vendredi 24 avril 2015

Partenariat avorté entre le Real Madrid et l’US Chaouia : Foot, magouilles et politique

Il y a deux mois, alors que le prestigieux club madrilène devait conclure un partenariat avec l’US Chaouia (USC), le projet est subitement abandonné. Le Real a finalement signé avec Ooredoo. Interférence politique ou manipulation des Espagnols pour gagner plus d’argent : quels sont les dessous de cette affaire ? El Watan Week-end a enquêté.


«Ce qui s’est passé en février dernier est vraiment révoltant. Au lieu d’appuyer notre partenariat avec le Real Madrid, les autorités algériennes ont préféré interférer pour nous saboter au profit de Ooredoo !» Abdelmadjid Yahi, président de l’Union sportive des Chaouias (USC), pensionnaire de la Ligue 2 du championnat algérien de football, n’en revient toujours pas. Le 17 février 2015, Abdelmadjid Yahi, très enthousiaste, annonce un projet d’association entre le Real Madrid et le club algérien et informe la presse nationale de l’arrivée prochaine du «président» de la fondation du club à Oum El Bouaghi pour la concrétisation du contrat.


Mais dix jours plus tard, quelle ne fut la surprise de Yahi quand Ooredoo-Algérie, géant de la téléphonie mobile qatarie, annonce, depuis Santiago-Bernabeu (stade du Real Madrid), la conclusion d’un contrat de partenariat «exclusif» avec le Real Madrid. Le rêve de l’USC n’a finalement duré que dix jours.


Pendant que Ooredoo se réjouissait du partenariat conclu, Abdelmadjid Yahi,  lui, dénonce une opération de «sabotage» manœuvrée contre son club. Aujourd’hui, il accuse les autorités algériennes d’avoir «actionné l’ambassade d’Algérie à Madrid pour saboter le projet de partenariat avec le club madrilène».


Mais qu’est-ce qui s’est passé avant et pendant ces dix jours ? Au départ, l’idée a germé depuis la rencontre à Madrid de deux exilés algériens. Le premier est Hichem Aboud, établi en France, ex-directeur des deux journaux Jaridati et Mon journal, interdits d’impression en Algérie suite à ses déclarations sur la santé de Abdelaziz Bouteflika. Le second s’appelle Mahdi Abbès Allalou. Le président du Parti centriste (PCA), ex-secrétaire général de la commission d’arbitrage de football de la FAF qu’il quitte en 1990, compte d’étroites relations avec les dirigeants de clubs espagnols.


Madrid


Joint par téléphone, Mahdi Abbès Allalou, résidant depuis plus de vingt ans à Madrid, explique qu’il a déjà fait, il y a de cela quatre ans, la même offre à la mairie de Kouba : «A l’époque, je l’avais proposée au P/APC de Kouba qui n’a pas vu l’intérêt de représentations du Real Madrid en Algérie», regrette-t-il. Mahdi Abbès Allalou informe Hichem Aboud que le Real Madrid cherche des partenaires en Algérie.


Celui-ci saute sur l’occasion et propose l’US Chaouia, club de sa ville d’origine, Oum El Bouaghi. Après avoir informé Abdelmadjid Yahi, président de ce club, qui, bien sûr, s’est réjoui de l’idée, une première rencontre s’est tenue le 10 février dernier, entre Hichem Aboud et Luis Marin Fernandez, membre de la direction du club de Real Madrid et une connaissance de Mahdi Abbès Allalou au centre commercial Moda Shooping, près du stade Santiago Bernabeu.


Ce premier contact est suivi d’une correspondance envoyée, deux jours plus tard, par Monica Romero Correcher, directrice générale de Cuatromarin Consultores, compagnie sous-traitante pour le Real Madrid dans les études de partenariat, déléguée personnellement par Luis Marin Fernandez, qui est aussi PDG de cette société de consulting.


