Les auditions commencent par le colonel du DRS, Ouezzane Mohamed, plus connu sous le nom de colonel Khaled. Durant une longue décennie, il a exercé en tant que conseiller auprès de l’ex-ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, avant d’être poursuivi pour «trafic d’influence», «abus de fonction» et «corruption».
D’emblée, Ouezzane déclare «ne rien comprendre à l’affaire» et se dit «étonné» de se trouver à la barre. «Parmi les accusés qui sont au box, je ne connais que deux personnes : Mohamed Bouchama l’ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics, une relation de près de 40 ans puisque nous sommes tous deux d’anciens élèves de l’Ecole nationale d’administration, et Medjdoub Chani que j’ai rencontré ces dernières années. Ma relation avec ce dernier est plus qu’amicale, c’est un membre de la famille. D’ailleurs, il porte le même nom que ma grand-mère», dit-il.
Le juge : «Dites-nous comment vous avez connu Chani.» L’accusé : «Deux amis m’ont parlé de lui. Il était à l’étranger et a fait l’objet d’un mandat d’arrêt dans le cadre de l’affaire du FAKI (Fonds algéro-kowetien d’investissement, ndlr). Je leur ai dit qu’il devait rentrer pour vider son mandat d’arrêt et poursuivre la procédure.» Il est interrompu par le magistrat qui lui demande de revenir sur sa première rencontre avec Chani. Il explique : «Deux amis m’ont sollicité à son sujet…» Le juge : «Ils voulaient que vous interveniez ?» Ouezzane Mohamed : «Pas du tout. Ils me l’ont présenté comme victime et voulaient avoir un conseiller pour l’aider. D’ailleurs, je ne savais même pas qu’il était rentré au pays et qu’il avait vidé son mandat d’arrêt, puis a été condamné par le tribunal avant d’être rejugé après un pourvoi.
Après il est devenu mon ami et même plus qu’un ami. Il venait chez moi à chaque fois qu’il venait en Algérie.» Le président interroge Ouezzane sur les postes qu’il a eu à occuper à l’étranger, et ce dernier cite Strasbourg et Lyon en niant avoir connu Chani en dehors du pays. Le juge : «Il vous a dit qu’une avocate l’avait aidé…» L’accusé précise qu’il s’agissait de rumeurs qui circulaient à l’époque, précisant toutefois que «l’affaire était trop grave et je ne pense pas que ce soit le cas, puisqu’il a été condamné».
Le président veut connaître l’identité des deux amis qui lui ont parlé de Chani. Ouezzane affirme qu’ils ne lui ont pas donné de détails, du fait que Chani était une victime. Le magistrat insiste sur les détails de cette affaire et Ouezzane éclate : «Je me rappelle pas. Je suis le produit de l’école algérienne, militaire, mon principal souci est l’intérêt de mon pays et le Trésor public, le reste n’est qu’une affaire privée qui concerne Chani.» Le magistrat revient à la charge et l’interroge sur l’identité des deux amis qui l’ont sollicité à propos de Chani.
Après un silence qui dénote sa gêne, il finit par lâcher : «Nacer Mehal (ancien directeur de l’APS) et Mohamed Chami (ancien président de la Chambre de commerce). Je ne veux pas faire de mal à ces gens…» Le juge réplique : «Vous êtes libre de répondre ou de ne pas répondre. Dans cette enceinte, je suis la justice, personne ne vous touchera. Alors n’ayez pas peur.» Ouezzane se ressaisit : «Je ne veux pas mesurer les mots que je prononce. Je suis là pour dire la vérité.» Des propos qui suscitent la réaction du juge : «Justement, ce sont vos déclarations qui vont me permettre de démêler les fils de l’affaire.»
Magistrat peu convaincu
Mal à l’aise, l’accusé répond : «Il était sous le coup d’un mandat d’arrêt, ils sont venu me voir pour l’aider. Ils m’ont appris par la suite qu’il avait réglé son problème. J’ai entendu, après, cette rumeur sur l’intervention d’une avocate et d’une juge. Pour moi c’était un non-événement puisqu’il a été condamné, il a cassé le jugement et a été rejugé.» Sur sa relation avec Mohamed Bouchama, Ouezzane affirme qu’elle remonte aux années 1977 ou 1978, époque où les deux cadres étaient sur les bancs de l’ENA. «Son épouse, qui est magistrate, est devenue après une collègue. C’est donc une vieille connaissance.
Lorsque Chani m’a dit qu’il était allé le voir au ministère des Travaux publics, je lui ai dit que c’était un ami. La première fois que les deux hommes se sont rencontrés, c’était dans le bureau de Hamid Melzi (directeur de la résidence d’Etat Sahel) à Club des Pins et grâce à ce dernier. Ce n’est pas moi qui l’ai mis en contact avec Bouchama. J’aurais pu le faire, mais je suis arrivé en deuxième position. Bouchama est un homme intègre, il ne me viendrait jamais à l’esprit qu’il puisse le rencontrer pour autre chose. J’ai passé dix ans à mon poste au ministère, je ne peux pas tomber dans cette erreur.
