«Tout le monde sait que c’est une affaire politique. Khelladi lui-même a dit que Amar Ghoul lui a affirmé qu’il n’avait rien à craindre s’il revenait sur ses déclarations, parce que le Président était avec lui et qu’il allait le protéger. Les gens qui poussent à l’affrontement entre les institutions de l’Etat sont les véritables responsables», a déclaré Medjdoub Chani, principal accusé.
Principal accusé dans l’affaire autoroute Est-Ouest, Medjdoub Chani a été entendu hier par le tribunal criminel près la cour d’Alger. Il était le deuxième accusé sur une liste de 16 à être entendu, en plus des sept représentants des sociétés étrangères, poursuivi pour plusieurs chefs d’accusation allant de l’«association de malfaiteurs» au «blanchiment d’argent» en passant par la «corruption» et le «trafic d’influence».
Il commence par entraîner le juge dans l’affaire du Fonds algéro-koweitien d’investissement (FAKI), pour laquelle il a été jugé et condamné en disant qu’il avait été victime d’une escroquerie de la part de Anouar Al Mili, fils de l’ancien ministre, actuellement en fuite. Le magistrat tente de le faire revenir au dossier : «Vous avez cité Benachenhou, l’ancien ministre des Finances, qui vous aurait parlé d’un Conseil des ministres retreint auquel devait assister Falcon…» Mais l’accusé récuse cette déclaration en criant à qui veut l’entendre qu’il est financier.
Le président lui demande de se calmer et Chani répond : «Il est difficile d’accepter d’être transformé en chiffon dans votre propre pays, alors que vous êtes respecté dans le monde.» Le magistrat le fait revenir au sujet de Benachenhou et Chani réplique : «Je ne suis pas tombé du ciel. Je suis connu dans le monde de la finance depuis les années 1990. Toutes les autorités politiques et sécuritaires me connaissent. Le colonel Khaled est le dernier que j’ai eu à connaître. Je voulais apporter à mon pays des IDE (investissements directs étrangers) grâce à mes réseaux à travers le monde de la finance.»
Chani revient sur la création de Housing Bank puis sur l’affaire du FAKI et comment Anouar Al Mili et Kadri Luminaires se sont retrouvés dans ce dossier, avant qu’il ne rembourse les montants subtilisés par Al Mili, contre lequel il dit avoir déposé une plainte. Le juge le ramène de nouveau au sujet, en lui précisant qu’il n’est pas devant le tribunal pour l’affaire FAKI. Il déclare : «Lorsque maître Aziz Brahimi est venu me dire que le bâtonnier l’a commis d’office pour me défendre, je n’y ai pas cru et j’ai même refusé parce que le bâtonnier s’est attaqué à mon collectif de défense.» Me Brahimi réagit : «Notre rencontre à la prison relève du secret de la profession et je ne vous ai jamais dit que c’était le bâtonnier qui m’avait commis.» L’incident est clos, après le rappel à l’ordre du président, demandant à l’accusé de revenir à l’affaire.
«j’en veux aux agents du drs»
Chani insiste encore sur son parcours de financier, sa clientèle européenne et ses ambitions de développer l’investissement en Algérie. Le magistrat le ramène au dossier de l’autoroute Est-Ouest. «J’ai eu un contrat avec la société chinoise Citic International pour ses activités en Afrique…», dit-il avant d’être interrompu par le juge : «Revenez à l’autoroute !» L’accusé : «J’y arrive. La Citic m’a envoyé au Gabon, à la tête d’une délégation chinoise, pour développer des marchés de réalisation de stades, d’universités, etc.
J’ai été reçu par le président gabonais.» Le magistrat intervient : «Parlez-nous de l’autoroute !» L’accusé : «On m’a appelé de Pékin pour me demander si je pouvais régler les problèmes de garantie bancaire d’une banque européenne que l’Algérie exigeait pour la réalisation de l’autoroute….» Le juge : «Parlez-nous de ce Conseil ministériel restreint.» Chani : «Je conteste ces procès-verbaux et je l’ai dit au juge. Ils m’ont été dictés par le DRS.» Et d’éclater : «Je suis rentré le 16 septembre, la veille de l’Aïd, pour voir ma mère, et j’ai été arrêté à l’aéroport par les agents du DRS. J’ai disparu de la circulation jusqu’au 6 octobre.