Monica Romero Correcher précise qu’elle a été déléguée pour sa maîtrise de la langue française, et qu’elle sera l’interlocutrice du Real Madrid Club de Football pour tous les sujets relatifs au club et sa fondation et explique à l’USC les termes de l’accord. «L’implantation d’écoles sociales et sportives de la Fondation Real Madrid dans quelques villes d’Algérie et l’établissement d’un Café Real Madrid (aux mêmes caractéristiques que le Café du Real Madrid à Dubaï).»


Fondation


Six jours plus tard, c’est le secrétaire général de l’USC, Djamel Naili, qui répond favorablement à la proposition. Mais quand la nouvelle fait le tour des médias en Algérie, rien n’est encore signé entre les deux parties. Pour conclure, Oum El Bouaghi et l’USC devaient attendre la venue du «président» de la Fondation du Club Royal, Luis Marin Fernandez, accompagné par un membre de son staff.


En réalité, le président de la Fondation du Real Madrid n’est pas celui déclaré à la presse algérienne par le président de l’USC, car le vrai responsable est Julio Gonzales Ronco. Le 24 février, soit trois jours seulement avant la signature du partenariat avec l’opérateur Ooredoo, Luis Marin Fernandez écrit à Abdelmadjid Yahi pour exiger l’arrêt «immédiat» du projet.


Le membre de la direction du Real Madrid reproche, dans sa lettre, au président l’USC ses sorties dans la presse et assure qu’elles n’ont pas été «appréciées par le président de la Fondation du Real Madrid». La nouvelle de la signature du contrat, lit-on dans ladite correspondance, «a suscité l’intérêt de l’ambassade d’Algérie à Madrid qui contacte la fondation du club pour demander des détails à propos de ce projet». La décision de l’arrêt du projet est brusque. Luis Marin Fernandez insiste dans sa correspondance : «A partir de là, nous annulons avec effet immédiat toutes les relations entre ma personne, mon bureau et vous-même.» Pourquoi l’ambassade d’Algérie à Madrid aurait demandé des détails au club madrilène ?


Ambassade


Mohammed Haneche, ambassadeur d’Algérie à Madrid, joint par téléphone, dément toute accusation. «C’est de la folie. Nous n’avons ni la capacité ni les calculs pour interférer dans ce genre d’affaires. Ce n’est pas de nos prérogatives et nous n’avons aucun intérêt dans ces projets d’ordre privé, assure-t-il.


La seule fois où nous sommes entrés en contact avec la fondation du Real Madrid, il y a de cela deux ans, c’était dans le but de négocier un partenariat avec l’Algérie en tant qu’Etat.» Problème : l’ambassade est bel et bien mentionnée dans la correspondance (en illustration) de Luis Marin Fernandez ! Mohammed Haneche dément encore une fois cette information pourtant vérifiée. «Impossible. Ce n’est pas du tout notre champ d’action.


Nous ne pouvons ni aider, ni encourager, ni dissuader une quelconque partie ! De plus, nous ne sommes même pas au courant de ce partenariat», assure-t-il. Contacté par téléphone, Hichem Aboud appuie la thèse du «sabotage» défendue par le président de l’USC. «L’ambassade d’Algérie a été poussée à partir d’Alger et a contacté le président de la fondation du Real Madrid pour le dissuader, prétend Hichem Aboud.


Elle a saboté notre accord en essayant de le convaincre que notre club n’est pas de l’envergure du club madrilène. Pour eux, nous sommes un club de 2e division issu d’un petit patelin sans importance stratégique et économique. Pourtant, je n’ai rien caché à mon interlocuteur qui a donné son accord de principe pour venir en Algérie et rencontrer Abdelamdjid Yahi pour parler des détails du projet», assure-t-il. Les autorités algériennes ont-elles vraiment «court-circuité» le partenariat ?


Gênée


Jointe par téléphone, la directrice générale de Cuatromarin Consultores semblait gênée par nos questions. «Nous avons parlé il y a un moment avec le président du club à qui nous reprochons ses déclarations à la presse. Nous lui avons confirmé l’arrêt de toutes nos relations commerciales qui devaient avoir lieu avec son club.


