et à partir de mes comptes à l’étranger. D’Algérie, ce n’était pas possible vu les problèmes de bureaucratie. J’ai réussi à développer la société et j’ai même racheté la marque au Maroc. Ce qui a poussé les Suédois à demander d’acheter des parts de la franchise.
Nous nous sommes entendus pour qu’ils achètent 30% des actions au prix de 2 millions de dollars. On devait signer au mois de septembre 2009, mais j’ai été mis en prison et ils ont tout pris. Ils ont même changé le nom de la société.» Le président revient sur la relation de l’accusé avec Mohamed Khelladi, l’ancien directeur des nouveaux projets à l’Agence nationale des autoroutes. «Je ne le connaissais pas.
C’est lui qui m’a appelé, pour un rendez-vous à Dély Ibrahim, dans un café assez sombre», répond l’accusé. Le juge : «C’est un bon café…» Et Chani réplique : «C’est un kiosque que je ne connaissais pas. Il m’a dit qu’il venait de la part du général Hassen, qui lui avait donné mon numéro de téléphone.» Le président : «Connaissez-vous ce général ?» Chani répond : «Pas du tout. J’entends parler de lui comme un général chargé de la lutte antiterroriste, pas plus. D’ailleurs, j’ai demandé une confrontation avec ce général pour savoir si réellement c’est lui qui a mandaté Khelladi pour me parler.»
«N’ayez pas peur, dites la vérité»
Remarquant l’hésitation de l’accusé, le président lance : «N’ayez pas peur, dites tout ce que vous estimez important pour faire éclater la vérité.» Et Chani répond : «Vous me donnez l’occasion d’évoquer quelqu’un qui a parlé de moi. Je sais que Khelladi faisait de graves problèmes aux Chinois. J’ai entendu dire qu’il était l’autorité même et personne n’osait en parler. La première fois que je l’ai rencontré à sa demande, il m’a parlé pendant des heures de son passage à la Marine nationale, des sous-marins, etc.
Je peux dire que peut-être il était bien là où il était, mais dans le domaine de l’autoroute, il a perdu pied. Lorsqu’il m’a dit que c’était le général Hassen qui lui avait donné mon numéro de téléphone, cela m’a paru bizarre. Je suis un homme d’affaires connu, je ne suis pas un esclave de l’argent. Les Chinois ont beaucoup souffert de la bureaucratie. Je parlais à tout le monde de cela, mais je ne travaillais pas avec Citic Algérie.
Mon contrat était avec Citic Internationale.» Le juge : «Il vous a aussi parlé de son fils…» Chani : «Il m’a dit que son fils était handicapé et je crois que c’est cela son malheur, je le comprends. Il voulait savoir si Citic pouvait prendre en charge son fils pour des soins en Chine. J’ai répondu que j’allais voir si des possibilités existaient. Comme il disait être venu de la part du général Hassen, je pense que tout le monde savait que j’étais le conseiller de Citic international (…). J’ai des amis généraux avec lesquels j’ai parlé, y compris des problèmes des Chinois. Khelladi m’a appelé pour me demander de venir le voir à son bureau.»
Le juge rappelle les propos de l’accusé, Addou Tadj Eddine, selon lesquels Khelladi lui aurait demandé de le rencontrer pour parler de la qualité du bitume utilisé ; l’accusé nie catégoriquement. Selon lui, il a clairement signifié à Khelladi que sa mission n’était pas d’être auprès de Citic Algérie et que s’il voulait le voir, «il n’avait qu’à venir à son bureau de Dély Ibrahim.
C’est alors qu’il m’a dit que ses bureaux se trouvaient à 800 mètres et qu’il allait me rendre visite. On lui a donné des coffrets-cadeaux Oriflam contenant un collier de perles et un stylo Mont-Blanc. C’était ma deuxième rencontre. Puis il y en a eu une troisième, toujours à sa demande et dans mon bureau.» Le juge : «Qu’avez-vous compris à travers ces visites ?» L’accusé : «Peut-être que le général Hassen voulait avoir des informations sur le projet du siècle, devenu le cauchemar du siècle.»
