lundi 27 avril 2015

Tolérance zéro !

Des cris d’enfant qui percent à travers des cloisons ; des bruits de vaisselle qui se brise. La main d’un homme qui se pose sur la nuque d’une petite fille et l’entraîne à l’écart des autres enfants.


Les moqueries d’écoliers et les larmes d’un garçon coiffé d’un bonnet d’âne ; le bâton et le sourire satisfait d’une maîtresse. Les hurlements d’un homme et les plaintes d’une jeune femme, assise sur un fauteuil roulant, qui reçoit les coups de cet homme. Toutes ces scènes d’abus et de maltraitances ont lieu sous le regard attristé et révolté de témoins. Mais en parleront-ils ? Dites-le ! Et n’acceptez plus jamais l’inacceptable», exhorte l’Unicef. C’est d’ailleurs avec ce spot que l’organisation poursuit la série de campagnes de sensibilisation dont elle est coutumière.


Sans vouloir choquer, cette réalisation, signée Karim Belazzoug, suggère «l’invisible», pour le rendre visible. «Le but de cette campagne est de gêner, de laisser mal à l’aise et inconfortable, pour que tout un chacun puisse être interpellé», a ainsi expliqué Thomas Davin, représentant de l’Unicef à Alger lors d’une conférence de presse, organisée hier pour présenter la campagne médiatique «Enfance, zéro violence, zéro silence».


«Ce n’est pas une nouvelle campagne de l’Unicef, mais bien un prolongement de l’initiative #Endviolence, lancée mondialement en décembre 2013», précise-t-il. «Ce projet n’est pas uniquement de l’Unicef, mais c’est une campagne globale et nationale contre la violence à l’égard des enfants, à laquelle prennent part des partenaires actifs dans la protection de l’enfance», insiste M. Davin. Ainsi, en sus de l’Unicef, y participent la DGSN, le ministère de la Solidarité nationale, le réseau NADA, le réseau Wassila Avife, la Fédération algérienne des personnes handicapées (FAPH) et le Ciddef.


Pourquoi recommencer ? Tout simplement parce que les violences à l’égard des plus vulnérables ne s’arrêtent pas. Les maltraitances, quelles qu’elles soient, se sont même normalisées et devenues banales. Selon les données mondiales de l’Unicef, un adolescent sur 3 a été impliqué dans des violences physiques. De même, une fille sur dix de moins de 20 ans subit une agression sexuelle, soit 120 millions. «Et nous ne sommes pas dans le marginal, dans une proportion que certains pourraient juger d’insignifiante.


D’autant plus que la majorité de ces violences ont été tues», déplore M. Davin. Quant est-il de l’Algérie ? Bien que des bilans exhaustifs n’existent pas, l’Unicef a pu établir, à l’aune d’une enquête menée sur 200 000 enfants âgés de 2 à 15 ans, que 86% d’entre eux estiment avoir été victime de violence, quelle que soit sa forme, au cours de la semaine qui a précédé le sondage.


«86% d’enfants disent avoir subi une violence»


«Chaque jour, les services de police enregistrent des violences sexuelles en Algérie, et ce, sur tout le territoire national», affirme d’ailleurs Kheira Messaoudene, responsable du bureau de la protection de l’enfance à la DGSN, qui précise que nombre de ces actes sont commis sur des mineurs. Et les chiffres sont éloquents.


Durant l’année 2014, 16 enfants ont été tués avec préméditation ou ont succombé à leurs blessures suite à une agression.
Ce sont aussi 6151 enfants qui ont été victimes de violences, dont 1663 à caractère sexuel. De même, quelque 195 mineurs ont été kidnappés.


Et l’innommable ne semble pas devoir décroître cette année, puisque pour le seul premier trimestre de l’année en cours, 9 décès ont d’ores et déjà été enregistrés, tandis que les violences s’élèvent déjà à 1281 cas, dont 372 agressions sexuelles et 20 enlèvements.
«Le bilan s’alourdit d’année en année, car les victimes et leurs proches en parlent plus facilement et hésitent moins avant de dénoncer», estime Mme Messaoudene. «En  parler» est d’ailleurs le maître mot de cette campagne. «Car la violence est pernicieuse.


En parler, ouvertement, publiquement, constitue un pas vers la prise de conscience. Puis, vers le changement», analyse Atika El Mamri, présidente de la FAPH. C’est donc à l’ensemble de la société que l’Unicef et ses partenaires s’adressent. Car la politique ne peut pas tout. «On ne fait pas disparaître un phénomène par une loi.


Ce qu’il faut, c’est une politique publique d’accompagnement, et non pas une énième batterie de textes, qui, comme les précédents, seront mal compris et mal appliqués», argumente maître Nadia Aït Zaï, présidente du Ciddef. «Il y a une insuffisance des systèmes de protection et un réel déficit de tous les intervenants. Ce qui est aujourd’hui nécessaire est une mise en œuvre efficace et concrète de l’arsenal juridique dont l’Algérie s’est dotée», déplore quant à elle Fadila Chitour du réseau Wassila.


«La politique doit changer sa vision de l’individu»


Celle-ci lie d’ailleurs la protection de l’enfance avec la protection de la femme, qui passe par la criminalisation de la violence privée.
Me Aït Zaï abonde dans ce sens : «L’Algérie a ratifié la convention internationale des droits de l’enfant. De ce fait, il lui est imposé de modifier toute sa législation, que cela soit le code de procédure civile, le code de la famille, le code pénal et de la nationalité, etc.» «Il faut que la politique change sa vision quant à la place de tout un chacun dans la famille et dans la société. Qu’elle considère chaque être comme un individu à part entière», plaide-t-elle.




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