Je suis désolée», se justifie-t-elle. Des déclarations dans la presse sont-elles suffisantes pour stopper aussi brutalement tout partenariat ? Monica Romero Correcher a fini par raccrocher en terminant sur ces quelques mots : «Excusez-moi, mais tout est fini !» Luis Marin Fernandez prend directement la défense du club madrilène : «Si vous m’appelez au sujet du partenariat, il n’y aura aucune conversation possible, car le club a cessé toute communication avec les Algériens.


Le dossier est définitivement fermé. Est-ce clair ?» Sur les raisons qui ont poussé le Real Madrid à clore le sujet, Luis Marin Fernandez nous répond froidement : «Pas d’explication !» Avant de terminer la communication, Luis Marin Fernandez nous recommande de contacter Mahdi Abbès Allalou. «Contactez Mahdi Abbès Allalou.


C’est un homme politique connu en Algérie. Il répondra à vos questions», suggère-t-il. Mahdi Abbès Allalou avoue tout ignorer d’une éventuelle «interférence» de l’ambassade d’Algérie à Madrid et accuse la Présidence d’être «derrière ce sabotage». «La décision vient directement d’Alger, car la Présidence a ses amis au Real Madrid. Luis Marin était disposé à venir à Alger et à Oum El Bouaghi pour rencontrer les dirigeants du l’USC. Quelques jours avant, il a reçu un coup de fil du président du club madrilène, Florentino Pérez Rodriguez en personne qui lui interdit de s’immiscer dans tout ce qui est coopération avec l’Algérie.»


7 millions d’Euros


«Il lui a dit que c’était lui qui s’en occupait personnellement. Luis Marin est un très bon ami que je connais depuis longtemps. Il m’a appelé pendant cette période pour me faire part des pressions énormes qu’il recevait de la part de son président qui lui a suggéré de tout oublier, de s’excuser auprès du club algérien et de clore définitivement ce dossier», raconte Mahdi Abbès Allalou. Mais qui est le contact d’Alger dans le club merengue ?


L’homme politique poursuit : «Dès que la nouvelle du partenariat avec le club madrilène est sortie dans la presse, la Présidence s’est précipitée en utilisant ses relations dans ce club afin de nous discréditer et affaiblir les chances de l’USC. Je sais que Zineddine Zidane (qui a lui-même reconnu avoir reçu de l’argent pour soutenir la candidature du Qatar pour la Coupe du monde 2022, ndlr) a une amitié particulière avec la Présidence. Je n’écarte pas la possibilité de son intervention dans ce dossier au profit d’Ooredoo, même si je ne possède pas encore de preuves tangibles qui l’impliqueraient dans cette affaire.


L’association entre le Real Madrid et l’US Chaouia n’arrange pas certaines parties qui veulent tirer profit d’un tel partenariat.» Abdelmadjid Yahi n’écarte pas la thèse d’un règlement de comptes. Pour rappel, pendant la campagne électorale, Abdelmalek Sellal, à l’époque directeur de campagne du président-candidat Abdelaziz Bouteflika, avait réuni tous les présidents des clubs pour soutenir le 4e mandat.


Seul Yahi s’est démarqué en affichant publiquement son soutien à Ali Benflis. «Ce projet aurait pu être bénéfique pour tous les jeunes Algériens. Que gagneraient-ils aujourd’hui si le projet est détenu par une entreprise extra-sportive comme Ooredoo ?», regrette-t-il. Ce sentiment est aussi partagé par Hichem Aboud qui qualifie le pouvoir en place de «mafieux» qui travaille à «l’encontre des intérêts des Algériens». «On dirait que nous avons commis un crime. Il a fallu 7 millions d’euros pour mettre en échec ce partenariat.


Ooredoo a payé la somme de 2 millions d’euros. Quant à Mobilis, elle a déboursé la somme de 5 millions d’euros pour conclure un partenariat dont le seul aspect visible pour l’instant est l’organisation d’un match amical, regrette Mahdi Abbès Allalou. J’invite tous les clubs algériens souhaitant un partenariat avec Getafe, l’Atletico Madrid ou le Real Betis à me contacter. Ceux-là n’ont aucune relation avec la Présidence.»




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