Le président : «Pourquoi ce général, chargé de la lutte antiterroriste comme vous le dites, cherchait-il après-vous ?» L’accusé : «Je ne sais pas. Il faut le ramener pour lui poser la question. Il faut qu’il vienne ici nous dire s’il a mandaté Khelladi ou pas, et savoir que ce dernier l’a malmené dans le dossier. Quand je lis ce que Khelladi déclare, je comprends que c’est le général Hassen qui m’a arrêté et a ordonné à ses officiers de me torturer.»
Le juge le ramène aux faits : «Parlez-nous de votre voyage en Chine.» Avec un large sourire, Chani répond : «Je vous jure que nous sommes devant le syndrome de James Bond. Khelladi s’est comporté en James Bond pour enquêter et donner des informations. D’ailleurs, dans toutes les photos que vous avez, il est accroché à son téléphone. Les Chinois souffraient des pressions qu’il exerçait sur eux. Il était un goulot d’étranglement.» Le juge : «Pourquoi Khelladi est-il allé en Chine ?» L’accusé : «Posez-lui la question.
Peut-être qu’il voulait servir d’intermédiaire entre les Chinois et le ministre. Il n’a pas réussi. Il est parti en Chine alors qu’il faisait pression sur eux parce que Citic est une entreprise qui refuse de payer. Ils m’ont appelé pour me dire que Khelladi était parmi la délégation et qu’il leur signifié qu’il était en mission. Je leur ai répondu que ce n’était pas vrai.
Les Chinois savaient très bien ce qu’il faisait ; il était hébergé au Sheraton, qui leur appartient. Ils ont dû enregistrer toutes ses communications où il parlait d’argent et de commissions. Je leur ai expliqué qu’il n’était pas en mission officielle.»
Sur les 30 millions de dollars qu’il a reçus, l’accusé explique que 1,5 million concernent ses prestations dans le cadre du règlement des problèmes des Chinois, et le reste concerne son travail au Gabon. «Mais il n’y a rien qui prouve que c’était pour vos activités au Gabon», fait remarquer le juge.
C’est le procureur général qui va faire sortir Chani de ses gonds ; il revient sur les conditions de sa détention. «Mon droit le plus élémentaire n’a pas été respecté. Durant les vingt jours de détention, je n’ai pas été présenté au procureur est-ce normal ? Pourquoi n’avez-vous pas enquêté sur les tortures que j’ai subies ? Durant ces 20 jours je ne me sentais pas humain. J’aurais voulu me pendre.
Je puais. Je voulais me laver, ils ont refusé. J’étais nu, à genoux, et l’un d’eux est venu quelques jours après pour me pisser dessus en me disant ‘tu as besoin d’une douche, voici de l’eau chaude’ ! Ma mère, que je n’ai pas pu voir, est morte d’un AVC», lance-t-il en pleurant. Le procureur général tente de le ramener aux questions, mais l’accusé lui répond : «J’ai décidé qu’après le procès je ferais une grève de la faim jusqu’à en mourir. Parce que je préfère mourir comme un homme que comme un cafard.» Le procureur général l’interroge sur son adresse à Alger et l’accusé répond : «Hôtel Sheraton.»
Mais le procureur revient à la charge et Chani précise : «A la résidence d’Etat.» «C’est une résidence pour les membres du gouvernement», dit le procureur. «Je sais. Tout le gouvernement est chez mon ami Melzi. Demandez-lui pourquoi il m’a donné cette résidence», lui répond Chani. Maître Labassi, avocat de Khelladi, l’interroge sur ce que son client lui a déclaré. «Il m’a demandé de voir avec les Chinois s’ils pouvaient financer une société de camions. J’ai refusé», répond Chani.
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