Pour moi, Chani est allé voir Bouchama avec des documents pour des problèmes liés à la réalisation de l’autoroute», dit-il. Le magistrat : «Votre rôle se limite au secteur de la justice, pourquoi avoir accompagné Chani au ministère des Travaux publics pour voir Bouchama ? Etait-ce votre rôle ?» L’accusé : «J’ai accompagné un ami voir un autre ami. Pour moi, cela relevait du bon sens.» Le juge : «Il vous a utilisé pour lui rendre service…» L’accusé rappelle la relation qui le lie à Chani et précise l’avoir emmené chez Bouchama à deux reprises, après lui avoir déclaré qu’il représentait les Chinois en Algérie.
Le magistrat ne semble pas convaincu de la réponse : «L’accompagner chez Bouchama ne vous paraît-il pas anormal ?» L’accusé se défend : «Dans ma conception des choses, Chani n’est pas dans mon secteur. Il est allé chez un ami, qui de surcroît n’entre jamais dans ces histoires. Il est propre, il a occupé un poste de directeur à la Présidence, conseiller au Conseil de l’Etat, avant d’être secrétaire général. Pour moi, Chani est allé le voir pour débloquer un projet d’importance nationale et ne volait pas le Trésor public, ce qui n’était pas en contradiction avec les prérogatives.»
Chani, Ouezzane le présente comme un investisseur, expert en finances, dont les activités sont méconnues en Algérie. «Il a trouvé quelqu’un qui l’aide à régler ses problèmes, pour moi cela relève du bon sens. Ce n’est pas pour l’argent, parce que je connais bien Bouchama, il n’est pas du genre.» Le juge le ramène aux propos de Chani durant l’enquête préliminaire et devant le juge. «Je retiens qu’il a passé 20 jours en détention et qu’il a nié ses déclarations, à la fin, devant le juge», dit-il.
Le magistrat : «Pensez-vous que la police judiciaire ait inventé ces déclarations selon lesquelles Chani vous utilisait ? Combien d’années avez-vous exercé au sein de ce service (DRS) ?» L’accusé, visiblement gêné, répond : «30 ans. Monsieur le juge… (long silence) sa déclaration a changé.
Il n’a pas dit cela.» Le juge : «Il y a aussi les documents retrouvés chez le neveu de Chani, qui font état des montants qu’il vous a remis…» L’accusé : «Oui, mais Chani est revenu sur ses propos…» Le juge lui demande encore une fois si le DRS a inventé les documents et les faits. L’accusé : «Il a donné une version compte tenu des conditions de son audition. Je retiens sa dernière déclaration où il était plus serein.»
«je n’ai aucune influence»
Le juge revient sur les documents, en disant qu’ils font ressortir des montants de 500 000 DA en 2007, puis de 8 millions de dinars et de 20 millions de dinars 2008, puis 1,4 million en 2009. Ouezzane : «Je suis un retraité de l’armée, qui n’a jamais eu de problème. Je suis issu d’un quartier populaire d’Oran. En 2003, j’ai décidé de vendre ma petite maison située face à un cabaret, dont le patron, El Maazouzi, a toute mon estime. Chani m’a proposé la somme de 5,20 millions de dinars. C’était en 2006. J’avais une réservation d’un appartement à Staouéli, auprès de l’EPLF de Boumerdès, J’ai fait un crédit CNEP.
Après, vu les lenteurs de la construction, je me suis inscrit dans une coopérative privée à Birkhadem, mais je n’avais pas la totalité et Chani, qui avait donné la maison d’Oran à cheb Khaled en compensation d’une dette, m’a proposé d’acheter l’appartement de Staouéli, afin que je puisse finaliser mon dossier de Birkhadem.» Les propos de l’accusé s’emmêlent. Il lance : «Vous vous imaginez le colonel Khaled a besoin de prendre 500 000 DA !» Le magistrat lui rappelle les montants qu’il aurait encaissés et l’accusé réplique : «Chani est revenu sur ses accusations.»
Le juge revient à la charge : «Ce sont vos collègues. Ils vous connaissent, ils auraient pu vous épargner. Pourquoi auraient-ils inventé cette affaire ? Avez-vous des problèmes avec eux ?» L’accusé : «Chani affirme qu’il a subi des pressions. Je n’ai jamais eu de problème avec mes collègues. Comment pourrais-je influencer des cadres ? Un colonel n’est rien, ce ne sont plus les colonels d’avant. Je n’ai aucune influence.»
Le procureur général lui demande si en accompagnant Chani chez Bouchama, il n’a pas rompu l’obligation de réserve. «Chani est un citoyen algérien qui voulait investir en Algérie, il a eu un problème avec la justice qu’il a réglé, le reste relève de sa vie privée. Je suis un officier du Renseignement, si je ne parle avec personne comment puis-je collecter l’information ? Mon travail, c’est d’être avec tout le monde…» Maître Amine Sidhoum tente de revenir sur les «conditions difficiles» dans lesquelles Chani a fait ses aveux.
L’officier reste très évasif. Il refuse d’aller plus loin, mais après insistance de l’avocat, Ouezzane déclare : «Je m’inscris dans un registre académique. J’ai dit que les dépositions ne sont pas les mêmes devant la police judiciaire et le juge. Je ne suis pas un défenseur, mais je dis que l’atmosphère n’était pas la même.»
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