Ma mère a assisté à la disparition de son fils, comme elle a assisté à celle de son mari durant la guerre de Libération. J’en ai souffert. J’en veux aux agents du DRS dont les visages ne me quittent jamais, mais pas à l’institution que je respecte beaucoup, notamment pour son combat contre le terrorisme. Il y a pire que le terrorisme, c’est l’humiliation. Je n’avais plus la notion du temps. Mes quatre téléphones confisqués n’arrêtaient pas de sonner. Je les suppliais d’informer ma femme et ma mère, mais ils refusaient.
J’ai su la date du 21 grâce au bip du téléphone qui m’indiquait l’anniversaire de mon fils. Je n’oublierais jamais le visage de mes tortionnaires. L’un d’eux m’a dit : déshabille-toi. J’ai refusé. Il m’a frappé, je suis tombé par terre. Je me suis exécuté. Il m’a demandé de tout enlever et de m’agenouiller. A cet instant, si j’avais pu me pendre, je l’aurais fait. Durant tout l’interrogatoire j’étais à genoux, face au mur. Ils me parlaient de mon neveu, je leur ai dit qu’il tenait ma comptabilité.
Deux ou trois jours après, ils m’ont emmené à mon entreprise, où ils ont saisi les ordinateurs. Mon neveu Larbi a été arrêté. Habituellement, ma cellule était fermée, mais le lendemain, ils l’ont laissé ouverte. J’ai traversé le couloir et, à droite, j’ai vu, dans le coin d’une cellule, un homme nu, recroquevillé, en train de pleurer. Je suis revenu dans ma cellule. Après, ils sont venus. J’entendais des cris. J’ai reconnu la voix de mon neveu. Ils lui parlaient du colonel Khaled, de l’argent, etc. Je ne sais pas combien de temps je suis resté à genoux, en face du mur. Puis ils sont venus vers moi. Ils m’ont dit de tout dire sinon mon neveu allait y passer.
C’est alors que j’ai commencé à construire l’histoire. Devant la porte du juge, ils m’ont dit ‘si vous changez d’avis, n’oubliez pas que nous avons votre neveu et les ordinateurs’. Cette affaire repose sur un grand mensonge. Toutes ces accusations ont été montées pour me détruire et détruire ma famille. Je vous défie, Monsieur le juge, de trouver cette Chinoise présentée comme ma maîtresse. Elle n’existe pas.»
Un silence de marbre pèse sur la salle d’audience.
Le juge : «Il y a un chauffeur qui confirme…» L’accusé : «Où est ce chauffeur ? Il n’est pas là !» Il ajoute : «Cette affaire est un mensonge d’Etat couvert par le juge d’instruction. Tout le monde sait que c’est une affaire politique. Khelladi lui-même a dit que Amar Ghoul lui a affirmé qu’il n’avait rien à craindre s’il revenait sur ses déclarations, parce que le Président était avec lui et qu’il allait le protéger. Les gens qui poussent à l’affrontement entre les institutions de l’Etat sont les véritables responsables. Moi, je n’ai aucun lien avec l’affaire.»
Le juge l’interroge sur le miniconseil auquel Falcon a été convié et sur Sacha.
L’accusé persiste : «On m’a dicté ce que vous dites.» Le juge : «Ils ont inventé l’histoire ?» L’accusé : «Les gens qui ont fait le dossier la connaissent. L’histoire est connue par toute l’Algérie depuis 2005. Ce n’est pas moi qui l’ai racontée. Eux n’ont pas eu le courage de le faire publiquement, ils m’ont choisi pour la révéler à leur place.»
Chani continue à nier, y compris les déclarations de Tadj Eddine Addou sur Falcon et Sacha Nasreddine. Le juge l’interroge sur le contrat avec les Chinois et il explique qu’il comportait deux volets : le règlement de la caution bancaire et des problèmes bureaucratiques. Le président du tribunal insiste sur les déclarations faisant état de tricherie par les Chinois sur les matériaux utilisés. «Ce n’est pas moi le responsable de l’exécution de ce marché. Convoquez les dirigeants du secteur», répond-il, en confirmant avoir rencontré pour la première fois Mohamed Bouchama dans le bureau Hamid Melzi, un ami.
Medjdoub Chani évoque sa société de conseil ADC, mais aussi PN, engagées avec Citic. Il reconnaît avoir perçu 1,5 million de dollars dans le cadre du contrat avec les Chinois, mais tente de convaincre le juge que les autres montants qu’il a reçus par la suite concernent le contrat relatif à ses prestations au Gabon. Acculé par le magistrat, Chani finit par lâcher : «Je suis fatigué.» Le juge lève l’audience pour une durée de 15 minutes. Il revient, et Chani lui dit : «Je suis usé. Je ne peux pas continuer.» Le juge lève l’audience qui reprendra aujourd’hui avec le même accusé.
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